Le président sénégalais Macky Sall a annoncé ce samedi 3 février 2024 après-midi le report sine die de la présidentielle prévue le 25 février prochain. Une décision qu’il a justifiée par la crise actuelle, dont il espère sortir via un dialogue politique. C’est la première fois dans l’histoire du pays qu’une élection est repoussée. Que penser des arguments du chef de l’État ? Que peut-il faire par la suite ? Cette annonce peut-elle calmer ou au contraire tendre davantage la situation politique ? Babacar Gueye est professeur de droit constitutionnel à l’université Cheikh-Anta-Diop et président du Collectif des organisations de la société civile pour les élections.
Avez-vous été surpris par l’annonce de Macky Sall de reporter l’élection présidentielle ?
Babacar Gueye : Je n’ai pas été surpris, parce que depuis quelques jours, la rumeur circulait dans le pays. Mais je me disais à chaque fois : il ne va pas le faire, il ne peut pas le faire parce qu’il n’a pas les moyens de le faire, il n’y a pas de base juridique pour reporter l’élection.
Eh bien, cela démontre que finalement les institutions de la République fonctionnent correctement. Donc il n’y avait pas lieu de prendre une décision visant à reporter une élection - et ce n’est même pas « reporter », à stopper un processus électoral en cours, alors que rien ne le justifie.
Alors si elle n’est pas motivée, n’est pas fondée juridiquement ou que ses justifications ne tiennent pas, comment est-ce que vous expliquez cette décision ?
[Par] la volonté d’éviter que des élections ne se tiennent à date échue, peut-être parce que le candidat du pouvoir n’était pas en bonne posture. Depuis quelques semaines, ils veulent changer de candidat et sacrifier le Premier ministre.
Le Pastef a d’ores et déjà appelé à faire campagne comme si de rien n’était. Khalifa Sall a, lui, demandé aux Sénégalais de se lever contre cette décision. Qu’est-ce que vous pensez de ces réponses politiques ?
Ce sont des réponses politiques de candidats qui sont frustrés. Ils se sont dépensés sans compter depuis un an, depuis deux ans, ont dépensé beaucoup d’argent... Donc toute cette énergie, tout cet investissement qu’ils ont fait jusque-là finalement tombe à l’eau.
Vous pensez donc que les candidats de l’opposition ne participeront pas à un dialogue comme l’a promis le chef de l’État ?
Je ne sais pas trop. En tout cas, si c’est un dialogue comme les dialogues qui se sont déroulés jusqu’ici, je ne pense pas que l’opposition acceptera d’y aller. De toute façon, la société civile aussi posera ses conditions avant de participer à quelque dialogue que ce soit.
Cette proposition de dialogue, c’est un moyen de gagner du temps selon vous ?
Ça peut être un moyen de gagner du temps. Et de toute façon, si dialogue il doit y avoir, il doit rester dans les limites du mandat du président de la République. La durée du mandat n’est pas susceptible de révision, et on ne peut pas aller au-delà de cinq ans,
Le mandat [de Macky Sall] se termine le 2 avril. Le 2 avril, il n’est plus président. Il veut organiser un dialogue ? Alors que le dialogue soit organisé à l’intérieur de ce délai, et que le 2 avril, il quitte le pouvoir, comme cela est prévu par la Constitution. Sinon, on déboucherait sur un coup d’État constitutionnel.
Aller au-delà du 2 avril équivaudrait à réviser de manière irrégulière la durée du mandat du président de la République. Si c’est un dialogue sincère, si c’est un dialogue qui se tient très rapidement, pour rétablir ceux qui ont été spoliés dans leurs droits, si c’est un dialogue qui permet d’avoir une élection totalement inclusive avec la participation de ceux qui sont en prison en ce moment, alors ça peut être acceptable. Mais à condition que tout cela reste dans les limites de la durée de son mandat qui se termine le 2 avril.
Pourtant, il l’a fait. Comment est-ce que vous analysez cette décision ?
C’est une décision qui ne repose sur aucune base juridique valable, d’ailleurs, il n’invoque que l’article 42 de la Constitution qui fait de lui le garant du bon fonctionnement des institutions. Or, il se trouve que nous ne sommes pas en crise institutionnelle en ce moment. Les institutions fonctionnent bien, la justice fonctionne bien, le Conseil constitutionnel rend ses décisions, l’Assemblée nationale a créé une commission d’enquête parlementaire pour enquêter sur des cas de corruption supposés…
Source : rfi
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