Come back littéraire : Ousmne Alédji fait d’une pierre trois coups

10 novembre 2023

Mesdames et messieurs, bonsoir !
Je ne connais pas monsieur Ousmane Alédji. Je sais juste qu’il a été enseignant, journaliste et qu’il est même un prince d’origine yoruba. Je sais juste qu’il a publié un certain nombre de livres comme Omon-mi, Derrière les masques, Pourrissement, Est-ce ainsi que vivent les hommes, La bêtise de nos pères, Le temps des mensonges, Traumatismes, Autour d’un verre, etc. tous des pièces de théâtre lues et jouées à travers le monde. Je sais qu’il n’est pas seulement un dramaturge. Je sais qu’il aussi fait du Slam, avec un texte intitulé Contradictions, créé en mars 2007, puis, qu’il est aussi romancier, avec un texte titré L’Inceste, roman publié en 2012 ; sans parler de ses trois essais pédagogiques et/ou politiques : Créez votre spectacle, Un peuple calme est inquiétant, et Armer l’esprit, publiés respectivement en 2013, 2015 et 2016. Et il y a d’autres publications qui enrichissent sa bibliographie.
Voilà tout ce que je sais de l’homme. Ah ! J’oubliais. On dit qu’il a été aussi directeur du FITHEB jusqu’en 2015 où il a déposé le tablier. Bref ! Quand Esckil m’a contacté pour présenter son livre Rumember Rwanda, j’ai été ravi pour l’occasion qu’il me donne ainsi de côtoyer l’auteur, l’homme, dont la kpintitude n’est plus à interroger. Cela dit, que dire de Rumember Rwanda ?
Le 17 août 2023, un auteur argentin du nom de Santiago Amigorena, réalisateur et scénariste, a publié un roman de 320 pages aux éditions P.O.L intitulé La justice des hommes. Il y a abordé une histoire d’amour qui a mal terminé. Titre que portait également le film de Georges Steven sorti en 1942 et qui avait réjoui les Américains de l’époque. C’est ce même titre que porte la première nouvelle de ce recueil « Rumember Rwanda » pour interroger l’inconséquence dans les actes de notre espèce.
On connait l’ascétisme des lois en matière de mœurs envers les femmes dans les pays arabes. On sait combien ces pays sont strictes, voire rigoristes en ce qui concerne les règles morales et les mœurs sur leurs territoires. Quand, en 2020, Eunice Zounon, la web humoriste ivoirienne, s’est indignée sur la Toile d’avoir été renvoyée par la police aéroportuaire de Ouaga pour avoir porté une culotte jugée un peu trop courte, les internautes lui avaient simplement répondu qu’on ne va pas en Arabie Saoudite comme dans les pays arabes comme on va à la plage en plein été en Occident, qu’elle aurait dû tout simplement s’habiller correctement. Mais à Riyad tout récemment, des femmes spectatrices étaient en tenues très très occidentales dans cette même Arabie Saoudite, lors du mémorable combat de boxe entre Francis Nagannou de Tyson Furi. On ne parlera pas de tout ce qui s’est passé « d’interdit » au Qatar lors de la coupe du monde, des choses sur lesquelles les autorités qataries, malgré leur rigorisme et tout en matière sexuelle, ont fermé les yeux, pour ne pas dire tolérées.
Par ailleurs, les États-Unis sont toujours en très bons termes avec l’Arabie Saoudite malgré toutes les entorses aux droits de l’homme qu’on dit sévir dans ce pays et qui, en 2018, sont portées à leur paroxysme par l’assassinat du journaliste Jamal Khashoggi. Mais on sait qui arrive aux pays du Tiers-Monde quand ils arrivent à commettre un impair lié au respect de la démocratie ou aux droits de l’homme.
Au nez et à la barbe des gendarmes du monde, l’Israël décime actuellement la Palestine, au motif qu’il tue le Hamas, avec des crimes de guerre et la violation à loisir du droit international humanitaire, et le monde occidental ne dit rien, ne fait rien de concret, le même monde qui a inondé et inonde toujours depuis bientôt deux ans l’Ukraine d’arme de toutes sortes pour, dit-il, l’aider à combattre la Russie. Nous savons que l’Israël est en ce moment comme depuis des années pour la Palestine, ce que la Russie est pour l’Ukraine. Voilà la justice des hommes.
Les hommes la vivent, les femmes la vivent et les enfants la vivent, comme l’illustre le premier texte de ce recueil, Rumember Rwanda, où une ado de 16 ans au tribunal de Bordeaux, en passe d’être condamnée pour avoir trempé sa chatte, pas la chatte à laquelle vous pensez, mais chatte au sens animal du terme ; pour avoir trempé sa chatte, disais-je donc, dans un récipient rempli d’eau froide pour, écrit l’auteur, tester l’instinct de survie de la bête. À quelques minutes du prononcé du verdict qui devait l’écrouer pour un bon moment, elle sort un vieux journal où l’on voit une photo d’hommes, de femmes et d’enfants, emprisonnés sous une avalanche de neige encerclée par un mur de barbelés en acier coupant.
Elle interpella la conscience du juge. Si vous voulez me condamner pour avoir mouillé ma chatte, expliquez-moi ce qui se passe sur cette photo. Dites-moi d’abord si c’est comme ça que vous traitez vos semblables, si c’est ainsi que vivent les hommes. Le procureur qui s’échine pour m’envoyer en prison a appris pour cela le Code pénal par cœur. Mais qu’il m’explique pourquoi ces hommes, femmes et enfants sur ce journal ont fait pour être ainsi traités sans même bénéficier d’un procès. Voilà la justice des hommes !

Mesdames et messieurs,
Voulez-vous savoir quelle a été la réaction du juge, quelles ont été les dernières tentatives du procureur pour gagner ce procès et ce que le juge lui a fait ? Je vous prie de lire l’œuvre pour avoir la réponse. C’était la première nouvelle.
La deuxième nouvelle est intitulée « MORT », pas « La mort » pour former un groupe nominal, pas ses synonymes de facticité comme (« trépas », « extinction », « casser la pipe » ou « tirer sa révérence » qu’on utilise pour, dit-on, lénifier la douleur de l’éploré pour paraitre humain alors qu’on sait qu’il sera de toute façon dévasté, que c’est une vie qui vient de partir, de s’éteindre définitivement), non ! La nouvelle est simplement titrée « MORT » ; un mot monosyllabique qui, performativement, exprime une brièveté, une brutalité ; la brièveté de la mort elle-même, sa brutalité même quand elle frappe paisiblement pendant le sommeil, sa spontanéité irréversible qui fait d’elle la seule totale certitude redoutée que nous avons. MORT, pour signifier sa sonorité froide et lugubre qui déclare la fin, l’extinction définitive des feux. MORT, observez la prononciation ; elle est monosyllabique et brève certes, mais s’étire sur le son vocalique [ɔ] et dont la transcription, pour ceux qui maitrisent la phonétique, se fait avec le signe diacritique de longueur, comme pour montrer la funeste durée de l’ultime agonie que l’être, le condamné à mort exécuté dans la nouvelle a subie avant de s’éteindre.

Mesdames et messieurs,
La deuxième nouvelle, je le dis encore une fois, est intitulée « MORT », un mot très bref pour nommer une nouvelle brève aux personnages brefs, brefs dans leurs actions néanmoins très denses, brefs dans leurs états d’âme décrits de façon brève mais avec des mots profonds, très profonds, tellement profonds qu’ils montrent toute la kpintitude de leur vanité.
MORT, un mot de quatre lettres pour chapeauter une nouvelle écrite sur quatre pages, avec un personnage principal dont le nom contient deux syllabes, deux syllabes à raison de quatre divisés par deux : Jerry.
Lorsqu’on pousse l’analyse numérologique un peu loin, on s’étonne de découvrir que la nouvelle contient en réalité au total quatre personnages, quatre personnages à raison de Jerry, le personnage principal, les spectateurs derrière la vitre blindée de la salle d’exécution, le condamné à mort lui-même et enfin, la vie. La vie qui suit son cours, qui se mène dehors comme si de rien n’était, alors que la mort s’apprêtait à être inoculé à un humain pour avoir commis un crime que d’autres ont déjà commis impunément, l’ayant posé soit par personnes interposées, soit par conception.
Oui, par conception, parce qu’il y a des concepteurs de la mort, des gens qui sont même payés pour la créer, pour la circonscrire et l’activer en un lieu voulu. Ce n’est plus un secret pour personne que ça fait longtemps que les hommes ont domestiqué la mort. Et dans le lot de ceux-ci, nous avons, comme le précise Ousmane Alédji dans la nouvelle, je cite « Des nazis féroces et des fascistes balafrés, des espèces de scientifiques spécialisés dans les abominations. Eux se chargent d’orchestrer par leurs pensées et leurs discours, les crimes et les horreurs. Ils ne se montrent pas. Personne ne les connait. La nuit, ils vont danser et boire du champagne coûteux dans les boîtes de nuit prestigieuses. Le monde meurt grâce à leur génie. Et, ni le spectre, ni le fantôme, ni l’ombre d’un quelconque démon ne vient les emporter ». Fin de citation. À lire à la page 23 du livre.

Mesdames et messieurs ;
Vous l’auriez compris, dans cette nouvelle intitulée « MORT », nous sommes dans une prison où un condamné à mort doit connaitre son dernier jour en prison. Pas pour sortir, mais pour être exécuté ; et il s’est fait exécuter quand le « cri de cordeau » a tonné, avec l’injection létale administrée par Jerry qui, manifestement, selon le portrait qu’en fait Ousmane Alédji, adore son boulot d’exécuteur professionnel.
Mais quand on finit de lire la nouvelle, on se rend compte que la question qu’elle pose à mon sens est celle-ci : les condamnés à mort sont-ils vraiment des condamnés à mort ? Par la nature odieuse de leurs crimes commis, ils méritent peut-être la mort. Mais méritent-ils plus la mort que les créateurs ou instigateurs de guerre, les commanditaires d’assassinats, les voleurs d’avenir de toute une nation, les distillateurs de paupérisation ou de misère qui, eux, la nuit, sabrent des champagnes « coûteuses dans les boîtes de nuit prestigieuses ? » Car, finalement, comme le souligne l’auteur vers la fin de la nouvelle, je cite « On ne sait toujours pas qui est l’assassin, qui est le protecteur, qui est le sauvage, ni même si le dépositaire de cette mise en scène macabre n’a reçu un Nobel pour son invention » Fin de citation. Et c’est là que cette nouvelle rejoint la première où l’on s’apprêtait à condamner une ado de 16 ans pour une histoire de chatte. Autrement, d’une certaine manière, à la tuer ainsi qu’on a tué ce condamné à mort. En fait, ce que dit cette nouvelle, c’est que nous ne sommes innocents que parce qu’on n’a pas encore découvert le crime que nous avons commis, en action ou en pensée.
Et puisque, pour ces deux textes, leurs narrateurs hétérodiégétiques respectifs semblent être des enfants extraterrestres en position d’observateur dans notre monde, à la fin de chacune de ces deux nouvelles, ils posent tous la même question : « Est-ce ainsi que vivent les hommes ? »

Mesdames et messieurs,
J’aborde à présent la troisième nouvelle. C’est un cocktail conçu avec des ingrédients hautement lacrymogènes, avec une intense tonalité émotionnelle, commisérative, qui peut infliger une dépression subite à quelqu’un qui la lit en sachant qu’il a entre les cuisses un sexe féminin et pis, qu’elle vient d’une famille où règne le coran et ses préceptes de musulmanie.
À l’entame, vous aurez l’impression de croire qu’Ousmane Alédji et Djaïli Amadou Amal, l’autrice camerounaise, prix Goncourt des lycéens actuellement en caravane pour le livre au Bénin, se sont entendus pour écrire sur le même sujet, le premier en format abrégé avec le titre HARAM – c’est le titre de la 3e nouvelle – et la seconde, en version plus longue intitulée Munyal, les larmes de la patience, avec la consigne de déflagrer le cœur du lecteur, de le bouleverser et de le détruire à vie, en lui jetant à la figure ce que parfois nous faisons subir à nos sœurs, à nos enfants, à nos mères, à nos femmes, à la Femme tout simplement, au nom de la religion et généralement même, au nom d’une société qui se veut phallocratiquement inhumaine.
Le narrateur témoin dans cette nouvelle est comme une Ramatoulaye qui narre, dans un style phrastiquement fluide mais noué, accéléré mais haché, simple mais intense, dense et profond sur le plan de l’affect, ses tribulations et sa condition de bagne, non pas à une Aïssatou en particulier, mais à toutes les Aïssatou et à toutes les âmes sensibles du monde.
Comme chez Djaïli, la nouvelle campe un univers où la famille pour la jeune femme en devenir est un pénitencier à ciel ouvert, où sa réification est instaurée, appliquée et célébrée par le gouvernement des hommes ; un système d’esclavagisation de la femme tacitement constitutionnalisé par des textes sacrés et socialement institutionnalisé, non pas dès la naissance, mais dès la conception, entendu que comme l’écrit l’auteur, je cite : « Si les hommes pouvaient choisir leurs épouses, les filles, elles, étaient données à ceux qui les voulaient ; parfois avant leur naissance » Fin de citation.
Ici, la femme est moins qu’un animal, puisqu’elle a le destin scellé avant même de venir au monde, puisqu’elle n’existe pas ou, si elle doit exister, n’existe et n’existera que par figuration pour servir l’égo ou la vanité des hommes, puisqu’elle n’a pas voix au chapitre parce que la parole est « réservée aux hommes », et si elle doit la prendre, la parole, elle doit attendre qu’on lui en donne l’autorisation, et si elle doit l’exercer, elle doit le faire « tête baissée, le ton bas, les maintes jointes entre les jambes ».
Ici, la femme est déshumanisée, dépersonnalisée puisqu’elle est éduquée pour être apathique, pour ne jamais faire preuve de volition, pour être un robot qui ne sait faire qu’une seule chose ou deux : obéir et subir.

Mesdames et messieurs,
La femme qui subit tout ça dans cette 3e nouvelle s’appelle Myriam. C’est une fillette de neuf ans. Quand son grand-frère lui a présenté une loque qu’il appelait sa mère, elle eut envie de broncher. Et elle broncha. Les coups qui en ont suivi, très violents, ont rapidement calfeutré son éducation à toujours dire oui, à toujours tout accepter. Elle n’a donc pas posé de questions quand on lui a annoncé que sa mère était décédée, morte d’une courte maladie qui, en réalité, était les nombreuses bastonnades et humiliations qu’elle subissait.
Myriam a aujourd’hui 13 ans. Elle est une femme complète, entièrement consommable, totalement moulée dans le système phallocrate. Comme une maman Téné dans Sous l’orage de Badian, elle est une femme musulmane modèle, comme les hommes l’aiment, prête à ce qu’on lui désigne son mari. Elle en était impatiente même. Et là que l’auteur nous a eus. Car pendant qu’on s’attendait à un mariage pédophile où la jeune fille est donnée à un Komlangan de 80 ans, c’est à une tout autre tournure qu’on a assisté. Totalement inattendue.
Le père de Myriam fait partie en réalité, de ce qu’il a appelé le « cercle des frères Nabaldines ». Qu’est-ce que c’est que ce cercle ? Quelle a été la fin de Myriam ? Qui a-t-elle finalement épousé et comment a été son mariage finalement ? Et ce Daoud, son grand-frère, qui l’avait giflée devant sa mère ? Qu’était-il devenu ? Dans quoi toute la famille de Myriam est-elle embarquée ? Je vous laisse le découvrir en partant avec le livre pour réaliser, comme le stipulait récemment Djaïli Amadou Amal, que le mariage précoce n’est pas toujours forcé et même quand il est effectivement forcé, il n’est pas toujours le mariage auquel nous pensons. Il y a des mariages et des mariages…
Puis vient la quatrième nouvelle « Egbèkou de Fifadji ». C’est une nouvelle-bilan d’une vie au soir de son parcours ou de son séjour terrestre, où l’on n’est prêt pour le Grand Voyage, prêt à partir, prêt à rejoindre les siens partis avant soi, prêt à rejoindre surtout sa moitié qui nous a laissés dans la solitude de la viduité. C’est une nouvelle où l’on voit sa vie en miroir, en double, détachée de soi, en un autre soi où l’on se mire en interrogeant les choix que l’on a faits, la simplette existence que l’on a menée, les victoires remportées et les échecs et les affronts essuyés.

Nous jouons les gonflés, nous faisons les yinwèsɔlé et les « tu sais qui je suis ? » Avocats, nous avons cette obsession à remporter des procès, à faire condamner des Kurt Zouma qui n’ont fait que talonner leur propre chat ; nous sommes déterminés à vociférer partout combien frapper un animal est haram, sacrilège, inhumain, parce que nous sommes une ONG qui coûte que coûte veut se donner de la gloire ; mais nous ne cherchons pas avec la même effervescence cette visibilité, cette soif de gloire juste tout près de nous, où nous assistons silencieux et indifférents, à combien un humain, en plein 21e siècle, torture et massacre à volonté un autre humain, tuant chaque minute hommes, femmes, femmes enceintes et enfants, sans que nous ne levions le petit doigt. Face à cette inconséquence de la justice des hommes, la nouvelle « Egbèkou de Fifadji » vient nous rappeler notre finitude, notre évanescence, notre vanité.
En effet, le vieux Egbèkou de Fifadji a 90 ans, 90 ans qu’il a vécu comme 90 jours. Il a eu une vie sobre, simple. Pas une vie comme en est formaté le cerveau de certains, faite de M. le président, honorable, son Excellence, député, ministre, diplomate, homme d’affaires, non. Une vie simple où l’on découvre le bonheur dans les petites choses, dans le génie du coiffeur du quartier, dans les activités cultuelles du Houn-non Kpéto Déka avec ses hounvi et hounsi ; dans l’affrontement idiot des gestionnaires de bars qui créent des tempêtes agressives de sonorités, présentant ainsi un brouhaha des activités humaines préférable au silence claustral de la nuit. Une vie ponctuée aussi de superstitions, de la profanation du sacré que regrette Egbèkou.
On voit Ousmane Alédji faire un clin d’œil à Jean Pliya, dans son œuvre L’arbre fétiche, quand il montre le vieux de Fifadji se désoler du sort de l’iroko derrière sa maison, que les gens du quartier ont coupé au motif qu’il était le réceptacle de la sorcellerie et des envoûtements de tous genres. S’ils ont réussi à couper l’arbre, comme Dossou dans L’arbre fétiche, le délégué du quartier l’a payé de sa vie, surtout quand il a commis l’affront de vouloir confier le domaine de l’iroko aux jeunes pour en faire un lieu de football. Puis, on ne donne pas cher de la peau de tous ceux qui ont transformé l’endroit en dépotoir d’ordure. Une illustration de la bêtise humaine sur fond d’écologie.
Le vieux, comme probablement nous le ferons tous au crépuscule de notre vie, dans le canapé où mourut sa femme, pense à son ami Zémidjan et chanteur dont il a hérité du nom après sa mort sous un camion mal stationné. Il pense au ballet de diplomate avec leur mascarade de l’aide au développement. – Je signale qu’Ousmane Alédji est un panafricaniste qui fustige la domination financière étrangère. – Il pense à la longue torture des femmes enceintes dans la maternité d’en face, qui attendent cinq heures de temps sous le soleil avant d’être reçues par l’infirmier en chef pendant que les dirigeants, eux, roulent dans des 4x4. Il pense aux nombreux nids de poule qui ponctuent nos routes pour écourter notre espérance de vie. Il pense aux gamins menant une vie de forçat dans les feux tricolores. Il pense aux tas d’ordures presque aussi géants que les poteaux électriques en plein cœur de nos villes. Il pense au temps où il était à Lagos, il pense à Gbégamey, où il avait fait ses études, aux zems qui dorment la gueule ouverte sur leurs motos à la belle étoile, au marché Dantokpa, son lieu de travail, aux femmes qui balaient la voie au milieu de la nuit. Il pense à tout ça, déroulé dans sa tête comme un film, inspire profondément puis, « Silence ».
Silence total ! Silence claustral, comme dans la cinquième et dernière nouvelle, « Rumember Rwanda », la nouvelle éponyme, que j’aurais intitulé, moi, « La preuve qu’ils savaient ». Ce titre évoque un autre titre : Rumember Ruben de Mongo Béti qui, lui, est un roman de plus de 400 pages publié au Serpent à Plumes en 2001.
Si dans ce roman, ce sont les réalités sociales du monde colonial qui s’imposent à tous, Européens comme Africains, ici, dans « Rumember Rwanda », c’est l’horreur inqualifiable, l’inhumanité absolue qui s’impose au lecteur. Si Rumember Ruben parle de racisme, d’intoxication, d’exploitation, de travail forcé, d’élections truquées et de dirigeants fantoches, ici, dans « Rumember Rwanda », c’est l’anomie et des canyons de charniers qui épouvantent le lecteur. Et ici, comme vous le savez déjà quand on évoque le Rwanda en littérature, c’est de l’après-génocide qu’il s’agit, comme dans L’ombre d’Imana : voyage jusqu’au bout du Rwanda de Véronique Tadjo, livre de 135 pages publié à Actes Sud en 2000 qui donne la parole aux survivants de l’horreur ; comme dans le livre de 220 pages au titre funeste de Boubacar Boris Diop, Murambi, le livre des ossements, paru la même année chez Stock, ou comme chez Scholastique Mukasonga dont la plupart des œuvres explorent le génocide où elle a perdu 37 membres de sa famille.
Ici, chez Ousmane Alédji, nous sommes dans une église avec Kamayinga Jean-Eudes qui a pour mission de ramasser des crânes humains, d’hommes, d’enfants et de femmes, ceux intacts, ceux troués par des balles et ceux fissurés parce qu’ayant reçu une machette. Ces crânes inondent l’église et lui, Kamayinga Jeau-Eude, doit les ramasser en les classant selon les instructions que le Curé lui a données. Il commence le travail, l’exécute avec entrain jusqu’à avoir l’estomac dans les talons, mais continue quand même malgré la faim jusqu’à épuisement. Il s’endort, se réveille et découvre un régime de bananes juste à côté. Une petite fille, avec un bras de moins, venant de la forêt derrière l’église, venait de le lui apporter. Il mange quelques bananes et de sa conversion avec la fille, il découvre l’impensable sur un vieux papier sorti de la poche de chemise vaste que la fille portait. Il découvre, je cite « le fax n°011-250-84273 du 11 janvier 1994, par lequel le général Roméo Dallaire, commandant des forces de l’ONU à Kigali, informait sa hiérarchie, trois mois avant l’abattage de l’avion du président Juvénal Habyarimana, de l’imminence du deuxième holocauste du 21e siècle. » Fin de citation. La preuve qu’ils savaient donc. Comme dans Mémoire cellulaire et éveil des peuples de Eugénie Dossa-Quenum, un essai de près de 400 pages publié à Intégrale Diffusion du Livre, où elle nous donne, entre autres, la preuve que les Bill Gates et Cie savaient déjà ce qui allait arriver au monde, en ce qui concerne la COVID-19, puisque c’est eux qui l’avaient préparé, conçu et exécuté.

Mesdames et messieurs,
Le recueil de nouvelles Rumember Rwanda, publié concomitamment par Artistik Africa et Les éditions Béninlivres, est un recueil de cinq nouvelles, de seulement 87 pages, que vous pouvez lire donc dans le métro, dans la matinée avant d’aller au boulot, le soir avant de dormir ou pendant la pause entre midi et 14 heures. Un livre facile à lire, au style et au contenu alertes, que je vous recommande vivement.
Je vous remercie.



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