La délocalisation du marché Dantokpa, le plus grand marché à ciel ouvert de l’Afrique de l’ouest m’inspire des sentiments de colère et d’incompréhension.
Pour avoir été Gestionnaire de ce marché dans les années 1980 sous la révolution et, les années 1990 à l’avènement de la conférence nationale, je m’en voudrais de ne pas éclairer les décideurs sur l’impact des décisions qu’ils s’apprêtent à appliquer sans la moindre consultation des autres couches de la société.
1/Quelles sont les études de faisabilité qui ont prévalu à la délocalisation de ce marché de son site naturel ?
2/la traçabilité des circuits de distribution, la provenance des usagers au plan national, régional et international ont-elles été intégrées avant la prise de cette décision ?
De quoi s’agit-il ?
Le marché Dantokpa est une ville marché.
C’est un peu la cité du Vatican à Rome.
Il serait donc souhaitable de ne pas le déplacer sans étude technique rigoureuse qui prend en compte les aspects historiques, spirituels, sociologiques, géographiques, économiques, etc.
Pour ne pas être long, disons simplement qu’au plan économique, le marché Dantokpa participe au développement des autres communes du Bénin à travers son statut de ville -marché.
C’est à partir de ce marché que les autres circuits de distribution des produits respectent les prix de vente en détails.
C’est un marché pourvoyeur d’emplois, de main-d’œuvre à la gent féminine. Le slogan des déguerpissements au bord des trottoirs était que tous les vendeurs doivent aller dans les marchés.
C’est Dantokpa le lieu de rencontre qui détermine les produits commerciaux, les circuits d’approvisionnement et d’écoulement sur toute l’étendue du territoire.
C’est donc une agglomération ou un centre dont la position géographique et les activités principales favorisent les échanges de produits entre son hinterland (arrière pays) et les autres centres urbains.
Son rayon d’action est à la fois local, régional, national et international….
Il a une superficie de plus de 20 hectares répartis en secteur d’activité.
Le paysan de Bassila, Bantè, etc sait par où passer pour aller déposer et vendre ses ignames. Idem pour les autres produits.
Ce marché draine plus de neuf cent quatre vingt dix mille (990.000.000) visiteurs par jour pour plus de trente mille (30.000) commerçants tous les jours sans arrêt à cause de l’affluence non Stop des usagers par trafics aériens, routiers et fluviaux.
Pourquoi alors délocaliser ce marché qui une âme depuis des décennies, avant d’être consacré respectivement en 1963,1976,1988 ?
Son chenal est la lagune de Cotonou qui relie naturellement la terre ferme à nos deux communes lacustres du Bénin, à savoir Sô-ava, les Aguégués et toute la vallée de l’Ouémé.
En déplaçant ce marché du site naturel choisi par nos ancêtres, quels sont les moyens de transport alternatifs prévus aux communes lacustres et, la vallée de l’Ouémé qui ont établi un quai de débarquement et d’embarquement au marché Dantokpa depuis les arrières-parents ? Une ville est une œuvre d’art à laquelle plusieurs générations s’accommodent plus ou moins de ce qui existait avant elles. La ville moderne doit être juxtaposée à l’ancienne. Il faut respecter le passé, ne pas le transformer ni le déplacer. L’on ne doit pas chercher à adapter à des fins modernes, les beautés pittoresques des vieilles villes.
Ailleurs dans le monde, les autres pays sont fiers en nous faisant visiter leurs sites touristiques.
C’est le cas de la place Hatchiko à Tokyo au Japon, le vieux port au Québec Canada, les marchés centenaires de la porte d’Italie, de la porte Clignancourt à Paris.
La liste des produits pour ce marché en provenance du Nigeria, notre géant voisin de l’est par trafics fluviaux est inestimable.
Par quels réseaux routiers ou fluviaux tous ces usagers du marché Dantokpa iront au nouveau marché à Calavi et sous quel nom choisi ?
L’on ne transforme pas ce qui est naturel et spirituel par Décret. Le marché Dantokpa a aussi une charge émotionnelle.
Ceux qui avancent sur le pont du présent ont une dette de vérité envers le passé.
Tous les ponts ont une histoire.
Selon Voltaire on doit des égards aux vivants, on ne doit aux morts que la vérité. Le vrai mobile reste à démontrer surtout que pour connaître le fond d’un dossier il faut le confier au temps qui est le second nom de Dieu.
En définitive, si par extraordinaire tous ceux qui défendent le projet de délocalisation en application du partenariat public-privé, pour s’approprier de plus de 20 hectares de domaine foncier, sans la moindre compassion aux usagers, en vue d’installer un tourisme balnéaire contre toutes les lois naturelles allaient jusqu’au bout, le karma, retour des effets sur l’auteur de la cause sera impitoyable.
Par conséquent, il faut éviter que toutes les expropriations pour cause d’utilité publique ne deviennent à moyen ou long termes des expropriations pour cause d’intérêts privés au détriment des gens modestes qui ont su économiser, pour acheter leur résidence ou leur fonds de commerce.
Loin d’être un ultra nationaliste délirant, je ne fais qu’apporter mon témoignage au tribunal de l’histoire.
Dah Claude Cossi Djankaki
– Ancien Directeur des Études et de Planification (DEP) sous la révolution (1987-1990) au ministère de l’intérieur de la sécurité et de l’administration territoriale.
– Ancien Président du conseil d’administration de la SOGEMA 1988-1990
– Ancien DG /SOGEMA à l’avènement de la conférence nationale
- 14 octobre 2024