Non ! Le livre est un pivot de la culture et du développement : Réflexions sur le Salon National du Livre (2023)

23 novembre 2023

L’édition du Salon National du Livre 2023 s’est déroulée du 9 au 12 novembre autour du thème « Histoire et littérature » : Quand la mémoire nourrit la création littéraire. Ce qui est national engage tout Béninois. Tout citoyen a d’ailleurs le droit et le devoir de participer au développement de son pays, en quelque axe que ce soit. Je suis engagé dans la chaîne du livre, auteur depuis 2002 de plus de vingt titres ; promoteur depuis 2012 des Éditions IdS (maison d’éditions) et de la Fondation Afrique Espérance, active entre autres dans la campagne de lecture dans des établissements scolaires du Bénin. Cet engagement personnel s’enracine dans des motivations profondes, relatives au livre et à son rôle pour l’avenir d’une nation.
Le livre est un axe porteur de la culture et un indice majeur de développement. C’est par sa culture qu’un peuple est le plus connu. Et quand cette culture est portée par le livre qui la soumet à l’épreuve de la réflexion, elle s’exporte plus facilement et résiste à toutes formes de manipulation. Le livre a une dimension religieuse et spirituelle. Il favorise la structuration de l’être, surtout des plus jeunes, forces vives de la nation. Il est un facteur de développement humain : il contient et diffuse la mémoire des peuples. Il produit aussi des ressources économiques. Le développement et la politique, pour être réellement au service de l’homme, ont besoin d’une fonction critique, au niveau de l’éthique. Aussi le grand écrivain Henri Lopès indiquait-il qu’« un livre d’Africain vivant en ces temps et qui se respecte, ne peut être qu’engagé. » (Le Pleurer-rire, Paris, Présence Africaine, 1982, 123). Tragiquement, il est souvent dit que si l’on veut cacher quelque chose à l’Africain, il faut le mettre dans un livre. Au livre et à la lecture ainsi affectés par quelque désintérêt par nos peuples africains, se pose encore le grave défi du culte de l’écran, la dictature de l’image, l’idéologie de la dématérialisation. Ce sont certes de précieuses avancées utiles pour l’humanité, mais ils peuvent devenir des sources d’abêtissement. Ils ne pourront vraiment remplir la fonction unique du livre, mais de celui-ci, ils peuvent rendre plus efficiente la mission sur un plus large espace.
Pour nos pays africains, la culture du livre et de la lecture reste un défi majeur à assumer. Elle demande un engagement plus incisif et créatif. Et quand l’Etat accorde depuis quelques années au livre quelque intérêt et le déploie par des efforts pour soutenir la chaîne du livre, comme entre autres les formations régulières, les facilités d’obtention de l’ISBN, l’organisation du Salon National du Livre, il doit être soutenu d’abord et surtout par l’administration en charge…
Le Salon National du Livre devrait alors constituer l’événement national majeur de « célébration » du livre. Le Salon National du Livre devrait donc mériter une préparation plus soignée qui ne prête surtout pas flanc à une organisation formelle. La finalité d’une bonne organisation consisterait à communiquer à un plus large public le goût du livre et de la lecture et à assurer la promotion des écrivains qui ne doivent se contenter de quelque prébende. Il serait contreproductif de recourir aux mécanismes de mobilisation politique qui « convoient » sur les lieux, des participants sous forme de réquisition intéressée. Ce remplissage serait du saupoudrage. L’impréparation d’un tel évènement doit être ressentie par les acteurs du livre, déjà si pénalisés par le désintérêt croissant pour le livre et la lecture, comme une marginalisation. Et voilà ! Le communiqué officiel du Salon National du Livre 2023 était adressé à ces acteurs le 31 octobre 2023 (Cf. n°0332/ADAC-MTCA/DG/DCAV). La publicité relative à cet événement est donc intervenue après cette date. Quid de l’efficience de l’activité ?
Ce qui regarde les œuvres de l’esprit, ce qui regarde la littérature, ce qui regarde le livre ne mérite-t-il pas une organisation à la hauteur du soin et de la qualité de la préparation des cérémonies par lesquelles se distingue de plus en plus le Bénin ? Le Bénin, jadis qualifié de quartier latin, ne peut le redevenir sans l’apport du livre et de la lecture. En la matière, nous ne pouvons pas faire moins que d’autres pays de la sous-région pour un Salon national du livre. Le livre est un pivot des arts et de la culture. Et bien plus, les charges de cette « fête du livre », malgré la contribution modique des potentiels participants (vingt-cinq mille francs) aux frais d’organisation, reposent sur le contribuable béninois. Quand l’argent de l’Etat et de la République entre en jeu, nous sommes doublement obligés à une préparation et à une organisation de qualité, comme expression de l’amour patriotique.
Il est impérieux que chaque citoyen se sente réellement engagé par tout ce qui concerne l’avenir de son pays et qu’au nom du principe de la participation et de la responsabilité, il manifeste ses exigences à la hauteur de l’amour du pays. À cet effet, j’ai partagé avec le responsable en charge par un courrier, quelques inquiétudes relatives à cette organisation, déjà le 2 novembre 2023, avec ampliation à d’autres structures engagées dans l’événement. Je n’ai pu avoir le mérite d’une petite réponse. Comme citoyen et acteur de la chaîne du livre, n’en aurais-je pas le droit ? Ou fallait-il plutôt se taire ? Non possumus non loqui. L’intellectuel ou l’écrivain est un éveilleur de conscience. Aurais-je dû publier une lettre ouverte avant l’événement ? La haute idée que j’ai de l’amitié sociale et mon statut m’interdisent une telle approche. Aurais-je ajouté à mon nom le titre de « Père » dans le courrier que peut-être celui-ci aurait bénéficié d’une plus grande attention ? Une sérieuse réflexion sur le rapport des services de l’administration publique avec tout usager, quel que soit son statut, est important.
Rodrigue Gbédjinou,
Écrivain-Promoteur des Éditions IdS



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