A la surprise générale, le 09 janvier dernier, le chef de l’Etat signait le décret de création du collège des ministres conseillers. De nouveaux acteurs publics entreront ainsi incessamment en scène au nom et pour le compte de l’Exécutif. Qu’est-ce qu’un ministre conseiller ? Quelle est la pertinence de ce choix opéré par le chef de l’Etat à deux ans de la fin de son mandat ? Que peut-on attendre des personnes qui seront désignées pour faire partie de ce Collège ? Patrick HINNOU a bien voulu répondre à ces interrogations. Sociologue-politiste, Maître de Conférences des Universités (CAMES), Enseignant-chercheur à l´Université d´Abomey-Calavi, docteur en sociologie et en science politique, Expert en gouvernance démocratique, il donne ici sa lecture de cette nouveauté institutionnelle à l’actif du régime de la rupture.
En science politique, que peut-on comprendre par collège de ministres conseillers ?
D´abord, il convient de noter que dans un régime présidentiel, le président de la République cumule plusieurs fonctions : il est à la fois chef de l´État et chef du gouvernement. Au titre de cette dernière fonction, il met en place un gouvernement composé de ministres dont il définit le nombre. Nommés sur la base de leur appartenance aux partis politiques qui soutiennent l´action du pouvoir exécutif ainsi que sur la base de la confiance placée en eux par le chef du gouvernement, les ministres sont des agents de pouvoir gouvernemental ; ils représentent l´État puis l´administration de leurs ministères au sein du gouvernement.
À la tête des ministères ou départements ministériels qui couvrent l´ensemble des domaines de la vie (éducation, environnement, enseignement, etc.), les ministres sont dans un rôle beaucoup plus politique que technique, d´autant qu´ils sont non seulement les collaborateurs directs du chef de l´État mais également ses représentants au sein des départements ministériels et mettent en œuvre la politique définie par le gouvernement auquel ils appartiennent. Pour la coordination et l´efficacité de leurs actions, ils participent régulièrement au Conseil des ministres.
En conséquence, la création des postes ministériels et la nomination des ministres promus à cette mission républicaine, sont consacrées comme telles dans les différentes constitutions du Bénin. Vous comprenez avec moi que le « Conseil des ministres » traduit un vocabulaire politique très classique et est présent dans les imaginaires sociaux. En revanche, l´expression « collège de ministres conseillers » est non familière à la science politique, y compris au commun des citoyens béninois. Ce qui est le plus connu, c´est la nomination de ministres et de conseillers techniques. Ceux-ci conseillant ceux-là à partir de l´éclairage qu´ils apportent sur certains dossiers afin d´aider à la prise des décisions.
Au regard de l´énonciation de la science politique, la pertinence du « collège des ministres conseillers » (tel que créé par décret n°2024-006 du 9 janvier 20124) reste à prouver dans la mesure où il traduit une espèce de coordination de l´action des « ministres bis », une coordination (le collège étant dirigé par un coordonnateur qui suit la mise en œuvre des programmes d´activités des ministres conseillers et les représente aux réunions du conseil des ministres : cf. article 5 du présent décret) qui est supposée être chose effective déjà en partie dans le cadre des conseils de cabinet et, plus amplement, dans celui du conseil des ministres.
En tout état de cause, la formalisation systématique de la coordination des ministres conseillers est très superflue, tout comme le serait celle des conseillers techniques vu que ceux-ci sont censés verser leurs observations ou conseils au dossier de chacun des ministres dont ils relèvent.
Le chef de l´État dispose déjà de ministres et de conseillers techniques. Que peut apporter de nouveau la nomination de ministres conseillers ?
En lisant l´article 3 du décret qui fixe les attributions des ministres conseillers et l´article 4 qui définit leur statut et les conditions de leur nomination, on peut affirmer sans risque de se tromper que la nomination des ministres conseillers n´apportera pas grand-chose à l´énonciation de la politique générale du gouvernement. Elle consiste indirectement à dupliquer les postes ministériels existants. À moins que le chef de l´État, qui est la mesure de cette création, démontre que cette duplication non avouée mais induite permette d´accélérer, à deux ans de la fin de son second mandat constitutionnel, la mise en œuvre du programme d´actions du gouvernement pour espérer atteindre un seuil optimal avant de passer service en 2026.
En définitive, l´évocation du décret objet de la présente analyse montre que les ministres conseillers ne feront rien, mais alors absolument rien, que ne font déjà les ministres actuels en poste, les uns depuis la formation du premier gouvernement en 2016, les autres à partir du premier remaniement ministériel en 2019 et les autres encore très récemment dès 2023. Le chercheur n´exagère pas lorsqu´il fait observer que la nomination des ministres conseillers pourrait bien répondre à une logique redistributive, de remerciement, de reconnaissance ou de prime à la loyauté.
Selon le décret créant le collège des ministres conseillers, la nomination desdits ministres est du ressort des partis qui soutiennent les actions du chef de l´Etat. N´est-ce pas du favoritisme ?
En analyse politique, ce serait exagérer que de répondre à cette question par l´affirmative. Il convient de souligner que le chef de l´État doit son élection aux partis politiques qui le soutiennent et qui, par vocation, espèrent faire l´expérience de la gestion des affaires publiques. C´est fort de cette réalité politique que les postes ministériels, dans les régimes présidentiels, sont confiés à des militants de confiance émanant des partis politiques de la mouvance présidentielle ou de la majorité gouvernementale, voire parlementaire. En reconnaissant aux partis politiques le droit de faire nommer lesdits ministres conseillers, le président Patrice Talon est resté non seulement collé à l´esprit et à la lettre mais aussi aux pratiques établies concernant un tel processus. Néanmoins, le chef de l´État gagnerait à éviter que la prérogative de définir le nombre de ministères (et, dans le cas d´espèce, le nombre de ministères conseillers interprétés comme des ministères bis) et de les pourvoir soit l´occasion de donner dans des excès au mépris de ce que peuvent raisonnablement couvrir les finances publiques, ceci en lien avec le niveau de vie moyen des citoyens.
Peut-on supposer à deux ans de la présidentielle de 2026 que le chef de l´État a trouvé le moyen de contenter ses partisans laissés sur le carreau ?
Si l´on peut, eu égard à la situation économique peu reluisante du fait de l´amenuisement du panier de la ménagère, opposer au chef de l´État la quasi impertinence de la nomination des ministres conseillers et, par ricochet, le caractère assez surprenant du décret du 9 janvier 2024, il paraît assez plausible de s´interroger sur ses motivations cachées, surtout à deux ans de la présidentielle de 2026. En huit ans de gouvernance des affaires publiques au sommet de l´État, le peuple béninois est curieux de savoir l´origine de cette trouvaille subite dont il n´a jusque-là pas entendu parler.
En poussant le bouchon un peu plus loin, on peut rappeler à sa mémoire les mécontentements ruminés par bien des acteurs politiques appartenant aux partis politiques soutenant l´action gouvernementale et qui estiment avoir été mis en marge de toute gestion. À cela s´ajoutent les velléités de querelles intestines pouvant engendrer l´éclatement de certains pôles de pouvoir au sein de la majorité présidentielle.
Faisant un calcul politique, du moins rationnel à deux ans de la concurrence politique de 2026, le chef du pouvoir exécutif béninois a dû réviser sa position pour s´accommoder d´une logique de rattrapage à travers la recherche du gain politique déjà perdu ou en instance d´être perdu en ouvrant une brèche aux fins de contenter les partis politiques dont les militants les plus en vue piaffent d´impatience pour obtenir le retour de l´ascenseur à travers leur accession aux postes ministériels. Toutefois, le quasi-doublon des départements ministériels que donne à voir indirectement le présent décret cité plus haut pourrait être à mille lieues de combler un vide ayant totalisé huit ans d´âge.
Propos recueillis par la rédaction
- 14 octobre 2024
- 11 octobre 2024