Un an jour pour jour. 16 novembre 2022, le Conseil des ministres a annoncé le lancement à Bantè de la campagne de commercialisation du soja 2022/2023 sur la base d’un prix-plancher de 190 fcfa le kilogramme. 16 novembre 2023, le Gouvernement a décidé au titre de la campagne 2023/2024, de la libéralisation totale du commerce du soja, de la collecte primaire jusqu’à l’exportation désormais autorisée sans agrément mais pour une taxe réduite de 140 à 30 fcfa. Mais entre-temps, le 11 avril 2023, une rencontre au palais de la Marina entre le président Patrice Talon et l’Union nationale des coopératives de producteurs de soja (Uncps), a accouché de l’abandon du prix-plancher de 190 fcfa pour un prix fixe de 270 fcfa, avec leur approbation.
Le soja et ses producteurs ont régulièrement bénéficié non seulement de l’oreille attentive mais aussi de la flexibilité du chef de l’État à favoriser la rentabilité de cette culture. Mais elle ne s’apaisera pas tant qu’elle ne se constituera pas en filière organisée, avec un profilage clair de tous ses acteurs ainsi que nous l’indiquions le 12 avril 2023 dans notre article intitulé Les défis nouveaux au-delà du prix au producteur (Fraternité n°5856), après que le président Talon s’est posé en consolateur des insatisfactions exprimées par les paysans. Ce sens de l’écoute prouvé plus de trois mois après que les élections législatives du 8 janvier 2023 eurent rendu leur verdict, témoigne de ce que les considérations politiciennes n’en ont nullement été le déclencheur. Sinon, ce réajustement aurait eu lieu avant le scrutin, de sorte à en faire profiter les candidats des partis de la majorité présidentielle, notamment ceux des régions de production où l’opposition embouchait la trompette de la « chasse au soja » et de cette « drogue qu’on traque avec son producteur ».
Récupération politique et professionnalisation du soja
À l’encontre des discours politiciens indexant depuis quelques semaines une certaine préférence régionaliste en faveur de l’ananas, il convient de rappeler que déjà en septembre 2019, le Gouvernement avait conclu pour l’exportation du soja béninois en Chine, un protocole d’accord avec ce pays qui n’est pas resté lettre morte. En effet en juillet 2020, la première cargaison de soja béninois a été débarquée dans un port de la province du Jiangsu et en 2022, plus de 220.000 tonnes ont été exportées vers la Chine, soit pour plus de 60% des exportations totales du Bénin. Malgré cela, la récupération politique à laquelle on assiste sur le dossier soja reste de bonne guerre. Tant dans le camp de la majorité que de celui l’opposition où tout le monde crie victoire. Pour une prévision de production de 420.000 tonnes selon le Rapport Ayihagro Soja de juillet 2023 au titre de la campagne 2023/2024, on comprend que les partis en fassent un argument de compétition politique dans notre pays où fleurit une industrie nationale demandeuse de matière première sur des récoltes de soja. Cette dernière devrait se mettre à la proue de la construction d’une filière soja complète, forte de l’interdépendance fonctionnelle des acteurs. En effet, ceux que le chef de l’État désignait le 11 avril 2023 au palais de la Marina par « les acteurs intermédiaires …qui viennent négocier les produits agricoles ; …qui vendent à ceux que nous appelons les exportateurs… » et qui « parfois ne veulent faire aucun effort sur leurs marges… » semblent avoir montré aux industriels de la GDIZ, le chemin qui les mènera à la constitution d’une interprofession soja non seulement plus apaisée dans ses rapports avec l’État, mais aussi plus profitable pour leurs activités de production de valeur ajoutée. Car ces prépaiements dans lesquels se sont engagés lesdits intermédiaires, répondent à un besoin de financement des exploitations et des besoins domestiques du paysan. Ils pourraient donc inspirer nos industriels en vue de la sécurisation de leurs approvisionnements en matière première dans le cadre d’une filière mieux organisée, ce qui permettrait in fine d’avoir une vue plus transparente sur les niveaux de production, de récolte et de solde exportable et donc taxable, après satisfaction des besoins locaux, qu’ils soient industriels ou non.
Le soja, culture de construction nationale et de développement
Le repli des exportateurs aux frontières d’avec le Togo en réaction à la taxe à l’export de 140 fcfa décrétée au Bénin et en vue de siphonner sans paiement de frais de douane les récoltes des paysans qui réussiraient à les leur acheminer malgré toutes les barrières et tranchées, a été facilité par l’absence d’accords interprofessionnels notamment sur le prix d’achat au producteur, sur le mode opératoire de la campagne, de la collecte primaire et de l’approvisionnement des usines à hauteur de leurs besoins. Cette taxe à l’exportation désormais réduite à 30 fcfa et dénommée Contribution à la recherche et à la promotion agricole, sera uniquement payable au port de Cotonou et exclusivement supportée par les exportateurs. C’est dire que ces derniers devraient abandonner leurs guichets-bivouacs frontaliers, surtout qu’ils sont autorisés à opérer sans agrément. D’ailleurs, même en exportant le soja béninois via le port de Lomé, ils payent des taxes à l’État togolais qu’ils enrichissent au grand dam du Bénin grâce à une exportation du produit en fraude au dispositif réglementaire mis en place par le gouvernement. Le chef de l’Etat ne s’y était pas trompé quand il désignait le 11 avril 2023, les intermédiaires-spéculateurs comme étant les perturbateurs des campagnes, du fait qu’ils font la ronde des exploitations pendant la production et prépayent les récoltes qu’ils revendent par anticipation aux exportateurs avec des marges bénéficiaires exhaussées des réalités. « …Ils répercutent tout sur les producteurs sachant que vous êtes une force, …une masse qui peut exiger du gouvernement des mesures plus souples …C’est ceux-là qui sèment parfois le bordel », fustigeait le président Talon. A juste titre, puisque le souci du gouvernement d’apporter une réponse urgente aux besoins des populations en eau potable, en électricité, en routes, en écoles, en centres de santé etc, ne peut se résoudre comme dans les grandes puissances du monde que par le prélèvement de taxes sur les transactions entre acteurs économiques du pays, qu’ils soient nationaux ou non. « Nos besoins sont énormes et nous ne pouvons compter que sur nous-mêmes pour les satisfaire. Ce que nous avons en commun, c’est ce que chacun met dans la caisse de l’État pour financer tous ces besoins. C’est pour ça que pour tout le monde, il y a une obligation de contribution aux ressources publiques, y compris les producteurs…Parfois les décisions que nous prenons sont difficiles à comprendre, même à accepter mais, qui veut sortir de la pauvreté fait l’effort sur lui-même d’abord. Nous avons tous besoin de sortir de la pauvreté…C’est pour ça que l’effort est indispensable » indiquait le chef de l’État dans son plaidoyer en faveur d’une contribution du soja, non pas seulement à l’enrichissement de quelques opérateurs économiques, mais aussi et surtout au développement du pays. Il est à espérer que le dernier communiqué du gouvernement inaugure une prise de conscience de tous les acteurs quant à l’urgence pour tous de se constituer en une interprofession forte et productrice de richesse et de développement.
Jocelyn Nahama NENEHIDINI
- 4 octobre 2024
- 4 octobre 2024