Réuni ce lundi 4 mars en congrès à Versailles, le Parlement français a voté pour l’inscription de l’interruption volontaire de grossesse (IVG) dans la Constitution par 780 voix contre 72. Une première dans le monde. Reportage.
« Historique ». Ce lundi 4 mars, le même mot est dans toutes les bouches place du Trocadéro où quelques centaines de personnes sont venues assister en direct sur écran géant à l’inscription de l’IVG dans la Constitution. L’endroit n’a pas été choisi au hasard. Habituellement utilisée pour la retransmission des rencontres sportives, la place située face à la Tour Eiffel est aussi un haut lieu touristique. « C’est un message très puissant qu’on envoie aux femmes du monde entier », sourit Lola Paoli, chargée de communication à La Fondation des femmes, à l’initiative de l’événement avec la Mairie de Paris.
Mexique, Italie, Corée du Sud... Sur l’écran géant défilent des images de manifestations pro-avortement à travers le monde, tandis que les enceintes crachent Résiste, l’hymne de France Gall à la résistance individuelle. « Quand j’ai appris qu’un rassemblement était organisé ici, je me suis dit : "Il faut que tu y sois" », confie Danièle Lamendour, 70 ans. « J’ai envoyé une vidéo à ma petite-fille en lui disant que j’y allais pour elle. Je suis ici pour toutes les femmes en devenir. »
Loona Mourenas, elle, ne masque pas sa déception face à une foule qu’elle aurait imaginée plus importante. Les vacances sont terminées, mais tout de même... « Cela montre qu’il faut continuer à se mobiliser. Les gens pensent que le droit à l’avortement est acquis, mais le combat ne sera jamais terminé. Avec la montée de l’extrême droite, la menace sera toujours présente », avertit la jeune femme, première vice-présidente de la Fédération générale des associations étudiantes (Fage).
À 20 kilomètres de là, dans l’aile du Midi du château de Versailles, les 925 députés et sénateurs réunis en Congrès s’apprêtent à ajouter à l’article 34 de la Constitution un court alinéa, mais dont la portée est en effet historique : « La loi détermine les conditions dans lesquelles s’exerce la liberté garantie à la femme d’avoir recours à une interruption volontaire de grossesse. » Une première dans le monde, qui vient à rebours de plusieurs pays où le droit à l’avortement recule, notamment aux États-Unis ou en Europe de l’Est.
Cette modification nécessite les trois cinquièmes des suffrages exprimés. Mais depuis le vote à l’Assemblée nationale puis au Sénat, les jeux sont déjà faits. Ce vote au Congrès n’est plus qu’une formalité. « Il n’y a pas de suspense, mais le moment est crucial », a résumé lundi sur France 2 Yaël Braun-Pivet, première femme à présider l’Assemblée nationale, évoquant « un moment important pour les femmes du monde entier ».
La réunion du Congrès vient clore un processus entamé il y a 18 mois, après l’abrogation aux États-Unis de l’arrêt Roe v. Wade qui protégeait l’accès à l’avortement dans le pays. En ce mois de juin 2022, la décision de la Cour suprême américaine fait l’effet d’un électrochoc en France. Elle montre qu’aucune liberté n’est garantie ; un simple changement de majorité au Parlement peut conduire à sa disparition. La loi Veil de 1975, qui permet aux femmes d’avorter jusqu’à la fin de la quatorzième semaine ou pour des raisons médicales tout au long de leur grossesse, pourrait ainsi être menacée.
Sanctuariser le droit à l’IVG
Six propositions de loi sont alors déposées au Parlement pour sanctuariser le droit à l’IVG. Aurore Bergé, alors présidente du groupe Renaissance à l’Assemblée nationale, est la première à le faire en juin 2022. C’est finalement une proposition de la députée La France insoumise Mathilde Panot qui est débattue à l’Assemblée nationale puis au Sénat, où elle est amendée. Le « droit » de recourir à l’avortement, comme proposé par la députée LFI dans son texte, devient « la liberté de la femme de mettre fin à sa grossesse ». Le président Emmanuel Macron finit par se saisir du sujet et annonce le 8 mars 2023 un projet de loi visant à inscrire dans la Constitution « la liberté garantie » des femmes à recourir à l’IVG.
Le texte est validé sans surprise à l’Assemblée nationale le 30 janvier à 493 voix contre 30. Mais pour être porté devant le Congrès, il lui faut passer l’étape à hauts risques du Sénat, où le parti Les Républicains est majoritaire. Or le président de la Chambre haute Gérard Larcher, tout comme les chefs de file des sénateurs LR et centristes, s’y dit opposé, arguant que le droit d’avorter ne serait pas menacé en France. Le Sénat approuve finalement le projet de loi le mercredi 28 février, à 267 voix contre 50. Des sénateurs LR avoueront avoir cédé à la pression familiale.
Cinq jours plus tard, voilà donc le Parlement réuni à Versailles pour valider le changement constitutionnel, le vingt-deuxième de la Ve République. À la tribune, le Premier ministre Gabriel Attal commence son discours en reprenant les mots de Gisèle Halimi lors du procès de Bobigny, où elle défendait en 1972 une adolescente jugée pour avoir avorté après un viol. « Aujourd’hui, c’est une étape fondamentale que nous pouvons franchir. Une étape qui restera dans l’histoire, une étape qui doit tout aux précédentes », lance le chef du gouvernement.
« Nous avons une dette morale » envers toutes les femmes « qui ont souffert dans leur chair », ajoute le chef du gouvernement, entré dans le Palais accompagné de Jean Veil, fils de Simone Veil, qui avait porté en 1974 la loi légalisant l’avortement en France. « Nous donnons une deuxième victoire à Simone Veil », assure-t-il encore, avant de laisser sa place aux représentants des différents groupes politiques.
Ils sont 18 à se succéder à la tribune, dans l’ordre décroissant de leurs effectifs, pour expliquer leur vote, à raison de cinq minutes par personne. Beaucoup parlent de « victoire », quelques-uns regrettent un texte plus ambitieux. Anne-Cécile Violland, députée Horizons, assure que la loi que les parlementaires s’apprêtent à adopter « ne remet pas en cause la liberté constitutionnelle de conscience » des médecins et des sages-femmes, renforcée par la loi Veil de 1975. Dernier représentant politique à prendre la parole, le député Liot (Libertés, indépendants, outre-mer et territoires) Bertrand Pancher lance : « Il est vrai que personne ne remet ce droit en cause aujourd’hui, mais qu’en sera-t-il demain ? »
« Lever les obstacles »
Le scrutin est désormais ouvert. Il doit durer 45 minutes. Les parlementaires se rendent dans les salles voisines pour procéder au vote. Place du Trocadéro, Christine Villeneuve, 62 ans, déplore que le combat quotidien des citoyennes pour le droit à l’avortement n’ait pas été davantage salué lors des prises de parole. Militante au sein du Mouvement pour la libération des femmes (MLF) depuis ses seize ans, elle espère en tout cas que le vote du Congrès « permettra de lever les obstacles qui freinent l’accès à l’avortement ».
Car cette inscription de l’avortement dans la Constitution est surtout symbolique. Certes, elle complique l’interdiction ou les restrictions qu’une future majorité pourrait vouloir instaurer. Changer la Constitution nécessite de réunir le Parlement ou d’organiser un référendum. Mais dans les faits, l’accès à l’IVG demeure fragile et inégal en raison notamment des fermetures de centres IVG liées aux restructurations hospitalières, du manque de moyens, ou encore des résistances idéologiques de certains soignants.
Il est 18h45 et l’impatience gagne la foule désormais plus dense rassemblée place du Trocadéro. Sur l’écran géant, Yaël Braun-Pivet s’avance enfin à la tribune du Congrès pour proclamer un résultat sans appel : par 780 voix contre 72, pour 902 votants, la constitutionnalisation de l’avortement est définitivement adoptée. L’annonce est accueillie par une explosion de joie. De l’autre côté de la Seine, la Tour Eiffel se met à scintiller. « Cette victoire est la défaite des anti-choix et des anti-genres », savoure au micro une représentante du Planning familial, avant de céder la parole à la militante féministe et LGBT Alice Coffin. « Ce qu’on a fait en France, on doit le faire en Europe ! », lance-t-elle.
Venue avec des amies pour sentir qu’elle faisait partie « de ce tout qui a mené à cette journée décisive », Andrea Miladinovic prévient : « Tout n’est pas fait, ce n’est que le début. »
Source : rfi
- 1er octobre 2024
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