Le politologue Emmanuel KOUKOUBOU au sujet de la décision des pays de l'AES : « L'avenir de la CEDEAO est en pointillés »

29 janvier 2024

Emmanuel Odilon KOUKOUBOU est politologue au Civic Academy for Africa’s Future (CiAAF), un think tank actif qui se veut un espace intellectuel de bonne facture. Interrogé au sujet du retrait des pays de l’Autorité des États du Sahel (AES) de la Communauté Économique des États de l’Afrique de l’Ouest, il donne ici sa lecture de cet événement et émet des interrogations non seulement sur la survie de la Communauté mais également sur la restauration de la démocratie dans les pays du Sahel.

Ne trouvez-vous pas cette décision hâtive et extrême ?
Cette décision n’est pas hâtive. Je dirais qu’elle a même tardé à venir. Depuis quelques années, la Cédéao était comme une corde au cou des juntes militaires du Sahel. Elles viennent donc simplement de s’en débarrasser avec toutes les contraintes qu’elle leur imposait. Les juntes sahéliennes se retirent méthodiquement de tous engagements, partenariats ou mécanismes qui leur imposent une marche à suivre et les empêchent de réaliser leurs propres politiques. Le retrait de la Cédéao, au regard de leurs rapports quasi belliqueux avec cette dernière depuis quelques années, était donc prévisible. Le prochain sur la liste est probablement l’Uemoa. Le retrait de l’Uemoa va certainement acter leur retrait de la zone FCFA.

2- Fraîchement créée, l’AES a-t-elle les moyens d’atteindre ses objectifs d’intégration ?
Si ce ne sont que des objectifs d’intégration, ils n’en manqueront pas. De toutes les façons, rien ne devrait changer en leur sein. Ils étaient déjà dans un mécanisme d’intégration avec la Cédéao. Donc les acquis d’intégration obtenus dans le cadre de la Cédéao se poursuivront probablement en leur sein. Le changement sera dans leurs rapports avec les autres pays. La grosse question sera relative à la monnaie, puisqu’on imagine bien qu’on va certainement finir par là. Mais pour l’instant, on n’en est pas encore là.

Les trois pays de l’AES ne gagneraient-ils pas à faire partie d’un bloc plus élargi plutôt que de faire route à part ?
Ils sont dans le grand bloc depuis bientôt 50 ans. Ils sont toujours dans l’Union africaine qu’ils ont cofondée depuis 60 ans. On ne peut donc pas leur faire ce type de remarque.
Toutefois, je suis d’accord qu’on peut quand même questionner la pertinence d’une telle décision. Surtout que c’est une décision assez grave prise par des autorités qui sont sensées être transitoires. La Cédéao était l’acteur majeur qui leur mettait la pression pour organiser des élections pour un retour à l’ordre constitutionnel. Par leur retrait, ils tentent de la rendre illégitime à intervenir dans leurs affaires internes. Avec une telle décision, on va clairement vers un règne sans fin et sans partage des juntes militaires au Sahel.

Quid des acquis de la CEDEAO notamment la libre circulation des personnes et des biens ?
Le retrait de la Cédéao est normalement un processus qui dure une année. Objectivement, les trois États sont tenus par leurs engagements au sein de la Cédéao pendant 12 mois à compter de la date de notification de leur retrait au président de la commission de la Cédéao. Il va falloir observer leurs comportements au cours de cette période pour entrevoir la suite. La conséquence logique qui devrait suivre leur retrait, c’est que les citoyens de la Cédéao auront désormais besoin de visa pour se rendre dans lesdits pays. La circulation des biens aussi en recevra un coup. Ce sont les populations qui vont en subir les conséquences. Il faut espérer qu’une solution soit trouvée pour garantir le minimum.

Quel avenir pour la CEDEAO sans les pays de l’AES ?
C’est un avenir en pointillé. Depuis quelques années, la Cédéao est sous les feux de la critique en raison de sa gestion des crises politiques. Il faut espérer qu’elle saura se réinventer pour se réconcilier avec ses peuples. On va vers le cinquantenaire de l’organisation. C’est peut-être une bonne occasion à saisir pour se réformer.

Frontalier avec deux pays de l’AES, quelle peut être la démarche du Bénin pour tirer le meilleur de ces deux voisins du Nord ?
Je ne sais pas si dans l’histoire, nous avions connu une période où nos relations avec nos voisins étaient pires qu’elles le sont actuellement. Donc s’il y a une chose à faire, c’est d’abord normaliser nos relations avec eux. Le discours des autorités béninoises et le zèle dont elles ont fait preuve dans la crise nigérienne, ont creusé une tension dans leurs relations avec les pays du Sahel. Et aujourd’hui, on peut se demander qui est en position de force ; qui a plus besoin de l’autre ; et par conséquent qui doit être demandeur d’accalmie. Après le Nigeria avec qui on est resté en froid pendant des années, c’est désormais le Niger et le Burkina. Au-delà de l’aspect économique, le rétablissement de bonnes relations avec nos voisins est aussi capital dans notre lutte contre les groupes terroristes au nord du pays.
Propos recueillis par Moïse DOSSOUMOU



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