La tragédie de Thiaroye 80 ans après : une lueur d’espoir pour le rétablissement des faits selon François Abiola

27 novembre 2024

Les africains se convainquent au fil des années, que les souffrances vécues par leurs parents du fait de la traite négrière, de la colonisation et de la condescendance méprisante qui est poursuivie encore à leur endroit dans la gouvernance du monde ne peuvent les laisser indifférents. Personne n’est anti occident comme on tente de le prêter aux mouvements auxquels nous assistons un peu partout actuellement dans plusieurs pays en Afrique. C’est pour cela qu’il faut considérer la décision de la France de reconnaitre les tirailleurs massacrés à Thiaroye le 1er décembre 1944 comme « morts pour la France » importante, malgré ses limites. Elle fait partie du nouveau contexte des relations entre la France et ses anciennes colonies.
Il faut y associer la déclaration le 1er octobre 2024 de la hiérarchie de l’Église catholique relativement à sa position dans la traite négrière. On se rappelle de la Bulle du Pape Nicolas V du 8 janvier 1454 qui a eu pendant des siècles des conséquences désastreuses sur les Africains » (web, 2021). Akam AKamayong (2021) dans un article avec pour titre « le 8 janvier 1454, l’Église catholique et le Pape Nicolas V bénissent l’esclavage et la traite négrière » rapporte : « L’Église catholique a joué sur un triple registre négrier, en co-produisant une idéologie de légitimation de la traite et de l’esclavage des Africains et de leurs descendants ; en s’impliquant directement dans le partage des prédations négrières ; enfin en étant bénéficiaire économique et confessionnel de la traite négrière ».
L’autre évolution est venue le 26 octobre 2024 des îles Samoa en Océanie où s’est tenu le 75ème sommet du Commonwealth. A l’occasion, les participants ont reconnu que le « temps est venu » de discuter de l’héritage de la traite négrière. Plusieurs anciennes colonies souhaitent en effet « que le Royaume-Uni et d’autres puissances européennes versent une compensation financière pour l’esclavage ou qu’elles fassent au moins amende honorable sur le plan politique » (web, 2024). On estime que la Grande-Bretagne a fait venir environ 3 millions de personnes, principalement d’Afrique de l’Ouest vers ses colonies des Caraïbes et des Amériques pour y cultiver du tabac, du coton et du sucre. Ces produits auraient aidé la Grande-Bretagne à faire fortune et lui auraient permis de faire avancer la révolution industrielle (web, 2024). Un extrait de la déclaration du 75ème Sommet du Commonwealth est bien explicite à ce propos : « Les pays membres du Commonwealth, dont la majorité partage les mêmes expériences historiques de ce commerce odieux de l’esclavage, de la colonisation et de la dépossession des peuples indigènes, reconnaissent l’importance de cette question...il est temps d’ouvrir la discussion sur ces torts et sur les perspectives d’un avenir commun basé sur les principes d’équité ».
La commémoration de ce qu’on peut qualifier de la tragédie de Thiaroye 80 ans après, doit donc être vue dans un contexte plus global de prise de conscience collective, expression du réceptacle de tous ces mouvements qui dénoncent les douleurs ancestrales et en même temps l’engagement de beaucoup parmi nous à appeler au refus de continuer de subir.
C’est dire que la portée historique de l’événement qui aura lieu le 1er Décembre 2024 à Thiaroye au Sénégal va bien au-delà de cet endroit qui doit incarner désormais le début du processus de la construction du renforcement de notre dignité et de la considération que le monde entier nous doit. On peut dire la même chose d’autres lieux comme la porte du non-retour à Ouidah au Bénin et la maison des esclaves de Gorée au Sénégal.
Cette note aborde quatre des éléments qui peuvent être évoqués comme principaux dans la considération de la portée des commémoratifs du massacre du 1er Décembre 1944 : un anniversaire pas comme les autres.

I. Le 1er Décembre 2024, une commémoration de haute portée historique pour le peuple africain en général : la décision française du 18 juin 2024 associée à la déclaration de la hiérarchie de l’Église catholique du 1er octobre 2024 et à la déclaration le 26 octobre 2024 du 75ème sommet du Commonwealth.
Le 18 juin 2024, l’Office national français des anciens combattants et des victimes de guerre (ONaCVG) prend la décision de portée historique élevée pour disons-le sans hésitation, le monde entier : des tirailleurs sénégalais sont « morts pour la France » le 1er décembre 1944 à Thiaroye. Le chemin a été long mais tout doit continuer (pour ne pas dire que la lutte doit continuer) pour le renforcement de l’honneur et de la dignité de tous ceux-là qui ont tant souffert dans le processus de la construction de la France et du monde occidental. Nous avons apprécié les gestes émouvants du Président François Hollande lors de sa visite le 30 novembre 2014 au cimetière de Thiaroye mais nous avions pensé avec conviction qu’il avait fait le service minimum. Je voulais a-t-il déclaré, « réparer une injustice parce que les évènements qui ont eu lieu ici sont tout simplement épouvantables, insupportables. Et la France se grandit chaque fois qu’elle est capable de porter un regard lucide sur son passé ». Il a remis à l’occasion une copie des archives françaises sur Thiaroye au Président Macky Sall. Comme l’a dit ce jour-là le Président Sall, « Nous sommes ici sans ressentiments, pour reconnaître et rappeler notre histoire commune afin que vive la mémoire des tirailleurs et qu’elle soit préservée de l’oubli ».
Je suis sûr que le discours prononcé le 29 octobre 2024 devant les membres des deux Chambres du Parlement réunis dans le cadre d’une séance conjointe par le Président Emmanuel Macron a été bien suivi. Un extrait n’a pas échappé à notre attention je cite : « Quand la France se tourne vers ses quatre-vingts dernières années de relations franco-marocaines, c’est d’abord de la gratitude qu’elle ressent pour tous ces hommes venus du Maroc pour libérer notre patrie du joug de l’occupant, en Provence, dans la vallée du Rhône, mais aussi sur tous les autres théâtres où les forces françaises libres furent engagées. Partout, la chéchia et la ceinture écarlate des tirailleurs devinrent synonymes de bravoure et de sacrifice. Partout, les goumiers et les tabors ont payé le prix du sang pour notre liberté, comme le fit le général de Gaulle en reconnaissant le Sultan Mohammed V comme compagnon de la Libération ». Beaucoup de nos compatriotes ont donc bien raison de se frotter les mains face aux nouveaux développements des relations qui sont en train d’être constatés notamment entre les occidentaux et les africains.
Le chemin a été réellement très long et dans la douleur. Nous disons tout simplement pour ce qui nous concerne, « Nous voulons en savoir plus », sans animosités. C’était le titre de l’intervention que j’ai donnée à l’occasion d’un colloque de l’Académie nationale, des Sciences, Arts et Lettres du Bénin le 18 décembre 2023 à l’Université d’Abomey-Calavi pour encourager à la « Réécriture de l’Histoire du Bénin ». Je me permets d’en livrer ici quelques extraits du fait me semble-t-il de leur pertinence pour la préoccupation en cours :

« Nous voulons savoir
Oui nous voulons vraiment savoir :

Savoir à propos des trois phases de ce qui nous est arrivé et que nous vivons encore, de la traite négrière à la néo colonisation en passant par la colonisation.
Lorsqu’à un moment donné, des hommes ont voulu développer leur pays à moindre coût pour eux, ils sont venus chercher d’autres hommes dont ils ont supprimé l’humanité pour qu’ils aillent travailler pour eux dans des conditions horribles. Pour les acheteurs, ceux-là n’étaient pas des hommes mais des objets. Oh ! Comment Dieu a-t-il pu lui-même mettre une âme dans un corps aussi noir avions nous d’ailleurs entendu ironiser. C’était la douloureuse période de la traite négrière. On venait les chercher comme des objets dont on pouvait faire ce qu’on voulait.
Lorsqu’ils ont voulu faire la guerre à des occupants pour les aider à la libération de leur territoire, ils sont venus les chercher par la force mais n’ont pas hésité à pratiquer le moment venu, leur idéologie de blanchissement et à les embarquer le 5 novembre 1944 de Morlaix dans le Finistère français pour Thiaroye après leur avoir miroité ce qu’ils n’auront jamais, Thiaroye où ils sont arrivés le 21 novembre 1944.
Nous voulons savoir si les concepteurs de la civilisation dite dominante se rendent compte de la détermination des dominés d’hier à prendre désormais en main leur histoire pour éviter que ne se poursuive si subtilement, la propagande de cette Afrique qui n’aurait pas d’histoire. C’est vrai l’histoire écrite par eux n’est pas véritablement la nôtre. C’est pourquoi nous voulons la réécrire.
A l’école écrivent des propagandistes, l’américain apprend son histoire, il a des références, il apprend qu’il est le meilleur, il apprend que sa liberté est le fruit du sacrifice de ses ancêtres. Mentalement, il devient très fort et prêt à conquérir le monde. En réalité, l’Anglais et l’Histoire américaine sont les deux matières quasiment obligatoires dans toutes les “High schools” (web, 2022). Nous avons nous aussi besoin de notre histoire, racontée par nous-mêmes.
A l’école, le français aussi apprend que sa liberté est le fruit des conquêtes menées par ses ancêtres, un peu partout dans le monde. Les défaites de ses ancêtres sont savamment arrangées et valorisées. Finalement, il devient fort, apprend à avoir confiance en lui-même et prêt à perpétuer l’œuvre de ses ancêtres. Là aussi l’histoire est une matière-clé pour les citoyens français. Nous savons l’orientation qui a été donnée à l’école avec leur arrivée chez nous.
Par ailleurs que répondre à ceux qui propagent que l’africain y compris le peuple béninois avait toutes les qualités sauf celles d’être courageux sous la colonisation. On va même plus loin en disant par endroits que c’est un peuple peureux. Les faits ne sont-ils pas là qui prouvent la bravoure de nos ancêtres face à l’administration coloniale : Béhanzin, Kaba, Bio Guerra, Adélakou Adélou, Otoutou Biodjo pour ne citer que ceux-là et ne prenant que le cas du Bénin. Nous voulons magnifier les prouesses de nos ancêtres.
« La lettre de Béhanzin au Gouverneur Victor Ballot du 29 mars 1892 est tout sauf celle d’un peureux. Je vous adresse a-t-il écrit, ces deux lignes pour avoir des nouvelles de votre santé et en même temps vous dire que je suis bien étonné du récade que Bernardin a apporté au cabécère Zohoncon pour m’être communiqué au sujet des six villages que j’ai détruits il y a trois ou quatre jours.
Je vous garantis que vous vous êtes bien trompé. Est-ce que j’ai été quelques fois en France pour faire la guerre contre vous ? Moi, je reste dans mon pays, et toutes les fois qu’une nation africaine me fait mal, je suis bien en droit de la punir. Cela ne vous regarde pas du tout. Vous avez eu bien tort de m’envoyer ce récade, c’est une moquerie ; mais je ne veux pas qu’on se moque de moi, je vous répète que cela ne me fait pas plaisir du tout. Le récade que vous m’avez envoyé est une plaisanterie et je la trouve extraordinaire. Je vous défends encore et ne veux pas avoir de ces histoires. Si vous n’êtes pas content de ce que je vous dis, vous n’avez qu’à faire tout ce que vous voudrez, quant à moi, je suis prêt. Vous pouvez venir avec vos troupes ou bien descendre à terre pour me faire une guerre acharnée. Si vous n’êtes pas d’accord vous rentrez chez vous.

Rien d’autre ».
Cette réplique du roi Béhanzin est comme je venais de le dire tout sauf celle d’un peureux. Lorsque l’administrateur Caït a envoyé son émissaire disperser les notables de Sakété et que ce dernier dans son zèle a troué leur tambour, le public n’a pas hésité à arrêter ledit envoyé et envahit le domicile de l’administrateur malgré le déséquilibre des forces. Est-ce l’attitude d’un peuple peureux ? Lorsque le peuple Ohôri djé a refusé de payer des taxes dont il ne voit pas l’utilité pour améliorer ses conditions de vie, est-ce que c’est la réaction d’un peuple peureux et j’en passe ».

Nous devons réécrire notre histoire.
Il ne s’agit pas de la réécrire pour activer la haine et pour agresser en permanence les descendants des responsables de l’administration coloniale. Il s’agit de décomplexer les nôtres, nos concitoyens vis-à-vis de tout le monde, du Nord comme du Sud. Il s’agit de redonner l’espoir à nos concitoyens en leur enseignant la bravoure et la dignité de leurs ancêtres. Personne ne pourra nous reprocher de chercher à débarrasser notre histoire de toutes ces falsifications connues et enseignées. C’est ce que nous enseigne la tragédie de Thiaroye, 80 ans après.
« Les deux guerres mondiales ont durablement marqué les peuples africains. Aussi bien ceux qui ne sont pas allés au front que ceux qui y sont allés au péril de leur vie combattre pour la France. En effet, quel que soit le côté où ils se trouvent, les Africains ont été au cœur de ce conflit. Ceux qui n’ont pas été au front ont été pressurés, à travers des impôts sans cesse croissants, la contribution en nature, les travaux forcés, avec leur cortège d’humiliations. Kojo Tovalou a fait partie de ceux qui, spontanément, ont risqué leur vie pour la France et qui espéraient que ce pays manifestât de la reconnaissance en luttant contre les abus des administrateurs coloniaux » (Zoumènou et Girardet, 1981).
Par ailleurs, le 1er octobre 2024, le cardinal Michael Czerny, dans un moment de grande solennité, « a reconnu que l’Église avait été complice de systèmes qui ont favorisé l’esclavage et le colonialisme, évoquant les souffrances des peuples indigènes et les droits bafoués de nombreuses communautés à travers l’histoire » (Web, 2024). La traite négrière, la colonisation, l’enrôlement forcé des nôtres dans l’armée coloniale pour en faire des tirailleurs sénégalais, l’ingratitude de Thiaroye, les attitudes méprisantes et condescendantes qui continuent d’influencer les structures d’inégalités contemporaines, les préjugés et les traumatismes persistants sont des aspects de notre vie que nous devons absolument déconstruire pour construire des attitudes de dignité et de respect envers nous.

II. Les conquérants européens et leurs relations avec les sociétés africaines
Dans un ouvrage sous presse, Comlan Julien Hadonou (2024) explique largement les désagréments qu’a constitué pour le colonisé sa rencontre avec l’occident. Ainsi peut-on y lire : « Les premiers contacts entre les sociétés africaines et les conquérants européens n’ont pas été sans heurts (Chrétien, 1970). Au contraire, ils ont généré de nombreux conflits dont les révoltes ont été les phases actives. « Les mouvements de résistance au Dahomey (1914-1917) » Garcia. In : Cahiers d’études africaines, vol. 10, n°37, 1970. pp. 144-178. Nouveau regard sur la révolte de Sakété en 1905 de Michel Vidégla et Félix Iroko, 1984. Éléments d’histoire du nord-Bénin. Les révoltes des Baatombou ‘’Bariba’’ contre la pénétration européenne (1888-1897) et la résistance de Bio Guera contre la colonisation française dans le Borgou (août – décembre 1916) », Léon Bio Bigou, 1992. La rébellion de Kaba (1916-1917) dans l’imaginaire politique au Bénin », Cahiers d’études africaines, 160, 2000, Tilo Grätz. La guerre coloniale au nord du Dahomey : Bio Guéra, entre mythe et réalité : le sens de son combat pour la liberté (1915-1917), Djibril Mama Débourou, L’Harmattan, 2013. Les origines du mouvement national en Afrique noire : le cas du Bénin, 1900-1939 Sylvain Coovi Anignikin, L’Harmattan, 2014.
Ainsi, en parlant des révoltes sous la colonisation, que ce soit dans le Plateau, dans le Mono, dans le Borgou, dans l’Atacora ou partout ailleurs sur le territoire du Bénin, il faut qu’on soit en mesure de remarquer les ressemblances et les dissemblances ainsi que les détails qui font la différence.
Le corps français des « tirailleurs sénégalais » – créé sous le second Empire (1852-1870) a fini par désigner l’ensemble des soldats d’Afrique qui se battaient sous le drapeau français. Ces tirailleurs ont participé aux deux guerres mondiales ainsi qu’aux guerres de décolonisation. Ainsi et s’agissant du Dahomey, du 4 juillet 1892 au 15 janvier 1894, les troupes françaises du Colonel Alfred Dodds vont livrer l’ultime bataille aux troupes de Béhanzin ainsi que l’a rapporté la chronique de la revue des deux mondes (web, 1893). On peut y lire :
« L’ère de la conquête aussi sera bientôt close au Dahomey, où la campagne, reprise depuis deux mois par le général Dodds, est sur le point de donner des résultats définitifs. Déjà les principaux chefs dahoméens se sont soumis sans conditions et ont livré la plus grande partie des armes dont disposait le roi Béhanzin. Celui-ci, qui avait tenté de nous amuser, il y a quelques semaines, par l’envoi d’une « ambassade » à laquelle le Président de la République et les ministres se sont abstenus, avec raison, de donner audience, est aujourd’hui traqué par les quatre colonnes, fortes de 1800 combattants, qui sont parties d’Agonlin et convergent vers Atchérigbé, à cinquante kilomètres au nord d’Abomey. Quel que soit le sort réservé à l’ancien roi du Dahomey — suicide, fuite, capture par nos troupes ou soumission volontaire — on peut désormais considérer Béhanzin comme une quantité négligeable, dans ce pays où nous avons établi notre protectorat, et où le peuple dahoméen, qui n’a jamais eu d’homogénéité ethnographique, ne pourra plus se reconstituer en État politique. ».
Le 15 janvier 1894, Béhanzin cerné, se rend et il est exilé en Martinique.
1. Des humiliations et autres traitements dégradants qui conduisent à des révoltes
Revisiter ces périodes à travers les témoignages personnels, les récits oraux transmis de génération en génération, les journaux ou les lettres d’époque, permet de raviver la mémoire collective et de redonner vie aux révoltes sous un angle plus humain. Ces sources souvent négligées offrent une profondeur émotionnelle et une compréhension intime des luttes, des espoirs et des désillusions vécues par ceux qui ont été au cœur de ces mouvements contestataires. Les événements méritent donc une nouvelle exploration, une plongée dans l’étoffe même de leur réalité. Il reste encore à sonder leurs profondeurs, à ressentir l’essence de ces soulèvements historiques. Les faits, tels des témoins muets, attendent d’être entendus à nouveau, de révéler leurs vérités enfouies, afin que l’histoire puisse se dévoiler dans toute sa complexité et sa richesse.
On peut estimer, selon certains africains, que ces faits du passé sont dépassés. Mais sur plusieurs terrains encore, les africains sont laissés pour compte et complètement ignorés, même dans leurs droits légitimes. Peut-il en être autrement quand les jeunes occidentaux vont continuer de lire dans leurs livres et dans les archives jalousement gardées par leurs aïeux et aujourd’hui à leur portée. C’est encore plus pernicieux quand il s’agit des religieux. « … les missionnaires sont unanimes pour à l’époque déplorer chez les noirs cette « immoralité » et ces « vices du sud », que leur attribuait l’Occident depuis des siècles. Ils évoquent « une population terriblement dégradée » d’individus vivant dans « un minuit aussi sombre que leur propre peau noire » comme un « peuple de la nuit », dans une thématique associant le péché à la noirceur de la peau qui n’est pas nouvelle, puisque déjà le Moyen Age la connaissait et la développait à propos de « la noirceur de l’Aethiops qui incarne le démon »…
Pour certains intellectuels contemporains, ce qui importe aujourd’hui est d’oublier le passé et d’aller vers de nouvelles perspectives. Ils n’ont pas tort, ces défenseurs d’une « table rase » sur les événements du passé pour mieux se concentrer sur le présent et ses nombreux défis. Ils n’ont peut-être pas tort ceux qui trouvent que le regard trop porté sur le rétroviseur ne fait que nous conduire vers des fausses routes et, en plus, ne fait du bien à personne. Chaque jour, en effet, apporte son lot de problèmes complexes et d’urgences qui, si on ne sait pas s’y prendre, efface toutes les autres priorités. La crise économique actuelle fait des États africains, dans leur grande majorité, des « États d’urgences » qui n’ont pas envie de pointer de doigt accusateur envers qui que ce soit. Surtout pas en direction des puissances importantes du temps présent qui pourtant, dans l’histoire contemporaine, n’ont pas été des saintes. Loin de là ! Des publications récentes lèvent le coin de voile sur les horreurs commises par les colons dans les colonies et les décapitations ou les amputations de membres, même des enfants de cinq ans, sont des douleurs indicibles, qui s’effacent difficilement avec le temps.
La présente préoccupation invite donc à regarder en face notre passé, à en tirer des enseignements pour mieux façonner un avenir empreint de compassion, de justice et de compréhension. Car, autant que la période de la traite des noirs, la période coloniale a marqué les peuples par sa dénégation de l’humanité à certains peuples et par sa violence économique, sociale et culturelle que des peuples dignes ont décidé de combattre. Il présente des informations utiles pour mieux appréhender certains événements du passé. Les révoltes sociales, telles qu’elles ont souvent été présentées, se résument aux escalades et aux affrontements plus ou moins armés. Mais, pour mieux les comprendre, il est nécessaire de bien cerner le contexte international et les logiques qu’il véhicule. Il est aussi important de comprendre en profondeur le système colonial, tel qu’il est pensé et mis en application.
2. Conséquences des révoltes anti coloniales
Les révoltes anticoloniales ont été selon Clarisse Tama (2024) le théâtre de diverses formes de conséquences, laissant dans leur sillage des cicatrices profondes au sein des communautés touchées. Parmi les aspects les plus tragiques de ces soulèvements figure la perte en vies humaines. Les combats pour l’indépendance ont souvent entraîné des pertes dévastatrices au sein de ces populations, avec des conséquences durables sur les tissus sociaux et familiaux.
Outre les pertes en vies humaines, la déportation a également été une réalité cruelle pour de nombreux individus impliqués dans les mouvements anticoloniaux. Les personnes déportées étaient souvent arrachées à leur terre natale, confrontées à des conditions de vie difficiles dans des territoires inconnus. Cette déportation a eu des répercussions déstabilisantes sur les communautés, les privant de leurs membres les plus actifs et engagés. L’acculturation a constitué une autre conséquence significative des révoltes anticoloniales. Les tentatives des puissances coloniales de supprimer les identités culturelles locales ont souvent conduit à une perte de repères pour les communautés indigènes. Les traditions séculaires, les langues et les coutumes ont été confrontées à une pression intense, menaçant la diversité culturelle et contribuant à l’effacement de précieuses facettes du patrimoine comme par exemple l’obligation pour les petits écoliers de ne parler que le français à l’école avec comme conséquence lointaine la non maitrise par les autochtones et leurs descendants de leurs langues dites vernaculaires. En plus des pertes humaines et culturelles, les révoltes anticoloniales ont également entraîné la perte de nombreux objets précieux. Les trésors artistiques, historiques et artisanaux ont souvent été pillés, détruits ou emportés par les forces coloniales en quête de domination.

III. La contribution décisive du Sénégal qui doit faire rêver et qui renforce le processus de la déconstruction des attitudes méprisantes.
Le vendredi 16 août 2024, le Premier ministre du Sénégal, M. Ousmane Sonko, a présidé l’installation du Comité de commémoration du 80ème anniversaire du massacre des tirailleurs sénégalais à Thiaroye. Cet événement est prévu pour se tenir le 1ᵉʳ décembre 2024. Dans son discours, le Premier ministre a invité ce comité, à "rassembler des preuves, des témoignages et des documents pour comprendre pleinement les événements tragiques de Thiaroye". Le comité aura également pour mission de "proposer des actions qui honoreront la mémoire des victimes et sensibiliseront les générations futures".
Composé de représentants des ministères, des institutions de la République, de la société civile et de divers experts, la mise en place de ce comité démontre l’engagement du gouvernement à préserver la mémoire collective.
C’est avec cette décision du Premier ministre du Sénégal que s’est tenue le 27 août 2024, la réunion d’adoption des termes de référence de la sous-commission numéro 1 : Traitement / Exploitation des sources. Elle a été présidée par le Professeur Mamadou Fall, Coordonnateur de Histoire Générale du Sénégal (HGS) qui m’a invité à y participer en ma qualité de Coordonnateur du programme Réécriture de l’histoire du Bénin mis en place par l’Académie nationale des Sciences, Arts et Lettres du Bénin.
En réalité, les échanges ont tourné autour de deux volets que sont :
La commémoration du 80ème anniversaire du massacre de Thiaroye perpétré le 1er décembre 1944 ;
 Thiaroye et les ressorts du panafricanisme : les perspectives à saisir par les chercheurs et les universitaires en vue du concept du déconstruire/construire.
Le premier volet est limité dans le temps et va se dérouler le 1er décembre 2024 alors que le deuxième volet doit permettre de construire un nouveau paradigme qui doit faire ressortir la dignité, la responsabilité , la considération et le respect que tous les africains doivent attendre du monde entier.
En dépit de sa dénomination, les effectifs de ceux qui sont appelés tirailleurs sénégalais sont issus de toutes les colonies françaises d’Afrique au sud du Sahara et venaient de : Sénégal, Bénin, Mali, Côte d’Ivoire, Tchad, Centrafrique, Niger, Gabon. Ils sont recrutés soit par engagement volontaire, par cooptation ou par la force. Au Dahomey particulièrement c’était surtout par la force. C’est comme présenté ci-dessus, l’une des raisons de plusieurs résistances anti coloniales dans les colonies dahoméennes dont les premières sont parties de Sakété en 1905.
Les participants à la réunion ont salué unanimement la décision politique des autorités du Sénégal à ouvrir officiellement à nouveau le dossier de Thiaroye, douloureux non pas seulement pour le Sénégal mais pour toutes les anciennes colonies concernées qui malgré l’indépendance n’ont pas vu leur image avoir la considération que méritent leurs peuples jusqu’à présent. C’est pourquoi ils ont souhaité que les universitaires de ces anciennes colonies dans un premier temps et du monde entier en saisissent l’opportunité politique offerte par le Sénégal pour construire le concept qu’ils ont baptisé « DECONSTRUIRE/CONSTRUIRE ». La poursuite de la réflexion pour l’atteinte des objectifs du concept nécessite donc l’ouverture et l’implication immédiate des chercheurs des 17 pays suivants : le Bénin (Dahomey) ; le Burkina (Haute Volta) ; le Cameroun ; la Côte d’Ivoire ; le Congo ; les Iles Comores ; Djibouti ; le Gabon ; la Guinée ; Madagascar ; le Mali (Soudan) ; la Mauritanie ; le Niger ; la République centrafricaine (Oubangui-Chari) ; le Sénégal ; le Tchad ; le Togo.

IV. Des hommes et des femmes d’audace pour construire un nouveau paradigme qui doit permettre de renforcer la dignité, la responsabilité, la considération et le respect que tous les africains sont en droit d’attendre du monde entier.
De ma position d’observateur de l’évolution de la société, je me rends de plus en plus compte de l’importance de la mentalité de l’homme et de la nécessité pour toute société d’avoir en son sein des citoyens de qualité pétris de cette vision de courage, d’audace et de sagesse qui font les grands hommes. J’ai entendu un Chef d’État en Afrique subsaharienne me confesser tout le respect qu’il a pour les intellectuels et autres élites qui selon lui sont capables d’analyses de haute portée.

Tous les pays dont l’Afrique et toutes les communautés y compris celles des universitaires doivent rêver d’avoir à des moments donnés leurs grands hommes. Oui, Monsieur le Président Barack Obama, l’Afrique a besoin de grands hommes (en relation au mimétisme des nôtres par rapport au discours prononcé par le Président Barack Obama le 11 juillet 2023 à Accra). C’est les grands hommes du d’aujourd’hui qui continueront à faire les institutions fortes de demain pour l’Afrique.

On peut déjà se frotter les mains de la volonté politique des actuels dirigeants du Sénégal à faire évoluer cette injustice de Thiaroye.
Selon Hans Manfred (2003), « Les intellectuels sont une figure sociale centrale des temps modernes. On peut donc les définir comme des personnes qui, en vertu de leur compétence scientifique ou artistique, interviennent publiquement dans le débat politique et y sont entendus ».
Pour Pierre Bourdieu (1998), « L’intellectuel est un personnage bidimensionnel qui n’existe et ne subsiste comme tel que s’il est investi d’une autorité spécifique, conférée par un monde intellectuel autonome c’est-à-dire indépendant des pouvoirs religieux, politiques et économiques dont il respecte les lois spécifiques, et s’il engage cette autorité spécifique dans les luttes politiques ». On rappelle que la culture intellectuelle qui consiste à porter publiquement des jugements de valeur sur les acteurs et les décisions politiques est très marquée en France depuis l’affaire Dreyfus. C’est donc normal que l’opinion chez nous comprenne difficilement la partition des élites africaines dans tout ce qui est arrivé et dans ce qui se joue sous ses yeux depuis quelques années.
Le 1er décembre 2024 nous permettra de focaliser le monde entier sur la tragédie de Thiaroye, de sensibiliser une belle frange des populations qui supportent de plus en plus difficilement le rôle de deuxième zone qu’on leur fait jouer depuis si longtemps et de déconstruire progressivement tous ces clichés méprisants qui leur sont collés.
Et à l’instar de l’ancien Président de l’Assemblée nationale, ancien ministre des finances de la Côte d’Ivoire Mamadou Koulibaly, nous pourrons faire comprendre à tous et façon explicite je cite : « Ce que nous voulons, c’est la liberté de nous organiser, nous auto déterminer, faire ce qui est bon pour nous sans nuire à vos intérêts mais ça ne veut pas dire de venir nous imposer vos intérêts. Nous ne voulons plus être des marchandises, nous ne voulons plus être sous la tutelle de quelqu’un. Nous voulons redevenir des hommes libres ». C’est à nous de faire en sorte que le monde entier soit d’accord avec nous comme le Roi Charles III lorsque qu’il déclare le 26 octobre 2024 au Samoa en Océanie :
« En écoutant les gens du Commonwealth, je comprends à quel point les aspects les plus douloureux de notre passé continuent de résonner. Il est donc essentiel que nous comprenions notre histoire pour nous guider et faire les bons choix à l’avenir. Aucun d’entre nous ne peut changer le passé, mais nous pouvons nous engager de tout notre cœur à en tirer les leçons et à trouver des moyens créatifs de corriger les inégalités qui perdurent ».
A nous universitaires de savoir après les politiques ce que nous construirons à la place de ce que nous aurons contribué à détruire. La tâche n’est pas facile mais elle sera exaltante avec une volonté politique ferme, comme cela a été le cas dans plusieurs pays de la sous-région et même hors d’Afrique.
Lorsque « des sociétés historiques et scientifiques » choisissent comme thème « Reconstruire, réformer, refondre » pour le congrès national qu’elles projettent de tenir à Orléans en France du 14 au 18 avril 2025, elles savent bien que les choses ne peuvent pas continuer dans le monde comme avant et maintenant.
Tout est en train d’être réuni pour la réussite de la première phase de Thiaroye, 80 ans après. Il nous reviendra, nous les intellectuels, de prendre plus la main après le 1er Décembre 2024 pour poursuivre la sensibilisation au niveau des communautés savantes, identifier, valider et conduire des thématiques nécessaires à la réalisation de la construction d’une Afrique bien considérée et respectée parce que digne.
Nous le pouvons.

François Adébayo Abiola
Académie nationale des Sciences, Arts et Lettres du Bénin,
Programme Réécriture de l’histoire du Bénin
[email protected]

Quelques-unes des références bibliographiques citées :
Anignikin Sylvain Coovi, 2014, Les origines du mouvement national en Afrique noire : le cas du Bénin, 1900-1939/, Paris, L’Harmattan.
Bio Bigou Léon, 1992, Les révoltes des Baatombou ‘’Bariba’’ contre la pénétration européenne (1888-1897) et la résistance de Bio Guera contre la colonisation française dans le Borgou (août – décembre 1916) » Éléments d’histoire du nord-Bénin.
Bourdieu Pierre, 1998, Les règles de l’art. Genèse et structure du champ littéraire, Paris Editions Seuil.

Chrétien Jean-Pierre. Une révolte au Burundi en 1934. In : Annales. Economies, sociétés, civilisations. 25ᵉ année, N. 6, 1970. pp. 1678-1717.
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Tama Clarisse, 2024, Rapports d’enquêtes de terrain sur les révoltes anti coloniales dans les Départements de l’Alibori et du Borgou au Bénin

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Pages web consultées entre le 21 et le 30 octobre 2024
Pape François : l’Église a été complice de systèmes qui ont favorisé l’esclavage
https://www.madinin-art.net/leglise-complice-de-systemes-qui-ont-favorise-lesclavage/?doing_wp_cron=1729964656.8798708915710449218750

Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 120.djvu/959
L’heure de la conquête du Dahomey
Chronique de la Revue des deux-Mondes, 1893, p. 953.

Le Commonwealth convient de discuter de réparations pour la traite des esclaves
https://www3.nhk.or.jp/nhkworld/fr/news/20241027_06/

Esclavage : le Commonwealth reconnaît que "le moment est venu" de discuter de son héritage
https://www.bfmtv.com/international/europe/angleterre/esclavage-le-commonwealth-reconnait-que-le-moment-est-venu-de-discuter-de-son-heritage_AN-202410260255.html

La High-School aux USA & le système scolaire Américain
https://www.piefrance.com/trois-quatorze/reportages/high-school-usa/

Un précurseur du nationalisme panafricain en Afrique occidentale française : Kojo Tovalou Houenou (1887-1936). Eléments de biographie
Zoumenou, Luc et Girardet, Raoul DEA : Histoire : IEP (Paris)1981
https://19m.nakalona.fr/items/show/45730

Akam Akamayong 8 Janvier 1454 : l’Église catholique et le Pape Nicolas V bénissent l’esclavage et la traite négrière !, 8 janvier 2021
https://rebellyon.info/8-Janvier-1454-l-eglise-catholique

Appel à communication : Congrès du CTHS 2025 « Reconstruire, réformer, refonder »
https://www.orient-mediterranee.com/activity/appel-a-communication-congres-du-cths-2025-reconstruire-reformer-refonder/



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