C’était un jeudi après-midi. Je reçois un message de certains amis me proposant d’aller au cinéma pour regarder un tout nouveau film intitulé Un p’tit truc en plus et sorti le 1er mai dernier. Sans coup férir je suspends tout programme, j’accepte l’invitation, mû par la curiosité de découvrir ce p’tit truc en plus. Le film est une comédie mettant en scène un séjour de vacances pour quelques adultes porteurs d’un handicap mental.
Je crois que le 1er mérite du réalisateur Victor-Artus Solaro, c’est celui d’avoir osé : avoir osé produire un tel film, avoir osé mettre l’accent sur ce que les personnes porteuses de handicap peuvent avoir à transmettre et à proposer à une société qui les rejette, avoir osé placer le handicap au centre d’une société où la valeur de l’être humain se mesure (quasi) uniquement à l’aune de son efficience, de son efficacité voire de sa productivité économique : si tu n’es pas productif et si tu n’apportes rien à l’économie, alors, au mieux tu es mis en marge de la société ; au pire, tu te vois contester même le droit d’exister et de vivre comme si l’économie était une fin en soi : « l’économie et la finance n’existent pas pour elles-mêmes, elles ne sont qu’un outil, un moyen. Leur fin est uniquement la personne humaine et sa réalisation plénière dans la dignité. C’est là le seul capital qu’il convient de sauver » (Benoît XVI, Discours aux participants à la 45e réunion commune de la Banque de Développement du Conseil de l’Europe, Sala Clementina, 12 juin 2010).
Un autre mérite, c’est qu’il s’agit d’un film qui fait rire et sourire ! Rien d’étonnant pour une comédie ! Mais j’ai l’impression que tout en faisant rire et sourire, ce film pourrait aider à purifier et changer le regard que nous posons sur les personnes en situation de handicap. Au sortir de la salle de cinéma, un constat s’est imposé à moi : ces personnes humaines souvent stigmatisées comme ayant quelque petit truc en moins ont véritablement et incontestablement un p’tit truc en plus. Voir ce film a consolidé en moi quelques convictions :
La conviction que le contact avec les personnes fragiles peut être décapant ; ce contact peut faire peur parce que ces personnes nous livrent et nous délivrent un message sur nous-mêmes, sur ce qu’il y a de handicapé et de handicapant en nous. Les voir renvoie la plupart d’entre nous- de façon inconsciente parfois -, à ce que nous n’aurions jamais voulu être ou à ce que nous n’aurions jamais voulu avoir à vivre en famille ou dans notre rayon de relations intimes et très proches. Tout cela nous renvoie à nous-mêmes, à nos propres peurs, à nos imaginations etc.
Une autre conviction est qu’il n’y a d’étrange et d’étranger que celui que nous ne connaissons pas. Dès lors que nous entrons vraiment en relation et que nous commençons à découvrir une personne, nos appréhensions peuvent commencer à tomber. Ce film dure 1h39. Force est de constater que, si l’on le regarde avec un esprit d’ouverture et disponibilité de cœur, certaines idées reçues et préconçues peuvent fondre comme neige au soleil. Tant mieux si Un p’tit truc en plus réussit à ébranler en nous la violence de certaines habitudes à l’endroit de ces êtres vulnérables comme celles d’utiliser une toilette ou un parking “reservé handicapé” avec l’excuse déjà entendue : « C’était juste pour quelques minutes ».
Une dernière conviction : les différences sont une ressource et une opportunité, elles ne constituent jamais a priori un danger. Être différent ne signifie pas être menaçant. Les personnes porteuses de handicap, par leur ‘’lenteur’’, leur rythme et leur naturel parfois déroutant, nous obligent à ralentir le pas (dans tous les sens de l’expression). Avec elles, la gestion de l’imprévu et de l’inattendu est garantie. On ne peut pas avoir l’objectif d’aller vite si l’on accepte de marcher avec un porteur de handicap. Il faudrait accepter une renonciation salutaire à soi-même, à sa propre vitesse et aller au rythme de l’autre.
Enfin dire Un p’tit truc en plus, c’est sous-entendre qu’il y a d’abord un truc en commun, un dénominateur commun avec tous les autres. En commun, il y a, en effet, avant et après tout, la dignité de l’homme : « la dignité ontologique (…) concerne la personne en tant que telle par le simple fait d’exister et d’être voulue, créée et aimée par Dieu. Cette dignité ne peut jamais être effacée et reste valable au-delà de toutes les circonstances dans lesquelles les individus peuvent se trouver. » (Dicastère pour la doctrine de la foi, Déclaration Dignitas infinita sur la dignité humaine, 2 avril 2024, n° 7).
Félicitations à tous les mouvements et associations qui se battent par amour au service de ces personnes fragiles. A défaut de changer toutes nos attitudes, que ce film nous insuffle une once de bonne humeur et nous rende disponibles pour un regard nouveau sur les porteurs de handicap.
Un petit hic tout de même : beaucoup de gros mots et de vulgarités sont présents dans ce film, autant je le conseille aux adultes, autant j’ignore si je le recommanderais aux plus jeunes et aux enfants.
Abbé Frédéric Serge KOGUÉ
- 9 octobre 2024