Il y a 80 ans, l’armée française débarquait en Provence le 15 août 1944 pour libérer le pays du joug de l’Allemagne nazie. Cette armée, alors en pleine recomposition, était constituée en grande partie de soldats venus des colonies. Des dizaines de milliers de Marocains, de Tunisiens, de Sénégalais et d’autres. L’événement est petit à petit célébré également en Afrique, avec une volonté de mettre en avant le rôle important de ces colonies.
En Tunisie, un souvenir du quatrième régiment de tirailleurs
Parmi ces combattants, de nombreux étaient tunisiens, dont le quatrième régiment de tirailleurs a été félicité et décoré par le président américain Harry Truman. Le fils d’un d’entre eux, Néjib El Abed, entend perpétuer la mémoire de son père et de ses combats. Il lui a dédié un livre et garde précieusement les médailles et autres documents officiels relatant ses faits d’armes, comme il a raconté à notre envoyée spéciale à Sousse, Amira Souilem.
Les années passent et l’admiration reste : « la médaille de combattant, la médaille de la campagne de Tunisie… donc en tout une dizaine de médailles », énumère Nejib El Abed. Il considérera à jamais son père, l’adjudant-chef Ahmed El Abed, comme un héros qui a quitté femme et enfants pour libérer la France depuis le Sud.
« Ils sont partis directement à Orbey parce que le quatrième régiment de tirailleurs avait besoin d’eux. Et tout le monde se disait mais qu’est-ce qu’on est venus faire ici, qu’est-ce qu’on va trouver, est-ce qu’on va retourner au pays »
Décoré pour ses faits de guerre, le quatrième régiment de tirailleurs tunisiens a aussi perdu beaucoup d’hommes, selon le récit qu’en a fait Ahmed El Abed à son fils. À peine arrivé en France, tout juste débarqué, le colonel français en charge de son régiment met en garde Ahmed El Abed : « Il lui dit, "écoute, tu vas prendre la deuxième section, mais je préfère te dire une chose. Tous ceux qui ont pris le commandement de cette section sont décédés, sont morts". Il dit "oui, je sais, je suis au courant". Il se disait dans sa tête c’est un message de bienvenue extraordinaire cela », en rit aujourd’hui Nejib El Abed.
Mines, bombardements, attaques allemandes : cette expérience de quelques semaines dans l’est de la France et en Allemagne laissera des traces à vie chez le père de Néjib El Abed : « Quand il est décédé, il y a mon fils qui me dit, "tu sais pépé juste avant sa mort, il pleurait". Je lui ai dit "quoi, il pleurait ? Qu’est-ce que tu lui as dit ?" Il m’a dit : "il avait des larmes aux yeux, il avait tué trois Allemands". Personne ne le savait dans la famille, tout le monde pensait qu’il n’avait jamais tiré un coup de feu. »
Une mémoire dont Nejib El Abed espère que la Tunisie, comme la France se saisiront davantage. Cela pour que ne meure pas le souvenir de ces hommes qui ont – de façon volontaire ou contrainte – contribué à libérer la France.
Au Maroc, l’émotion chez l’un des derniers vétérans marocains
Dans les rangs de l’armée française en pleine recomposition, il y avait quelque 90 000 Marocains. L’un d’entre eux sort des commémorations du 80e anniversaire du débarquement de Provence décoré. Notre correspondant à Casablanca, Matthias Raynal, a pu le rencontrer à Casablanca, avant son départ pour les commémorations. Il est l’un des derniers vétérans marocains de la Seconde Guerre mondiale : Larbi Jawa va recevoir la Légion d’honneur.
L’Algérien Mohan Salah Hamrit se rappelle de combats auxquels « j’étais pas préparé, on venait d’Italie »
Parmi ceux qui ont contribué, Mohand Salah Hamrit, par exemple, est un vétéran algérien qui a fait la campagne d’Italie et qui de là a débarqué en Provence. Il y a 10 ans, en 2014, pour les 70 ans de ce débarquement, il racontait ses souvenirs de cette épopée combattante à Leïla Berrato.
Le caporal burkinabè Boakal Lourba se souvient de l’arrivée « à 4 heures du matin », après avoir été « recruté de force »
Le caporal Boakal Lourba, originaire du Burkina Faso, faisait partie de ceux qui ont débarqué sur les plages de Provence en 1944. Il a livré ses souvenirs à Camille Laurent, avec le soutien d’un traducteur.
Il dit qu’ils ont débarqué là-bas à 4 heures du matin. Ils ont quand même réussi à repousser l’ennemi, il y avait une très bonne entente entre tous les soldats avec les Français et les non-Français. Il dit qu’à cette époque, il n’y avait pas de volontaires, ils recrutaient les gens par force dans leurs villages. Il a été entrainé avant d’aller en guerre, comment utiliser un fusil, comment se cacher pendant le combat.
Le commandant Tiémoko Konaté, vétéran malien, se souvient du froid qui a failli lui coûter « deux pieds » lors de la progression des troupes vers le nord-est de la France
Le commandant Tiemoko Konate, vétéran malien, a participé aux opérations qui se sont poursuivies à l’intérieur du territoire français à la suite du débarquement de Provence. En 2010, pour la réalisation du coffret d’archives « Mémoires de tirailleurs », co-produit par RFI, il se souvenait du froid qui a durement frappé les troupes lors de la progression vers le nord-est de la France.
La famille du soldat guinéen Souleymane Diallo redécouvre son histoire malgré le manque de documents
En Guinée, de nombreux soldats ont également été impliqués, dont Soyleymane Diallo. Alors qu’il est décédé en août 1944 et que sa famille a vécu 80 ans sans autre document qu’un certificat de décès sans localisation précise, son petit-fils a pu retracer son histoire. Avec les commémorations du 80e anniversaire du débarquement de Provence, sa famille pourra se rendre sur place, rapporte Valentin Hugues.
Le consul général sénégalais à Marseille veut y récréer une statue en mémoire des tirailleurs sénégalais
Le Sénégal veut œuvrer pour la mémoire de ces soldats des anciennes colonies françaises, car elle a parfois tendance à s’estomper dans certaines régions de Provence. À Marseille, il n’existe guère de lieu qui rappelle la participation des soldats des anciennes colonies dans le débarquement de Provence. Pour y rémédier, le Consul général du Sénégal dans la cité phocéenne Abdourahmane Koita s’est lancé un défi : faire ériger une statue à Marseille en mémoire des Tirailleurs sénégalais, réplique d’une statue qui existe à Dakar.
Les lycéens sénégalais débarquent une nouvelle fois en Provence pour ensuite faire découvrir cet épisode à leurs collègues au pays
Au Sénégal, un groupe de lycéens sénégalais de Thiaroye, dans la banlieue de Dakar, essaie de perpétuer la mémoire de ce débarquement et des Sénégalais impliqués. Avec leur club de lecture et philosophie, ils ont travaillé sur le débarquement de Provence et certains participeront aux commémorations en France, alors que l’événement est très peu mentionné au Sénégal.
Ils sont neuf élèves autour de la table à avoir découvert cette journée du 15 août 1944 il y a quelques semaines. Découvert, car comme l’explique Ibrahima, l’un des élèves, à notre correspondant à Dakar Gwendal Lavina, « ici au Sénégal, on parle très rarement du débarquement de Provence. On a interrogé beaucoup de tirailleurs sénégalais, d’anciens combattants et même lorsqu’on était au musée des forces militaires, ils n’ont rien dit du Débarquement de Provence. Et à l’école non plus, on n’apprend pas le Débarquement de Provence. »
Un silence qui pèse sur Mamoudou, en classe de terminale : « C’est un sentiment de malheur, de frustration. C’est triste en quelque sorte que les tirailleurs aient participé au débarquement de Provence et nous, nous ne soyons pas au courant. »
Le club est donc l’occasion d’un travail minutieux, décrit par Sokhana, en seconde : « On a fait beaucoup de recherches, on a tout regroupé pour faire sortir l’histoire en vrai. Parce qu’il y a beaucoup de versions. Sur internet, tu vois ceci là et sur d’autres sites, tu ne vois pas la même histoire. On a regardé, questionné d’autres personnes et après, on a tout résumé. »
Ibrahima participe aux cérémonies en France et il compte bien en profiter pour discuter avec les lycéens français : « Nous souhaitons vraiment nous rendre dans ces lieux pour savoir comment eux ils interprètent l’histoire, qu’est-ce qu’ils ont compris. Et on compte échanger là-dessus pour voir la meilleure version : nous tenons vraiment à la réécriture de l’histoire. »
Une réécriture de l’histoire pour en faire leur histoire : c’est l’objectif de ces lycéens qui ont déjà prévu de faire découvrir cet épisode méconnu à leurs camarades dès la rentrée.
Source : rfi
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