Anicet Carlos Oké était sur l’émission ‘’ce qu’il fallait démontrer’’ ce jeudi. C’est une occasion pour l’analyste politique de passer au peigne fin l’actualité nationale. Entre autres, il s’est prononcé sur Boni Yayi qui a pris la tête du parti Les Démocrates et le retour des coups d’Etats en Afrique. Lisez plutôt !
Le parti politique Les Démocrates a procédé à la désignation de l’ancien Président à la tête de cette organisation. Surprise pour vous ?
C’est une demie surprise, parce qu’en réalité le président Boni Yayi était toujours dans l’arène politique. Il a peut-être formalisé quelque chose qui se faisait déjà dans l’ombre. Donc, ce n’est vraiment pas une surprise. Par contre, je me disais que son ancienne posture, ayant plus de hauteur, l’aurait peut-être amené à rester Président d’honneur. Mais il a décidé de rentrer dans l’arène. Cela pose tout de même un petit problème à la République. C’est que la République perd un grand médiateur potentiel. Nous avons beaucoup d’ingénieurs, de docteurs, d’agrégés, mais nous n’avons pas beaucoup d’anciens présidents de la République. On en a deux. Nicéphore Dieudonné Soglo, un peu écrasé aujourd’hui par le poids de l’âge et Boni Yayi que nous pensions encore avoir sous la main pendant au moins deux décennies à nous aider en tant que médiateur. Il ne peut plus être médiateur aujourd’hui parce qu’il a perdu sa neutralité en entrant dans l’arène politique.
Même en tant que Président d’honneur du parti Les Démocrates, il était déjà en bonne posture de médiateur.
Il est déjà dans la politique. Il ne pouvait déjà plus être un grand médiateur dans la mesure où il avait déjà un parti pris. Ce que la République perd, c’est un potentiel médiateur qui ne peut plus l’être, parce qu’il a choisi pour des raisons personnelles de quitter la posture d’ancien président, de neutralité, de sagesse, de lumière qu’il constituait pour rentrer dans l’arène politique et devenir un homme ordinaire comme les autres.
Oui, mais on a connu d’anciens présidents de la République qui ne se sont pas comportés comme des médiateurs. Les anciens Présidents Hubert K. Maga, Justin Ahomadégbé et autres qui avaient participé aux travaux de la conférence des forces vives de la nation, mais n’avaient pas joué le rôle de médiateurs. Boni Yayi n’est pas l’innovation
Non, mais il aurait pu décider d’être dans la posture de médiateur. Tout le monde aurait gagné, il aurait fait l’unanimité en étant médiateur.
Quand on regarde son inimitié avec Patrice Talon, peut-on espérer une neutralité de Yayi ?
C’est cela qui pose problème. Le fait qu’il veuille s’asseoir dans le fauteuil d’un président de parti pour les raisons de revanche ou d’affrontements par procuration, ne le grandit pas plus que la posture dans laquelle il était hier.
Mais les meilleurs médiateurs du Bénin ne sont pas forcément les acteurs politiques.
Nous n’avons jamais eu de bons médiateurs.
On a eu un bon médiateur, l’église, en 1990. Et après 1990, l’église s’est illustrée à maintes reprises pour nous montrer qu’elle était en mesure d’apaiser le climat socio-politique au Bénin
Pour la simple et unique raison que les médiateurs qu’on choisit au sein de l’église ont une certaine neutralité. Et c’est cette neutralité qu’il était important que Boni Yayi puisse garder pour la République. Mais là, c’est le contraire. Il a choisi ses intérêts personnels, il est descendu dans l’arène. Je ne sais pas trop ce qu’il va y gagner.
Le traitement réservé par le régime Talon à son héritage politique, social, économique lui permet-il d’être neutre quand on voit un peu tout ce qu’on dit de lui dans les médias ?
Il n’a pas de revanche personnelle à prendre par rapport au programme de son successeur. Il a déroulé son programme sur 10 ans, son successeur a proposé aux Béninois de rompre le programme qui a été déroulé sur 10 ans. Donc, il n’a pas de revanche à prendre.
Alors, qu’est-ce qui va changer dans la vie du parti aujourd’hui ?
Ce qui va changer, c’est qu’il y aura peut-être quelques frictions qui vont naître. De mon point de vue, je pense que Éric Houndete n’a pas été remplacé parce que Boni Yayi voulait être absolument président d’honneur. Je pense de ma part qu’on lui reprochait d’être un peu moins agressif, moins entreprenant dans le combat pour affronter le régime. Donc, si Boni Yayi s’assoit dans ce fauteuil-là, c’est pas pour que la République soit en paix. Je pense que ce qui va fondamentalement changer, ce sont les plans qui seront désormais un peu plus agressifs. Sur la scène politique, je pense que l’arrivée de Boni Yayi ne crée pas de problèmes particuliers, parce que nous avons des lois et que la République sait répondre lorsqu’elle est provoquée. Ce que les hommes politiques ignorent souvent, c’est qu’il y a possibilité de faire des contestations, des revendications, de l’opposition. Mais tout cela, il ne faut rien faire pour affronter l’Etat, parce qu’en voulant affronter le Président qu’on confond avec le Chef de l’Etat, on engage parfois des actions qui conduisent des gens en prison, car les méthodes utilisées sont des méthodes d’affrontements. S’il y a des manifestations interdites, il y a des raisons pour lesquelles ces manifestations sont interdites.
Je pense surtout à une chose. Boni Yayi a un caractère qui m’inquitète un peu. C’est qu’il agit par délégation, par procuration. Par le passé, quand j’ai observé l’homme lorsqu’il était président, vous verrez que quand un ministre tient des propos qui risquent de le rendre impopulaire, ce ministre est automatiquement désavoué. C’est arrivé avec Grégoire Akofodjo dans l’Affaire Dangnivo, avec Soumanou dans l’affaire du kpayo et avec d’autres.
Mais ce n’est pas sous Boni Yayi que des ministers ont été désavoués.
J’en viens au plat de résistance. Nous avons confié la gestion de nos ressources au Président Boni Yayi en 2006. Mais lorsqu’il y a eu des difficultés un jour, il est venu nous dire que le poumon de l’économie nationale a été concédé à une société privée. Il a dit que, pendant qu’il était absent, il n’a pas du tout su comment cela été fait dans son dos. En tant que premier responsable d’un pays, de tels propos le disqualifient automatiquement. La question ici n’est pas d’être honnête. C’est d’assumer sa responsabilité.
Que dira un président si ses ministres font le contraire d’une décision prise en conseil des ministres ?
Vous êtes un agent d’un groupe de presse. Reconnaissez-vous que vous avez des limites dans les décisions que vous allez prendre par rapport à votre directeur Général ? Il est donc impossible de le faire. Si Boni Yayi donne plein pouvoir à son Dg pour céder le port à un opérateur économique, c’est très dangereux. Un feu peut être allumé demain, dans le pays, que vous allez retrouver Boni yayi au Nigéria lever les bras au ciel en disant : “Bon Dieu, j’étais dans le champ d’Obasandjo en train de l’aider à compter ses bœufs et je ne sais pas comment cela s’est passé”.
On sait que très bien les acteurs politiques sont des manipulateurs. Il faut faire très attention aussi par rapport à leur comportment sur la place publique. On va observer un Eric Houndété qui a cédé son fauteuil a Boni Yayi. Est-ce pour vous une rétrogradation ou une prévue d’humilité ?
On parlerait d’humilité si Eric Houndété avait pris la décision par lui-même. Cela lui a été imposé. Parce qu’il y a eu un bras de fer au sein du parti où les gens ne voulaient pas du tout de Houndété. Il y a une aile qui voulait le faire partir déjà. Donc Boni Yayi a du être un peu comme un arbitre pour sauver les meubles. Mais en sauvant les meubles, il aurait pu jouer le médiateur et expliquer aux gens : « Nous avons déjà un président. S’il y a des griefs contre le président, on discute. Le président reste le Président ».
A-t-il engagé des tentatives de négociations ?
C’est pour cela que je vous dis que Eric Houndété n’a pas cédé le fauteuil de son gré, il l’a cédé de force. Or, Eric Houndété est un homme, un républicain. On ne peut pas l’attendre dans des démonstrations de forces contre un adversaire politique au-delà de ce que la loi autorise.
On l’a vu très hargneux et très décisif, lorsqu’il était député à l’Assemblée nationale contre Yayi
C’est pour ça que je vous dis qu’il est républicain. Etre teigneux à l’Assemblée nationale dans une démocratie, on ne va pas souhaiter mieux. Je crois que Eric Houndété n’a jamais vraiment été à l’aise dans son boubou de Président du parti Les Démocrates. Parce que, autrefois, vous avez vu qu’il était l’un des grands pourfendeurs du régime de Yayi. Donc, il savait de toute façon qu’il fallait que les choses changent et qu’il fallait que quelqu’un essaye de les changer. Mais pendant qu’on essaye de les changer, vous n’allez pas continuer de pourfendre. C’est un peu ça. Donc, il est dans une posture de quelqu’un qui sait qu’il faut que ça change.
On va s’interesser à la Force cauris pour un Bénin Emergent (Fcbe) qui était aux assises récemment et qui a beaucoup de reproches au système electoral qui prévaut au Bénin, la liste électorale. C’est quand même curieux que cela vienne de la part de la Fcbe
Ça n’a rien de curieux. Comme vous venez de le dire, les hommes politiques ont leur manière de changer de veste à tout moment. Je crois que c’est peut-être un congrès opportuniste. Et je crois aussi que c’étaient des reproches opportunistes. La FCBE n’était pas au départ parmi les personnes qui étaient fondées à critiquer les lois électorales parce qu’à un moment donné, cela leur convenait bien. Mais ils disaient : “ça ne nous convenait pas, mais on est quand même allés aux élections pour sauver les meubles”. Je ne pense pas qu’en politique, on se sacrifie pour que l’adversaire puisse prospérer, non je ne crois pas. C’est pour ça que je doute de la sincérité de la Fcbe. Il faut dire que les reproches qui sont faits sont, entre nous, assez pertinents, mais qu’ils soient portés par FCBE, c’est ça qui me pose problème. La FCBE est constituée de personnes qui avaient dirigé la République les 10 dernières années. Et aujourd’hui, elle ne peut pas se dédire par rapport au bilan des années Yayi. Les réformes ont été faites contre le courant auquel ils appartenaient à un moment donné. Ils se sont dit : “ça nous convient parce qu’on veut aller aux élections. Vous savez, la Fcbe ne serait pas allée à ces élections, son sort aurait été scellé depuis longtemps.
Les membres Fcbe ne sont pas non plus contents par rapport au système de parrainage. Ils redoutent le fait qu’une seule personne risque d’obtenir 95% des parrainages. Et c’était vrai, parce qu’en 2021, quelqu’un a eu les 4/5 pendant que d’autres candidats peinaient à en trouver 2 ou 3.
Ils n’ont pas tort, parce que les lois électorales ne sont pas très juste, ne sont pas équitables, telles qu’elles sont aujourd’hui. Il faut le dire. Mais nous n’avons pas un problème de lois. Le problème que nous avons, ce sont nos hommes politiques. Les plus belles lois de la République auront quand même des adversaires.
Le grief des Fcbe est pertinent
Toutes les lois qui existent sur cette terre sont potentiellement crisogènes. Mais celles qui sont relevées comme étant crisogènes sont relevées par les personnes qui ont la possibilité de créer une crise à partir de ces lois. Il n’y a aucune loi qui ne soit restrictive et qui ne soit contraignante. Le tout, c’est de savoir à qui ça profite et à qui ça ne profite pas. Mais comme on a donné aux hommes politiques la possibilité d’être critiques vis-à-vis des lois tant que ça ne les avantage pas, ils vont critiquer.
Paul Hounkpè reproche qu’on ne lui ait pas donné la possibilité de jouir de la position de chef de file de l’opposition
Il n’a pas tort. C’est un peu ça aussi ce que je vous disais. Au fond de lui, Paul Hounkpè sait qu’il ne mérite tout à fait d’être le chef de file de l’opposition. Il le sait. C’est une question de légitimité, pas que de légalité. C’est surtout une question de légitimité. Son parti n’a pas obtenu un score honorable. Parce qu’il n’y avait pas de concurrent du tout. Il sait très bien que s’il avait des concurrents. Il n’aurait pu jamais avoir cette posture.
C’est l’anniversaire du 26 octobre. Est-ce qu’il y a des souvenirs des époques de la révolution ?
Personnellement je garde beaucoup de souvenirs de cette époque, parce que je suis un peu comme un enfant de la révolution et avec du recul, j’ai des regrets, parce que je pense que nous avons laissé de beaux joyaux derrières nous qui auraient pu être de belles parures. Vous savez, quand j’avais 10 ans, on m’a fait faire la première formation patriotique idéologique et prémilitaire. On est venu m’arracher à mes parents pendant quinze jours pour m’enseigner la discipline, me donner le sens du patriotisme et j’ai été formaté pratiquement à ce moment. Parce que depuis, je ne suis plus le même, je ne suis pas le même homme que j’aurais pu être si je n’avais pas fait cette formation. Croyez-moi, quand je regarde certaines personnes aujourd’hui, des jeunes surtout, je me dis que nous sommes en train de perdre toute la jeunesse que nous aurions pu sauver et rendre patriote.
Ce n’est pas parce que dans les autres pays, il y a de la crise que cela devrait être pareil chez nous. Nous avons fait la révolution à un moment où aucun pays parmi ceux qui ont fait coup d’État n’avait encore identifié le problème. On va faire un peu d’histoire. Le 26 octobre 1972, quand l’équipe de la junte a pris le pouvoir, ils ont eu le mérite de dire très clairement pourquoi ils sont au pouvoir. Ils sont venus avec des idées très claires, c’est-à-dire quand on vient au pouvoir, il faut dire ce qu’on veut faire. Bien que je ne fasse pas l’apologie de la révolution, je regrette que les barons de la révolution n’aient pas laissé d’écrits pour l’histoire parce que nous avons vécu des choses que tout le monde a balayées du revers de la main à la conférence nationale des forces de la nation en disant que cette phase est terminée, on passe à autre chose. Dans le discours-programme, les révolutionnaires ont dit en une seule phrase pourquoi ils sont venus. La caractéristique fondamentale et la source première de l’aération de notre pays est la domination étrangère. Tous les autres problèmes qui en découlent n’ont pour fondement que ça. Ce diagnostic que les pays du Sahel sont en train de faire aujourd’hui a été fait en 1972. Et les révolutionnaires ne se sont pas contentés de faire le diagnostic, ils ont donné aussi la solution au problème. Il s’agira de liquider définitivement l’ancienne politique à travers les hommes, les structures et l’idéologie qu’il a apportée. Ce qui a suivi, c’est la nationalisation, on a même pris les écoles confessionnelles pour que les enfants du Dahomey ne continuent plus à être abrutis par les gens venus d’ailleurs, par la religion. À un moment, personne n’avait le droit de porter le costume dans ce pays par décision du gouvernement pour ne pas être identifié comme le produit fini de l’école coloniale. Au moins, il y avait de la clarté, de la précision et de la concision. Il y avait surtout une exhortation que personnellement je n’oublie jamais. Comptons d’abord sur nos propres forces, nos propres ressources et sur l’initiative créatrice des larges masses populaires.
Qu’est-ce qui a fait que tout cela a échoué en 1989 ?
Tout cela a échoué parce que la révolution a été asphyxiée de l’extérieur. Il n’y avait plus d’argent. Ce qu’ils ont dit au début, ça n’a pas continué longtemps. Aucun pouvoir militaire ne fait plus de 5 ans d’état de grâce. Il y a eu une certaine gabegie dans la gestion des fonds et beaucoup de désordres mais la révolution a été asphyxiée du dehors. Pour ceux qui se rappellent, le président a fait un voyage de deux semaines pour passer de pays en pays pour demander aux gens de desserrer l’étau. Mais cela ne s’est pas fait. Vous savez que pendant cette période, les étudiants béninois étaient formés dans les pays de l’Est c’est-à-dire en Russie, en Chine, en Corée, à Cuba... À un moment, on avait l’impression qu’on avait tourné le dos aux colonialistes et on avait vraiment enclenché une guerre contre le colonialisme, le néocolonialisme, l’impérialisme et autres. Mais tout cela s’est soldé à la conférence nationale parce qu’il y a avait un échec patent et on a tout balayé pour retourner en arrière. Mais le retour en arrière s’est fait au détriment de beaucoup de choses qu’on aurait dû sauvegarder. Je suis convaincu que pour gagner une génération, il faut la prendre à partir de 10 ans.
C’est curieux que les populations applaudissent l’avènement d’un coup d’État alors qu’on a vu les militaires échouer à Cotonou, au Zaïre.
En 1972, les gens s’étaient réjouis que les militaires aient pris le pouvoir, c’était une liesse populaire. Tout changement suscite espoir et conduit à une liesse populaire parce qu’il y a toujours des gens qui ne sont pas très contents quel que soit le régime. Mais l’état de grâce dure peut-être deux ou trois ans pour un président quel qu’il soit. Les militaires, après trois ou quatre ans, sont obligés d’entrer dans une dictature féroce s’ils veulent continuer à exercer le pouvoir. Si vous suivez ce qui se passe dans le Sahel, vous verrez que l’Etat ne va pas durer plus de trois ans quoi qu’ils puissent faire parce que déjà la coopération telle qu’elle était auparavant a été réduite avec les pays de l’Union Européenne et des organisations de la sous-région comme la CEDEAO. Déjà, vous aviez un flux d’argent, d’échanges, et vous êtes en difficulté. Mais quand vous cessez d’avoir ce flux, votre pays en subit les coups pendant une décennie.
Pensez-vous que Ibrahim Traoré a tort quand il dit qu’il faut arrêter les aides et qu’on n’en a plus besoin ?
Je vous ai dit que la révolution béninoise était la première à le dire et pendant ce temps tous les pays de la sous-région s’étaient désolidarisés et ça n’a pas fait long feu parce qu’il y a de gros intérêts qui sont dérangés. Les peuples ne sont pas encore prêts pour la révolution. Il y a quelques leaders éclairés qui émergent et qui ont envie de le faire mais la mentalité collective n’est pas encore préparée à faire ce changement. Nous au Bénin, avons évolué par rapport à la révolution, c’est-à-dire qu’il faut compter sur nous-mêmes, organisation des structures des femmes, de jeunes bâties sur le modèle socialiste pour que nous n’ayons pas besoin de continuer de solliciter de l’aide. Puis, le Programme d’ajustement structurel s’est imposé à nous. Mais à la conférence nationale, toute l’élite intellectuelle est revenue et a balayé du revers de la main tout cela en disant que c’est fini avec la guerre contre l’impérialisme. Et ça été suivi d’effet puisque les sociétés qui avaient été nationalisées, les écoles confessionnelles réquisitionnées ont été rétrocédées
Vous savez, c’est le président Pompidou qui en 1972, quand il est allé au Togo en contournant le Bénin avait fait son coup d’État, a enregistré de la part du président Eyadema une doléance par rapport à la libération du franc CFA. Il a dû lui dire mais vous voulez votre monnaie primée là, organisez-vous pour la prendre et en touchant quelques mots à des chefs d’État de la sous-région, ils ont eu l’idée de créer une communauté. Donc la première chose à faire, il faut déjà créer une communauté économique viable qui puisse avoir des agrégats économiques qui soutiennent la création d’une monnaie. Vous savez que quand on fait coup d’État dans un pays de la CEDEAO, ça nous éloigne de la possibilité de sortir du CFA. Parce que le pays qui subit ce coup d’État se retrouve isolé, la population avec tout le monde.
Est-ce que les options de la CEDEAO ne sont pas des options maladroites ?
Je pense que ce sont des options qu’on aurait pu assouplir ou étudier autrement parce qu’il y a de la régression. Les pays en question vont connaître de grands problèmes économiques, il n’y a rien à faire parce que l’économie c’est la science, c’est pas des incantations, c’est pas du bavardage. Si les agrégats macroéconomiques ne sont pas viables, notre économie n’est pas viable il n’y a rien à faire. Voilà que maintenant il y a plus de cinq coup d’Etat et c’est pour ça que la CEDEAO, à un moment donné, une réaction parfaitement virulente par rapport au Niger. Pour le premier coup, on pouvait se dire mais c’est préoccupant mais rien parce que en réalité les États ont concédé une partie de leur souveraineté à la CEDEAO mais par toute la souveraineté. Donc vous faites ce que vous voulez et c’est pour cela dans les pays où on fait tripatouillage de constitution, la CEDEAO n’a rien à dire. Dès lors que vous avez suivi le process, c’est qu’on a eu un référendum en ce sens où il y avait une majorité qui a dit oui, la CEDEAO n’a rien à dire. Mais alors quand il y a eu un deuxième coup d’Etat, ça devient préoccupant. Troisième c’est carrément inquiétant et quatrième il faut que ça s’arrête. C’est pourquoi la réaction de la CEDEAO a été graduelle. Je regrette beaucoup pour la CEDEAO parce qu’elle n’a pas un appareil pour communiquer avec la masse.
Pourtant n’est-ce-pas pas le chef d’Etat qui mettra tous les appareils de communication à leur portée ?
Je pense qu’il n’appartient pas à chaque Etat de communiquer chez lui par rapport à ce qui se fait à la CEDEAO. La CEDEAO elle-même doit avoir une machine de communication vers la masse pour mieux expliquer ce qui se passe afin d’être aboutissant des décisions qu’elle prend. Parce que la décision qu’elle a prise là, il n’y en a aucune qui soit véritablement à critiquer.
La démission d’Oswald Homeky et puis cette question de suscitation de candidature.
Ce qui est vraiment inattendu. On s’attendait à ce qu’il soit peut-être remercié à plusieurs occasions mais à cause de quelques rumeurs qui circulaient déjà et de ses décisions qu’elles soient politiques et même dans le chantier qu’on lui a confié. Mais ce n’est pas un remerciement qui est venu car c’est plutôt lui qui a claqué la porte.
Moi j’ai plutôt l’impression que c’est ce qu’on veut nous faire croire. Sinon ce que je vois c’est une manière élégante de faire sortir quelqu’un pour qui on a eu un peu d’affection. Oswald Homeky, c’est un jeune qui est brillant. C’est un jeune qui se fait respecter et qui sait d’ailleurs comment se battre, mais je ne me vois pas dans un rôle d’ingratitude, c’est ce qui coince dans ma gorge. Ça serait ingratitude de sa part de claquer la porte quand quelqu’un vous a fait ministre pendant 7ans. Peut-être qu’il est fatigué et il est allé voir son président pour dire je suis fatigué et les charges sont vraiment lourdes sur moi mais ce n’est pas un argument. Je pense bien qu’il s’est passé quelque chose et je pense que les autres ministres qu’on a sortis du gouvernement ont autant de délicatesse. Je pense qu’il bénéficie d’une certaine affection.
Et quel est ce problème qui pouvait arriver ?
Très honnêtement je ne peux pas le dire. Je pense qu’on nous a servi un décret avec cette affaire de suscitation de candidature et il y a quelque part de résistance qui n’est pas révélée.
Ce qui est curieux, c’est que l’UPR, le parti auquel il appartient ne dit rien, pourquoi ça ?
C’est vraiment curieux parce que si c’était une affaire de suscitation de candidature, ça serait l’affaire du parti, pas l’affaire du président. Le président en passant, peut l’engueuler et ça fait partir de ses prérogatives d’engueuler son ministre mais le reproche en lui-même devrait venir du parti politique qui doit appeler son membre et le ramener à l’ordre. Mais le parti ne l’a même pas fait ça veut dire que son problème n’était même pas si important pour que le parti en fasse l’ordre du jour d’une réunion. Donc c’est un peu ça, et je ne pense pas que ce n’est pas une raison pour claquer la porte du gouvernement.
Qu’est-ce que vous pensez du profil de son remplaçant ?
Vous savez, un ministre ce n’est pas lui qui travaille sur les dossiers, c’est un meneur d’hommes et vous pouvez voir notre ministre de la défense qui est un médecin. C’est un meneur d’hommes et le gouvernement a un programme d’action donc ce n’est pas le ministre qui vient avec son programme d’actions. Le gouvernement a un programme d’actions qu’il appartient au ministre de mettre en œuvre de manière organisée et rigoureuse, c’est tout. Pour la simple raison que les gens qui sont promus à ces postes n’ont aucune raison de démissionner à moins que vraiment il y ait un gros problème. Je pense bien que la réforme n’est pas mauvaise, c’est dans l’application, dans la mise en œuvre que ça coince un peu car tout homme qui détient un taux de pouvoir a toujours tendance à en faire un peu plus qu’on ne lui à donner le pouvoir. Et surtout les maires, s’ils avaient été élus après l’avènement des secrétaires exécutifs, ils s’accommodent un peu du pouvoir de ces secrétaires exécutifs mais ils étaient déjà en place. Ils avaient déjà des prérogatives pleines et on arrive un matin pour leur dire non, il faut les restreindre et à côté vous avez tel et tel avantage. L’habitude est une seconde nature et vu que le maire avait déjà l’habitude d’occuper pleinement l’espace, il est clair que si un fonctionnaire arrive et commence à lui dire, écoutez monsieur le maire, ça ce sont mes prérogatives, ça vous ne pouvez plus le faire, naturellement ça coince parce que de bout en bout, il y a des processus que le maire conduisait sans rien de tout ça. Toutes les lois sont a priori alors cette mandature aura peut-être des problèmes parce que les maires étaient déjà installés et le SE, c’est un fonctionnaire qui débarque, il n’est pas politique. Il fait attention à ce qui le rend impopulaire, à ce qui l’empêche d’avoir un gain politique.
C’est vrai que tout le monde appelle à une assise pour continuer à réfléchir sur les rapports que les SE devraient avoir les maires afin de leur alléger la tâche.
Ça ne pose aucun problème à personne de s’asseoir pour discuter. C’est toujours bon de s’asseoir et de discuter, d’évaluer un programme après un temps. Je pense que cette évaluation est nécessaire pour réajuster ce qui doit l’être afin que les choses marchent véritablement.
On a fait à peu près un an et demi. Il faut au moins 5 ans pour voir ce que cela peut donner.
Oui, on peut faire une évaluation à mi-parcours pour voir ce qu’il faut corriger. Il est arrivé qu’on soit obligé de modifier des lois en cours de processus électoral. Donc, pendant le mandat des maires, on doit aussi pouvoir, si nécessaire, faire les ajustements qu’il faut. Je pense que les réformes étaient pour la bonne cause. Puisque très peu de gens ont porté des critiques objectives sur les réformes. Mais le problème qui se pose dans la pratique, c’est un problème de guerre de leadership.
Le dernier sujet, c’est la mise sur pied d’un comité pour la mise en place des rites Vodoun. Comment appréciez-vous cette idée ?
Elle est formidable. Je ne sais s’il y a un mot pour le dire. Le président a été bien inspiré. Parce que nous avons beau être laïcs, mais tant qu’on ne fait pas la promotion des valeurs endogènes, on n’ira nulle part. Si le gouvernement décide, les autres religions vont lui demander de quoi il se mêle. Parce qu’ils ont leurs chapelles et savent comment ils s’organisent. Mais le vodoun, c’est notre identité. Quoiqu’on ait pu venir ajouter après, c’est notre culture. Nos ancêtres nous ont légué des valeurs très importantes qui sont immuables, contrairement à ce qu’on observe sous d’autres cieux. Ces valeurs ne changent pas, quel que soit le temps qui passe. Ce qui était sacré hier est sacré aujourd’hui et le restera jusqu’à la fin des temps.
À vous écouter, vous êtes très conservateur
Je suis très conservateur, parce que c’est tout à fait naturel de travailler à savoir qui on est. Je ne suis pas français, ni canadien, japonais. Je suis Africain, de surcroît béninois. C’est une identité. Comment est-ce que j’assume cette identité.
Qu’est ce que cela va changer à l’état actuel du vodoun ou la perception qu’on a aujourd’hui de ce culte ?
Rien ne changera du jour au lendemain. C’est clair. C’est de mettre la dimension intellectuelle et culturelle au service de la promotion du vodoun qui fait quelque chose de particulier. Les gens qui vont visiter le Bénin d’ici quelques années sauront quel pays ils visitent. Ils sauront ce que nous faisons. En réalité, le comité a pour mission de labeliser le vodoun. Et je trouve que c’est vraiment formidable.
Vu le profil qu’on a réuni, cela vous va ?
C’est pour cela que je vous parlais d’intellectuels qu’on associe à l’image de ce culte. Le vodoun est déjà devenu une matière universitaire.
Oui, mais les meilleurs connaisseurs ne sont pas aujourd’hui des universitaires. Il n’y a pas que les universitaires dans le comité. Il y a aussi des praticiens du vodoun issus de différentes obédiences.
Mais une localité réclame ne pas être représentée dans le comité…
Ce comité est chargé de faire un travail de valorisation de notre culture. Ce n’est pas un gouvernement du vodoun qui a été formé.
Ça m’a tout l’air, parce que c’est eux qui vont piloter les travaux, définir les politiques de valorisation du culte.
En réalité, à la fin, ils vont rendre compte des travaux à l’Etat. Mais ils ne vont pas créer un couvent qui va superviser les autres couvents qui sont au sein de la République. Non. Ils iront chercher la connaissance fondamentale qui existe. A côté de la connaissance, il y a des cultes occultes que les gens manipulent à tort et à travers et qui pourrissent complétement l’image du vodoun.
Si vous ne venez pas d’un milieu socio-culturel, c’est difficile d’avoir accès aux couvents. J’imagine difficilement un acteur intellectuel qui a accès aux couvents de vodoun, notamment ceux du nord Bénin.
Cela se fait. Parce que qu’il n’y a pas un milieu tolérant que celui du vodoun. Vous verrez rarement les adeptes du vodoun attaquer ouvertement les autres religions. Les Européens viennent tous les jours dans nos couvents. Donc, ce n’est pas un milieu assez fermé que je sache. Donc, je ne vois pas en quoi certaines localités ne soient pas représentées au sein du comité aurait des conséquences. Mais il est capital de comprendre pourquoi il est important de faire ça. Parce que nous sommes en train de perdre les valeurs que les aïeux nous ont léguées. Quand on a été élevé dans l’esprit de la connaissance africaine, il y a des choses qu’on ne peut pas faire. On ne peut pas s’amuser avec les ressources de l’Etat. On ne peut pas s’amuser avec la vie humaine. On ne peut pas devenir gayman par exemple.
Les sociétés africaines n’étaient pas parfaites par le passé…
Je ne dis pas ça non plus. Mais vous parlez de quand ? Même en 1970, on a perdu les valeurs. Nous avons déjà été colonisés depuis longtemps. Donc, ce n’est plus la même société. Voyez-vous ce qui se passe sur tiktok ? Dans un pays comme le nôtre, je suis révolté que le gouvernement laisse ce réseau social au nom de la liberté, la démocratie et les libertés individuelles. Je défends la liberté d’expression, mais je ne défends pas le libertinage. Il m’est arrivé quelques fois de faire un tour sur tiktok après 1 heure du matin, mais j’étais scandalisé. Si le gouvernement n’intervient pas pour mettre un terme à cette déliquescence morale, nous ne pourrons jamais rattraper ce qui sera détruit complètement. Il est important de le dire, parce que lorsque le président s’est lancé dans la chasse aux gaymans, nous avons tous applaudi. Parce qu’il n’est pas convenable que les enfants à qui nous allons léguer notre héritage, soient pour la plupart des délinquants financiers. Ce n’est pas normal. Si on laisse faire ce qu’ils font sur tiktok, on va tout droit vers la déconfiture totale. Ceux qui ont créé tiktok, ce sont les Chinois. Vous ne verrez jamais en Chine les jeunes faire ce que font les nôtres. Tiktok est un instrument de partage de la connaissance.
Transcription : la Rédaction
- 14 octobre 2024
- 11 octobre 2024