Le gouvernement a engagé des réformes dans la gouvernance locale en introduisant le poste de Secrétaire Exécutif chargé de l’administration technique et financière dans le but de renforcer la séparation des fonctions politiques, des fonctions techniques au sein des mairies. Cependant, depuis sa mise en œuvre, des difficultés ont été observées avec notamment des conflits entre les SE et les élus communaux, les démissions, suspensions ou révocations des SE. Stanislas Hounkanlin, expert en décentralisation et directeur du plaidoyer à l’Association nationale des communes du Bénin, explique le fonctionnement de cette nouvelle forme de gouvernance et relève les causes des crises qui existent au sein des communes
Quelle analyse faites-vous des démissions, suspensions et difficultés des Secrétaires Exécutifs des communes du Bénin notamment les communes d’Abomey, Ouidah, Aguégué, Touncoutouna ?
Avant tout propos, je voudrais un peu situer la réforme structurelle du secteur de la décentralisation dans son contexte. Ce n’est pas une réforme détachée de l’amélioration globale du champ de la gouvernance publique au Bénin. Donc à l’avènement du pouvoir de la rupture, on a décidé que des aspects de la gouvernance publique sont retouchés, que ce soit au plan national ou au plan local. Il a vraiment assaini la gouvernance au sens large en supprimant certaines parties et en introduisant d’autres pour optimiser le fonctionnement de cette gouvernance. L’objectif final étant d’améliorer la délivrance des services publics aux populations. Donc penser que le secteur de la décentralisation est spécifiquement ciblé, ce n’est pas totalement vrai et lorsqu’on dit que c’est la réforme des secrétaires exécutifs, ce n’est pas vrai non plus. Cette réforme a touché beaucoup d’autres aspects ; il y a eu la création de nouveaux organes politiques, comme en exemple, on peut citer le cas du conseil de supposition. Il y a eu beaucoup d’autres aspects qui sont pris en compte.
Ce que nous pensons des démissions… : en fait, les textes de loi sur la décentralisation actuelle prévoient tous ces cas de figures. Au-delà de ces textes, il y a d’autres lois qui prévoient également des dispositions sur ces situations. Par exemple, la loi sur le travail au Bénin prévoit que pour des agents qui ne se sentent plus à l’aise dans leur fonction et qui ont de bonnes raisons, ils peuvent démissionner. Donc ce n’est pas nouveau ni inédit. Lorsqu’on prend le cas des suspensions pour des fautes administratives qui sont commises dans certaines pratiques, certainement que les instances prévues en la matière estiment que ce sont des atteintes à la déontologie administrative et à certaines procédures. Si ces instances estiment que le secrétaire exécutif n’a pas respecté les procédures, et porte atteinte à la déontologie, c’est normal qu’elles décident de sa suspension. La loi prévoit toutefois d’autres instances pour analyser ces suspensions et prendre les décisions finales soit pour confirmer, soit pour rapporter. Dans la commune des Aguégués, le secrétaire exécutif a été suspendu par le conseil communal puis réhabilité par le préfet Marie Akpotrossou. Dans le cas de la commune des aguégués ou le SE a été suspendu par le conseil de supervision et le préfet a estimé que tous les éléments ne sont pas réunis pour que le SE soit suspendu, il y a eu l’équilibre des forces ; la loi fait aménagement pour éviter et empêcher l’abus de pouvoir.
Parlons d’un autre cas. Le SE de Ouidah a été récemment suspendu, pourquoi rien n’a été fait à son endroit ?
Selon les informations que j’ai, le cas de la commune de Ouidah est un peu complexe au sens que le SE aurait esté en justice car la loi lui en donne le droit parce que c’est lui qui remplace civiquement la mairie, donc il aurait porté plainte en justice pour des cas de mauvaise gouvernance. Même si les autorités locales l’ont suspendu, cela ne peut pas être tout de suite parce qu’il fallait voir clair dans le dossier qu’il a amené devant la justice pour voir si c’est lui qui a raison ou si c’est d’autres qui ont des comptes à rendre à la justice. Donc il faut clarifier tout ça et profiter pour analyser sa gestion avant de vider le dossier.
Pourquoi on n’assiste pas à une révocation en conseil des ministres comme c’était le cas des SE des communes de Cotonou, Houéyogbé et Sèmè Podji ?
Suspension ne veut pas dire révocation et cette nuance est très importante. On vous suspend : c’est-à-dire qu’on met temporairement terme à l’exercice de vos fonctions afin de procéder à des vérifications, le temps d’analyser les choses pour voir s’il faut vous rétablir dans vos fonctions ou s’il faut prendre la décision de vous révoquer. Je voudrais préciser une chose très importante. La loi prévoit deux voies pour la révocation. La première voie, c’est celle qui permet au conseil de supervision ensemble avec la préfecture de prendre une décision conjointe à ce fait quand le conseil de supervision délibère en même temps que la préfecture aussi pour dire qu’on met fin aux fonctions du secrétaire exécutif c’est-à-dire qu’on le révoque de ses fonctions pour fautes lourdes. La deuxième voie est celle du conseil des ministres après rapport circonstancier du préfet sur la gestion du secrétaire exécutif. Et donc s’il est établi que le SE a commis une faute lourde, ça peut être un cas de détournement, de mauvaise gouvernance, ou faute administrative ; dans l’un de ces cas, le préfet adresse le rapport au ministre de tutelle en l’occurrence le ministre de la décentralisation, et c’est en conseil de ministre qu’il prend la décision de révoquer.
Quelle lecture faites-vous de la démission de la secrétaire exécutive de la commune de Touncoutouna, je veux nommer Sidonie Houdonougbo ?
Le cas de la commune de Touncoutouna est un cas spécifique. Vous avez pu voir sur les réseaux sociaux tout comme moi la lettre qui mentionne cette démission avec toutes les raisons avancées. Parmi toutes ces raisons, il y en a une qui retient vraiment l’attention, le cas de harcèlement. Pour le commun des béninois, lorsqu’on parle de harcèlement, ça renvoie forcément à la sexualité alors que ce n’est pas ça. On peut être harcelé de plusieurs manières : ça peut être du harcèlement moral, psychologique et autres, donc il n’y a pas que ça. Dans le cas d’espèce, elle n’a pas été très explicite sur le type de harcèlement dont elle est victime et puis il y a aussi que les rapports avec les élus notamment avec le maire ne sont pas très bons et dans ces conditions, vous convenez avec moi que le maire qui est en charge du pouvoir règlementaire qui demeure l’autorité politique et administrative de la commune, si une SE n’entretient pas de bon rapport avec lui, ça ne peut pas marcher parce que c’est elle l’ordonnatrice du budget communal qui approuve le marché public et donc si ce budget n’est pas autorisé par le conseil de supervision, qui est présidé par le maire, la secrétaire exécutive ne peut rien faire. Le rapport d’activités de la secrétaire exécutive : c’est le conseil de supervision qui adopte tout ça et si ce conseil de supervision présidé par le maire n’adopte pas, n’accepte pas son rapport, ça veut dire qu’il y a problème de même que pour le rapport de performance qui est élaboré à la fin de l’année. L’instance qui accepte ce rapport c’est celle du conseil de supervision et c’est le maire qui est à la tête de ce conseil de supervision. Donc vous voyez qu’au-delà des passerelles tracées par les textes de lois sur la décentralisation qui donnent un certain nombre de pouvoirs aux secrétaires exécutifs, il faut établir un climat de confiance, de paix, de stabilité entre l’ensemble des acteurs. Et pour moi ce n’est pas lié au sexe si un jour on laissait de côté le tirage genre parce que quel que soit ce qu’on va faire, l’administration communale de Toucountouna va être dirigé par une femme, c’est le tirage au sort qui a été fait. Donc même si on changeait d’approche et que c’est un homme qu’on envoie la-bas et que cet homme ne cherche pas à développer de bon rapport avec l’ensemble de acteurs, pas seulement les acteurs politiques, si le secrétaire exécutif ne travaille pas à mettre en confiance l’ensemble des acteurs, à fixer de bonnes relations, à installer un climat de confiance, une bonne atmosphère de travail et tout, ça ne marchera pas.
D’aucun pensent que cette réforme vient réduire les pouvoirs du maire et que c’est surtout ça qui serait à la base de ces vagues de démissions, de révocations et autres
Il y a cette communication un peu erronée qui a été menée au début de réforme et qui place les secrétaires exécutifs dans une position de superpuissance où on dit que le secrétaire exécutif est même le patron du maire mais rien n’en est. Les maires demeurent les premières autorités politiques et administratives des communes et donc en terme de représentations, en terme de partenariat, le maire demeure la première autorité. C’est d’ailleurs lui qui signe le contrat du secrétaire exécutif, ce qui sous-entend qu’il est son patron même si la loi confère certaines responsabilités propres au secrétaire exécutif, qui peut les exercer sans forcément se soumettre à l’arbitrage du maire. Mais dans la pratique, je crois que certains secrétaires exécutifs n’ont pas su faire le jeu de l’esprit de la loi et se sont cantonné à la lettre si bien que les rapports n’ont pas été toujours au beau fixe avec le maire et donc ça entrainé des coups de forces si bien que l’atmosphère étant devenue presque invivable pour le secrétaire exécutif, il décide de démissionner pour permettre à la commune de continuer à fonctionner autrement. Je crois que c’est normal et c’est intrinsèque a toutes les formes.
26 femmes et 51 hommes au poste de secrétaire exécutif au Benin. Est ce qu’on peut parler de discrimination basée sur le genre ?
Oui 26, contre 51 c’est ce que je disais. Et il faut saluer le chef de l’Etat qui depuis quelques années, montre vraiment un engagement fort en faveur de l’émancipation des femmes ou des décisions fortes sont été prises. On en a pour preuve la législature actuelle, le parlement actuel qui compte environ 30% de femmes et donc c’est lui qui a permis qu’on intègre cela dans le code électoral et que ces discriminations positives soient faites aux femmes. Il y va de la fierté du Benin aujourd’hui. La même chose a été faite pour le tirage au sort où le chef de l’Etat a imposé un minimum de 30% de femmes. Il voulait aller plus loin mais il se fait que même dans la base, la masse critique de femmes n’est pas suffisante pour couvrir tous les besoins dans ce cas-là. Donc je trouve que c’est une bonne chose qui met vraiment les femmes à l’épreuve. Tout le temps on a crié à l’égalité de sexes, il faut vraiment qu’elles aillent au charbon pour prouver leur capacité vraiment à gérer il y en a dedans vraiment qui font un effort louable.
Selon vous qu’est-ce qu’il faut corriger sur cet aspect de la réforme du secteur de la décentralisation au Benin ?
C’est parce qu’il y avait des problèmes qu’on a décidé de réformer le secteur. Il y avait par exemple le dédoublement du pouvoir du maire puisque dans le passé il était le président du collège des élus, c’est-à-dire le président du conseil communal et en même temps le chef de l’exécutif communal. Pour les délibérations prises par l’instance qu’il préside, c’est en même temps lui qui les mettait en œuvre et cela lui créait beaucoup d’ennuis aussi parce qu’il était envié par les autres élus notamment les adjoints au maire qui se plaignaient de ce que la loi ne leur accorde explicitement pas des attributions. Cela créait ainsi beaucoup d’instabilité et au sein des conseils communaux, il y avait des destitutions et des révocations. Cet aspect par exemple a été corrigé par les textes de loi sur la décentralisation et à défaut de donner des attributions aux élus, on a créé le conseil de supervision qui les implique un peu plus parce que dans ce conseil, nous avons des adjoints au maire et nous avons des présidents de commissions permanentes du conseil communal. Ces commissions ne fonctionnaient pas et ces élus tournaient les pouces. Aujourd’hui ils sont au travail et les réunions de municipalité qui impliquent le maire, les adjoints au maire, le chef d’arrondissement, continuent d’être animées. Voilà donc les avancées qu’on a, et moi je ne pense pas que cela soit utile de retourner à l’ancien système.
- 4 octobre 2024
- 4 octobre 2024