J’ai lu avec beaucoup d’intérêt la tribune du Dr Juste Codjo sur les tensions entre le Bénin et le Niger dans laquelle il propose « une thérapie pour une désescalade ». Je confesse de m’être engagé dans le débat sur la crise Bénin-Niger à travers une réflexion au terme de laquelle j’ai plutôt proposé « Comment sortir des intrigues de Tiani », parce que d’une part, tout comme l’a conclu la tribune du Dr Codjo, la succession des faits et choix conduit à se convaincre de l’impossibilité d’une médiation ; et d’autre part pour moi, cette crise constitue un fonds de commerce politique pour la junte. Mais plusieurs interrogations sourdent de la contribution de qualité du Dr Codjo.
La tribune soulève plusieurs questions à la réflexion du Béninois que je suis, soucieux de voir cette crise se terminer, afin que nos deux pays accèdent chacun, pour le bonheur de leurs populations, aux gains économiques que devraient leur procurer leurs « dotations naturelles ou initiales » respectives comme les désignent les économistes ; et dont la formulation la plus belle et la plus juste a été donnée par les présidents Bazoum et Talon en 2021 dans les jardins du palais de la Marina à Cotonou : « le pétrole du Niger est le pétrole du Bénin et le port du Bénin est le port du Niger ». Il me plaît sur ce point de relever le dégoût avec lequel j’ai entendu des personnalités politiques béninoises dire publiquement et de façon dépréciative contre leur propre pays, que « le Bénin a profité de la faveur du pipeline, mais l’a mal gérée ». Il ne viendrait à personne, d’imaginer une personnalité politique nigérienne, dans l’état d’exception actuel, dire publiquement et diffuser sur les réseaux sociaux que « le Niger a profité de la faveur du port béninois, mais l’a mal gérée ». En attendant de revenir plus loin sur les asymétries défavorables au Bénin du point de vue de la démocratie et des libertés publiques, il convient de s’accorder sur le fait que, autant le Niger a le désert et son pétrole, autant le Bénin a l’océan atlantique et son port. Et le choix du Bénin parmi plusieurs pays à littoral n’était pas une faveur faite à un pays-mendiant mais un choix rationnel procédant d’un business-plan, à la suite d’une mise en compétition d’offres concurrentes, dont le Bénin est sorti vainqueur.
Dr Codjo rappelle utilement le lien entre l’agression du Bénin par des mercenaires du français Bob Denard et les relations particulièrement tendues entre le Bénin et le Togo précédentes à ladite agression dans un contexte bipolaire de guerre froide. Malgré la médiation de paix du président guinéen Sékou Touré en 1976, l’attaque du 16 janvier 1977 a eu lieu et les archives découvertes ultérieurement ont révélé que jusqu’au 15 octobre 1976 soit trois mois avant l’agression et concomitamment donc à la médiation guinéenne, le Togo abritait un groupe de commandos qui participaient à la formation et à la préparation d’un bataillon d’infanterie togolais destiné à soutenir la phase finale de l’agression de Bob Denard. Dr Codjo rappelle aussi, à partir des théories de James Fearon les « trois raisons qui souvent, séparément ou conjointement, empêchent l’un ou l’autre de ces États de rechercher ou d’accepter un accord pacifique durable qui puisse satisfaire les deux parties et donc aider à éviter une escalade des tensions ». Il s’agit des raisons du « incomplete information », du « commitment problem » et du « issue indivisibility ».
Dr Codjo aboutit à la conclusion que « la pluralité des acteurs actuellement impliqués dans la géopolitique du Niger et du Bénin et la nature presque irréconciliable des intérêts de certains de ces acteurs ne favoriseront pas l’identification d’un médiateur crédible et acceptable par tous », capable de surmonter les difficultés liées aux deux premières raisons et qu’en conséquence, « il est à craindre que cette crise ne persiste encore pour un temps et qu’une escalade ne soit, tôt ou tard, la seule issue possible. » C’est fort de ma conviction et de mon accord total avec cette conclusion, que j’ai proposé de renforcer les axes Cotonou-Bamako et Cotonou-Ouagadougou sur lesquels nous avons de nombreux chantiers, afin de démentir l’image écornée de poudrière de la France que Tiani tente de donner au Bénin au sein de l’opinion publique du Niger, des populations de l’Aes et au monde entier.
C’est pourquoi, mes questions ci-après découlent du parallèle fait par Dr Codjo entre la crise Bénin-Niger actuelle et la tension entre le Bénin et le Togo d’il y a 48 ans. En effet en 1976, les régimes d’Eyadéma et de Kérékou étaient établis depuis respectivement 1967 et 1972, soit depuis neuf et quatre ans. Ils étaient tous les deux des régimes militaires qualifiés aujourd’hui de « dictatures » mais qui exerçaient « l’effectivité du pouvoir » au sens du droit international, rendant donc possible la médiation d’un pair en la personne de Sékou Touré dans un contexte où, un an plus tôt, la Cedeao venait d’être créée avec la participation des trois.
• Puisque l’analyse de Dr Codjo a abouti à la conclusion de l’impossibilité d’une médiation en l’état des forces et arguments en opposition, ne serait-il pas plus productif pour nous, Béninois, d’évoluer vers une analyse à la double-lumière de la théorie du choix rationnel des parties et de la théorie des jeux ? En effet, en nous référant à Carraro (2005) qui juge impossible d’identifier les caractéristiques des coalitions qui pourraient se former à l’équilibre car les pays (joueurs) sont supposés symétriques, ce qu’ils ne sont pas dans la réalité, n’aboutirons-nous pas à la conclusion que l’accord de 1976 fut un marché de dupes en raison de la fausse entente entre les parties et leur médiateur guinéen, l’opération crevette ayant eu lieu quelques mois après ce qu’on croyait être un accord de paix ?
• Quand on sait que contrairement à la crise Bénin-Togo de 75-77, celle entre le Bénin et le Niger est consubstantielle au putsch de 2023 qui a amené Tiani au pouvoir ; quand on sait qu’aucune coalition n’était donc possible dans la perspective d’une médiation du fait non seulement des sanctions de la Cedeao mais aussi de la décision prise par le Niger avec le Mali et le Burkina Faso de sortir de cette communauté pour créer l’Aes ; que reste-t-il à faire d’autre que de s’en tenir au choix de Tiani de fermer les robinets pétroliers ; de se concentrer sur les chantiers qui avancent le Bénin et qui pourront contribuer à terme aussi bien à développer de nouvelles ententes avec les autres pays de l’Aes ; mais aussi à bonifier sa crédibilité tout en laissant le temps aux Nigériens de tirer des leçons des choix de leurs gouvernants ?
• Enfin, quand on voit certains concitoyens et personnalités béninois usant de leur liberté d’opinion et d’expression à flageller leur pays et son gouvernement pendant que les Nigériens sont l’objet de manipulation par matraquage par les médias publics ; quand on apprend que les chaînes étrangères sont suspendues et que la junte a ordonné la coupure du signal de la télévision béninoise sur Canal Plus ; quand on voit circuler les vidéos des prêches organisés par la junte pour construire dans conscience collective nigérienne, non seulement un Talonbashing ou un Béninbashing, mais pire, une véritable béninophobie au moyen de méthodes et outils de communication dignes des régimes d’exception et autres dictatures que nous combattons au Bénin depuis la conférence nationale de février 1990, comment peut-on prendre en compte dans l’analyse, les asymétries défavorables au Bénin du point de vue de la démocratie et des libertés publiques ? Merci d’avance pour votre éclairage, Dr Juste Codjo.