« Il faut voyager pour frotter et limer sa cervelle contre celle d’autrui », écrit Montaigne. Cette attitude permet de sortir de la vie autarcique mais ne doit pas empêcher les uns et les autres de s’afficher et de montrer qui ils sont. A sa suite Aimé Césaire déclare que « l’heure de nous-mêmes a sonné ». Que recouvre ce ‘’nous-mêmes’’ pour l’africain lambda par ces temps de grandes mutations dans la sous région ouest africaine ou l’institution communautaire, la CEDEAO est menacée de dislocation ? Que reste-t-il de l’héritage laissé par les pères fondateurs de cette organisation ? Puis, la question du parrainage de l’élection présidentielle 2026 et le toilettage des textes. Ce sont là autant de questions d’actualité qui préoccupent nombre de béninois. Nous les abordons dans cet entretien avec le promoteur de ‘’ l’heure de nous-mêmes a sonné’’ : Ousmane ALEDJI, écrivain, expert culturel et analyste politique.
Ousmane Aledji, comment comprendre cette problématique « l’heure de nous-mêmes » ?
Cela vient de l’immense Aimé CESAIRE. C’est la principale exhortation que j’ai retenue de ses discours politiques et de sa littérature foisonnante. Tant dans sa poésie que dans son théâtre, il célèbre presque toujours la dignité de l’homme. C’est une quête constante qui traverse toute la littérature de Césaire : Un ’’nous-mêmes’’ transcendant.
Est-ce un ‘‘nous-mêmes’’ autarcique, qui nous invite à nous passer des autres ?
Non, pas du tout ! Tout part du contexte et des coutumes qui lui sont propres. Il faut rappeler que les premiers étudiants noirs en Europe ont souffert du racisme et du mépris de leurs milieux d’accueil dont on peut dire qu’ils leur étaient hostiles. On en voit d’ailleurs encore les réminiscences de nos jours. Ou vous êtes des clandestins, ou vous êtes des migrants. On vous accueille avec des variétés de désinfectants pour vaches quand on a bon cœur et on vous convoie dans des forets insalubres entourées de barbelés en acier. C’est à toutes ces insultes que Césaire opposait de l’orgueil et de l’amour propre. Non pas le repli sur soi et l’enfermement. Il prônait l’appropriation d’une identité noire décomplexée dont nous sous estimions la puissance. Or, avant de s’imposer à autrui, il faut d’abord s’assumer soi-même.
Si ce n’est pas une invitation à un repli sur nous-mêmes, cela a tout l’air d’être du racisme inversé.
Non. Le racisme suppose le rejet de l’autre. Césaire prône un ’’nous-mêmes’’ global. Il exhorte au rééquilibrage des rapports entre les peuples, rééquilibrage aussi entre le Nord prédateur, opulent et surarmé - et le Sud totalement démuni et soumis. A cette époque, les révolutionnaires d’Afrique chantaient : « Prolétaires de tous les pays, unissons-nous ». Par sa littérature, Césaire disait à peu près la même chose mais, en mieux.
« L’heure de nous-mêmes a sonné », comme vous le dites, est donc une forme d’exhortation. Eh bien, avez-vous le sentiment que l’heure de nous-mêmes a sonné au plan politique en Afrique, par exemple ? Les africains d’aujourd’hui sont-ils moins naïfs et moins manipulables que leurs pères ?
Je pense que les temps ont considérablement changé. Heureusement pour nous. Les mentalités et les réalités en Afrique ont beaucoup évolué en peu de temps. Le citoyen africain n’est plus un disciple docile bouffe-tout. Aujourd’hui, vous demandez à un dirigeant africain d’ingurgiter des pierres, il va vous les mettre à la figure. Les complexes commencent à tomber et ceux qui les traînent sont plus visibles qu’avant.
Comment expliquez-vous alors le phénomène de l’esclavage en Lybie et les nombreux morts dans la méditerranée chaque année ?
L’africain d’aujourd’hui n’est plus celui qui baisse la tête et qui marche en regardant le bout de ses orteils. L’africain, le citoyen africain d’aujourd’hui, qu’il soit d’Afrique au sud du Sahara ou d’Afrique du Nord, il bombe le torse et discute avec ses interlocuteurs. Cela dit, des rêveurs, il y en a partout qui succombent à leurs rêves, victimes de leurs rêves. Les européens immigrent de plus en plus vers les États-Unis, vers le Canada et les pays pétroliers du Golfe. Les africains ne sont plus les seuls migrants. Et comme partout, parfois vous êtes victime de vos rêves. Attention ! Je ne dédouane pas les gouvernements africains de leurs incapacités à offrir des perspectives à leurs jeunesses. Ils savent qu’ils sont indéfendables. Mais, j’insiste, partir de chez-soi au péril de sa vie quand il y a tant de choses à faire chez-soi, c’est une option pour le moins discutable… Aimé Césaire dans tous ses discours, dans toute sa littérature, convoque la fierté, la dignité, l’orgueil, l’amour propre en nous. Tous les sentiments qui font de nous, des citoyens militants déterminés et incorruptibles. C’est un ‘’nous-mêmes’’ bâtisseur, debout, dressé comme un mur infranchissable.
Tout cela suffit-il à dissuader l’Occident ? Le rapport entre le Nord et le Sud n’a pas fondamentalement changé ; l’écart entre le Sud et le Nord semble même se creuser.
I ‘Occident commence à se remettre en question. Discrètement certes. Peut-être, trop discrètement pour qu’on s’en rende compte immédiatement. Mais, je suis persuadé qu’il invite dans des lieux clos, certains de nos dirigeants pour les écouter et pour actualiser ses discours et ses méthodes. Parce que devant lui, maintenant, il y a des peuples lucides, capables de discernement. Il faut être attentif à la jeunesse qui arrive, à cette nouvelle énergie qui émerge du continent africain. Nous le savons donc ils le savent.
N’êtes-vous pas trop optimiste ?
Autrement, je serais quelqu’un d’autre. Connaissiez-vous Kemi SEBA avant ? Je prends le personnage de Kemi Seba a titre illustratif. Qu’importe son origine et son âge. Je résume. C’est une vedette qui a fait sa réputation en s’investissant dans la conscientisation de la jeunesse africaine. Il parle aux sénégalais, aux ivoiriens, aux nigériens, aux maliens, aux camerounais etc. Les citoyens africains se reconnaissent dans son discours. A l’échelle africaine, on voit maintenant un panafricanisme actif et qui produit des résultats. On voit maintenant un panafricanisme qui éduque les citoyens africains à une prise de conscience. Il a suffi d’un leader engagé pour provoquer ce vaste mouvement d’éveil des peuples ici et là. L’actualisation même timide du CFA, c’est grâce à lui et à d’autres. Je n’invente rien. C’est factuel. L’autodétermination des peuples africains est en marche. C’est long. C’est lent. C’est lourd. Pour l’instant. Mais c’est irréversible.
On remarque ces dernières années, la résurgence des coups d’Etat en Afrique. Est-ce là, la manifestation du réveil général des peuples africains ? Comment expliquez-vous cela ?
Les coups d’Etat sont à condamner pour le principe qu’ils viennent renverser un ordre établi. Mais, quand nous prenons le Mali et le Burkina Faso, les coups d’Etat se sont faits au profit d’une politique citoyenne, et pour défendre les peuples. Au Mali comme au Burkina Faso, c’est d’abord les peuples qui sont descendus dans la rue. Ils ont même été réprimés dans un premier temps. C’est après que les militaires se sont rangés du côté des populations. Quand l’armée prend la défense de son peuple, elle devient légitime de fait parce qu’elle accomplit ce faisant, la mission régalienne pour laquelle elle a prêté serment. Le pouvoir qui en sort devient légitime de fait. Ecoutez, pendant 10 ans on a fait croire que la ville de Kidal était envahie par un groupe rebelle impitoyable. Personne n’a réussi à les déloger. Même pas les forces onusiennes surarmées. Le régime militaire au pouvoir à Bamako vient de le faire, en moins de deux semaines. L’orgueil est un très bon terreau pour tout citoyen ; quand il s’éveille en vous, les bassesses vous sont inacceptables, vous les combattez au péril de votre vie.
Comment ne plus accepter l’inacceptable maintenant que l’heure de nous-mêmes a sonné ?
Il y a un gros travail à faire. Réalisons que nous sommes piégés. Ceux que nous appelons par exemple, les économistes chevronnés, sont captifs d’un système auquel ils sont redevables pour avoir légitimé leur pseudo science. C’est d’abord pour ce système qu’ils travaillent et c’est d’abord à ce système qu’ils rendent des comptes. Vu que ce système a lui-même besoin de s’alimenter, il utilise les nôtres comme ses agents et ses complices. C’est, me semble-t-il, l’un des premiers pièges dont il faut se dépêtrer. L’argent gouverne le monde. S’ils gardent la main sur nos économies, nous aurons du mal à nous épanouir dignement. Ceux qui viennent imposer à nos dirigeants des programmes d’austérité inacceptables et inapplicables chez eux, utilisent nos frères. Ce modèle est dupliqué dans d’autres secteurs ; dans presque tous les secteurs. Nous sommes pris dans une série de pièges. Il nous faudra du temps pour y arriver. Ne soyons plus les naïfs ni les dupes des marchés qui se concluent sur notre dos.
Ceux qui doivent nous amener à sortir des pièges, à nous guérir de nos complexes, sont les mêmes qui nous y maintiennent ; c’est un paradoxe. Pourquoi ?
C’est de la trahison bien rémunérée. Je crois qu’ils le font parce qu’on ne leur laisse pas le choix. Nul ne sert deux maîtres à la fois.
Que faire donc ?
Le ’’nous-mêmes’’ fondateur peut devenir notre bréviaire. Le drame de ce monde est que les gens qui croient être aux commandes du monde sont insatiables et ils ont une capacité de nuisance illimitée. Nos plus hautes autorités à elles seules ne pèsent pas. Il faut une conscience citoyenne collective élevée pour leur faire face, des peuples debouts prêts à en découdre avec la bête, d’où qu’elle vienne. C’est pour cela que je saluais tantôt le travail des éveilleurs de conscience comme notre frère Kèmi Séba.
Avec votre permission, nous allons changer de sujet. Le Niger, le Burkina Faso et le Mali tous membres de la CEDEAO claquent la portent de l’institution sous-régionale ; qu’en dites-vous ?
De mon point de vue, la naissance de l’Alliance des Etats Sahéliens (l’AES), est une excellente nouvelle. Cette alliance constitue un territoire d’expérimentation de l’autodétermination des peuples africains. Je peux pense qu’une nouvelle classe politique va émerger de cette action. Des nouveaux leaders idéalement portés par une jeunesse plus engagée avec une nouvelle mentalité. Quelques dynamiques nouvelles aussi, aux plans culturel, économique, et social vont également émerger. Je l’espère. Dans tous les cas, l’AES ouvre des perspectives nouvelles à leurs populations et à la jeunesse africaine dans son ensemble.
Ces Etats sont-ils à encourager ; ont-ils bien fait ? N’est-ce pas prendre trop de risques pour un salut incertain, flou, sans garantie ? Les régimes en place au Niger, au Mali et au Burkina-Faso sont tous issus d’un coup d’Etat ; ils pourraient se retrouver menacés à leur tour par des coups d’Etats ; la stabilité de ces pays n’est pas pour demain.
Oui en effet ! Il s’agit quand même d’enjeux politiques et géostratégiques et d’intérêts financiers colossaux. Les trois pays de l’AES menacent qui ? Personne. Que font-ils de mal ? Rien. Pour l’instant, rien. Ils récupèrent leurs territoires, ils chassent les djihadistes et les prédateurs qui siphonnent leurs ressources, ils annulent des contrats et des accords commerciaux obsolètes ; ils refusent l’assujettissement à des puissances étrangères dont nous connaissons le mépris et l’arrogance. Quoi de plus normal ! Comment ne pas soutenir et encourager des leaders qui vous rendent votre fierté en risquant leurs vies ? Et, je suis d’avis avec vous que le risque qu’ils prennent est grand. Je devine qu’ils subissent déjà les chantages et les dragues les plus nauséabonds. Mais visiblement, ils savent y faire face parce que ce ne sont pas des enfants de chœur non plus. Ne fait pas un coup d’Etat qui veut.
Il semble qu’ils obéissent à la télécommande de la Russie. C’est aussi votre avis ?
Il y a des maitres, il y a des partenaires. Entre les deux, vous choisirez quoi ? Il me semble que la logique de la télécommande relève de l’intoxication pure et simple. Nous n’en sommes plus à cette étape. Je crois, du reste, j’espère que le temps des leaders africains marionnettes est totalement révolu. A la différence des maîtres dont nous subissions les diktats, les partenaires dialoguent et commercent. C’est à un véritable changement de paradigmes que nous assistons. Aujourd’hui un chef d’Etat africain sait montrer la porte à un coopérant ou à un ambassadeur accrédité comme tel chez lui. Cela à l’air banal aujourd’hui mais dans le temps, c’était inenvisageable. Le respect ne se négocie pas, il va de soi. Sinon, la porte !
Des pays sahéliens qui s’isolent des pays côtiers, cela provoque une rupture brutale entre les peuples, puis, comment vont-ils faire pour s’en sortir sans les couloirs d’accès à la mer ?
Ce ne sont pas les pays ni les peuples, ce sont les dirigeants qui se retirent. Je fais une nette démarcation, entre le peuple, les dirigeants et les organisations régionales. Les togolais, les nigérians, les béninois ou encore les sénégalais ne voient surtout pas les Burkinabè, les maliens ou les nigériens comme des pays et des peuples à combattre. Les dirigeants prennent parfois des décisions sous pressions, sous influences diverses, répondant parfois à des enjeux très peu perceptibles, donc difficilement défendables. Les peuples, eux se parlent, se soutiennent. Ils se désolidarisent même ouvertement de leurs dirigeants quand ceux-ci franchissent certaines lignes. On l’a vu dans le cas des menaces d’intervention militaire de la CEDEAO au Niger, la levée de bouclier était générale et spontanée. Maintenant, la question de l’accès à la mer est réelle mais là aussi on assiste au développement des trafics et des contrebandes au niveau de nos frontières. Bref, les peuples ne sont pas dupes.
Pour la préservation de l’unité sous-régionale, que doit faire le CEDEAO ?
La démarche actuelle du Bénin est la bonne. Dans leurs différentes interventions on note une certaine subtilité. Mais cette approche va-t-elle changer quelque chose ? J’en doute fort. Mon souhait est que ces pays aillent plus loin, en créant leur monnaie. Qu’ils rejettent les frontières coloniales et les drapeaux verts – jaune – rouge pour tout le monde. Nous voulons que nos produits circulent librement, que les droits de douanes soient supprimés entre les États de l’alliance. Etc…
Cette alliance n’a-t-elle pas vu le jour dans un esprit de vengeance contre la CEDEAO ?
C’est une question de survie. Soit-ils faisaient ça, soit ils tombaient en ruine. On vous dit que votre argent à la BCEAO est bloqué, vous ne pouvez pas payer le salaire des agents permanents que vous employez. Vous ne pouvez pas équiper vos armées pour défendre vos peuples. C’est quoi cette blague ? Personne ne veut demeurer esclave.
Lionel Zinsou dit qu’il est impossible pour ces pays de s’isoler, êtes-vous de son avis ?
Au plan politique, tous les peuples du monde sont souverains. Ceci est reconnu par les Nations Unies et figure dans toutes les constitutions du monde. Il ne s’agit pas de narguer les pays limitrophes. Il s’agit de prendre son autonomie. M Zinsou s’exprime peut-être en termes de marché, de monnaie, de circulation de produits. Mais lorsqu’on prend les trois pays de l’AES, s’ils arrivent à frapper leur monnaie, ils auront un marché intérieur d’à peu près 100 millions d’habitants qui s’ouvre sur l’Afrique du Nord, notamment l’Algérie et le Maroc. Si par le Sud, les pays du golfe de Guinée gardent leurs frontières fermées, ils feront avec les pays du Nord. C’est aussi simple que cela. Et tenez vous bien, le Maroc a un accord de libre échange avec certains pays européens. Donc faisons attention. Mais, je ne crois pas que nos frontières resteront fermées bien longtemps.
Quel est le rôle de l’Union Africaine dans cette situation ?
Je crois qu’elle se réjouit en secret. Je le pense vraiment.
Quel avenir pour la CEDEAO
Elle s’est réduite maintenant à 12 pays membres pour de bon, je le crains. Elle peine à reconnaître que ses mécanismes sont obsolètes et ses dirigeants actuels sont moins militants que leurs pères. Bref ! La preuve est faite que la CEDEAO est de plus en plus impopulaire. Il me semble qu’elle s’est sabordée par sa politique de ‘’double standard’’ et en laissant des puissances étrangères s’immiscer dans ses affaires.
Pourquoi vous ne vous prononcez plus sur l’actualité nationale ?
Parce que je fais la politique certes mais je ne suis pas politicien. Je ne suis pas un carriériste. Attention, ce n’est pas un procès d’intention. Il nous les faut, des politiciens. Je dis juste que je n’en suis pas un, pas encore. Même si je fais la politique activement depuis bien plus longtemps que certains parmi eux.
Tous les citoyens pourraient dire la même chose et abandonner le pays aux mains des seuls politiciens.
Cela est peu probable. Mais, pour vous dire la vérité, le débat de qui va parrainer et qui ne doit pas parrainer les présidentiables est trop pauvre à mes yeux. Beaucoup trop pauvre pour qu’on aille toucher encore à la Constitution. Un Président, c’est avant tout un leader, une incarnation, un porteur de visions, de rêves et de solutions. Où sont-ils ? Connaissez-vous déjà des candidats, que dis-je, un candidat déjà pour 2026 ? Il s’est déclaré où et que nous propose-t-il ? Au lieu de débattre de visions prospectives fécondes entre acteurs politiques et citoyens, nous débattons de ‘’petiteries’’. Et bien souvent, ce sont les ‘’petiteries’’ qui nous mènent dans les gouffres et les pétrins. Je refuse d’y participer.
C’est la cour constitutionnelle qui a fait injonction à l’Assemblée Nationale de régler les questions techniques liées à l’égalité des parrains. Les députés n’ont pas le choix.
Alors qu’ils obéissent à la cour constitutionnelle et qu’on passe à autre chose. Parlant de la cour constitutionnelle, je me demande pourquoi on en change les membres tout le temps.
C’est la loi qui le prescrit.
Alors qu’on y pense quand on se décidera par consensus à retoucher encore à la loi. Je suis choqué de voir des références scientifiques de réputation internationale comme Robert Dossou, Théodore Holo, Abraham Zinzindohoué, Philippe Noudjènoumè, Elisabeth Pognon, Ahanhanzo Glèlè bref… que tout ce beau monde soit envoyé à la retraite alors que le pays en a encore visiblement besoin. Pourquoi ne pas faire des membres de notre cour constitutionnelle, des membres à vie ? N’atterrit pas dans une cour constitutionnelle qui veut. On peut s’inspirer du modèle américain et l’adapter à nos réalités.
Cela règlerait quels problèmes selon vous ?
La question des décisions discutables et des revirements jurisprudentiels serait réglée. Il y a aussi la question de la redevabilité du juge constitutionnel. Chez nous on les vire trop facilement je trouve. J’ai le sentiment qu’ils sont peu ou prou, tributaires des humeurs et des appréciations de ceux qui les nomment et de ceux qui les désignent, donc ils ont intérêt à les satisfaire s’ils veulent avoir un second mandat. Ce qui se passe au Sénégal doit nous interpeler. La crise que traverse le Sénégal vient des soupçons de corruption de quelques membres de leur conseil constitutionnel. Des juges constitutionnels à vie, sont normalement hors de portée de tout et de tous. Normalement. Les sages de la Cour ne devraient rien craindre pour fonder leurs jugements qui sont, soit dit en passant, sans recours, donc implacables et irréversibles. Comment peut-on changer des gens avec de tels pouvoirs tout le temps dans un pays qui se veut stable et paisible ?
On pourrait aussi craindre que parce qu’ils sont dans ce rôle à vie, qu’ils ne craignent plus rien et qu’ils entrent dans des compromissions dommageables pour notre édifice démocratique ?
Non. Absolument aucun risque ! Vous voyez ce profil là dans la liste que je viens de dresser spontanément ? Ce sont des personnes très respectables, qui ont parcours public connu, qui sont plus soucieux de leurs réputations que de toute autre considération. C’est surtout pour cela qu’on les appelle ‘’les sages’’. Ce n’est pas seulement parce qu’ils sont des techniciens rompus, d’ailleurs ils ne sont pas obligés d’être tous des juristes de haut niveau. Nous venons de perdre coup sur coup messieurs Jérôme Carlos et Paulin Hountondji. Vous imaginez tous ces messieurs là dans notre cour constitutionnelle, le prestige et le respect que cela aurait donné à notre pays ? Nous aurions eu des grands hommes et des garants dont personne ne doute de la sagesse pour protéger et asseoir notre démocratie jusqu’à leur mort. Au lieu de cela, nous les rangeons, nous les abandonnons à l’ennui et à des morts bizarres. Ici c’est le Bénin.
Ousmane ALEDJI, votre mot de fin
La paix et le pain pour le peuple béninois. Je vous remercie.
Entretien réalisé par : Lucien DOSSOU et Isac YAI
- 14 octobre 2024
- 11 octobre 2024