Docteur Bruno Montcho est sociologue spécialiste de la débrouille et de la déviance. Il est également maître-assistant et enseignant-chercheur à la Faculté des sciences humaines et sociales (FASHS), département de la Sociologie à l’Université d’Abomey-Calavi (UAC). Dans cet entretien, il a passé au peigne fin le cas des jobs de vacances. Par la même occasion, il a invité les élèves et les étudiants à l’esprit d’éveil. Il n’a pas manqué de plaider pour la sécurité du secteur.
C’est un constat qu’au début de chaque vacance, élèves et étudiants s’intéressent aux jobs de vacances. Comment peut-on comprendre ce type de profession ?
Le job de vacances, c’est juste un travail temporaire que l’étudiant ou l’élève fait pour couvrir la période des vacances et après, reprendre les activités académiques et scolaires. C’est juste un ou deux mois de Job au maximum, histoire de trouver quelques revenus pour ne serait-ce que satisfaire les besoins pour préparer la rentrée si cela est possible. Donc les Jobs de vacances, c’est juste un travail qui se fait pendant un temps donné, le temps des vacances et après, la personne doit retourner à son activité académique parce qu’il s’agit des élèves et des étudiants.
Quelles appréciations avez-vous de la façon dont ces jobs se déroulent chez nous ?
Il y a deux niveaux. Le premier, c’est ceux qui réellement sont dans la bonne foi et offrent cette possibilité à ces jeunes de pouvoir faire ce travail et pouvoir gagner réellement à la sueur de leur front ou bien au prorata du travail qu’ils ont eu à faire. Et donc, des structures lancent des appels ou biens certains étudiants, élèves ou acteurs vont vers ces structures, essayent de voir quels travaux qui sont libres à faire, histoire de pouvoir être occupés au lieu de se promener, de ne rien faire à la maison. Il y a des structures qui, pendant les vacances, prévoient des activités qui nécessitent une main-d’œuvre qui n’a pas besoin d’être permanente. Quand ces structures lancent ces appels à recrutement, les étudiants ou élèves déposent ou postulent, elles les recrutent et ils sont utilisés à terme puis réellement payés, soit ils sont payés à la fin du mois, soit ils sont payés au prorata du service consommé ou du service rendu. Voilà le premier niveau.
Mais le second niveau, ce sont ces structures qui vendent des illusions aux élèves et étudiants. Elles ouvrent des possibilités et les élèves ou les étudiants vont s’inscrire, sont recrutés, travaillent et vont au-delà des objectifs qu’eux-mêmes savent qu’ils ne peuvent pas atteindre et puisqu’ils n’arrivent pas à atteindre, ils sont sous-payés. Ils ne sont réellement pas payés ou bien, on dit : « vous n’avez pas atteint l’objectif ». Ce sont des entrepreneurs véreux, qui sont animés de mauvaise foi puisque les enfants font le travail au minima, puisqu’ils ne peuvent pas le faire au-delà de ce qu’ils ont fait. Les acteurs mêmes le savent et pourtant, ils essayent de les exploiter à ce niveau. Il y a d’autres qui savent que pendant les vacances, les élèves ou les étudiants doivent aller chercher du boulot. Il y a de faux appels de recrutement par des structures qui n’existent pas, ou bien on crée des structures fantoches et on dit qu’on veut faire ceci ou cela et les gens y vont. Après, on leur dit : « vous devez payer ceci et cela, peut-être 1000 francs ou 500 francs et ainsi de suite. Du coup les enfants, parce qu’on est à la recherche, ils se disent d’accord le plus important, ce que je veux gagner à terme dépasse ce que je peux donner. Par conséquent, je ne perds rien en donnant ce que je veux donner. Après tout, ils ne trouvent même plus les structures.
Encore que les réseaux sociaux les aident à atteindre cette déviance. Voilà un peu ce qui se passe, mais à qui s’en plaindre ? Personne, parce qu’on fonctionne un peu dans l’informel. Et mieux, les structures qui font travailler ces acteurs et qui ne leur payent pas beaucoup, vous n’allez pas vous plaindre quelque part. Je pense que c’est parce qu’on est dans un pays où il n’y a pas de la rigueur en terme de suivi. Il n’y a pas des structures qui organisent ces jobs de vacances comme nous avons l’ANPE qui organisent ces choses. S’il y des structures qui essayent de cadrer ou d’encadrer et on peut dire qu’il faut passer par ces structures, cela peut régler un peu la situation parce qu’il y a beaucoup de nos étudiants et élèves qui réellement font le travail mais qui ne sont pas payés. Il y en a même qui le font de façon permanente. Il va falloir faire un travail réellement de fond pour éviter ces différentes situations à nos frères et sœurs qui s’échinent pour faire le travail mais à terme ils ne sont pas payés. Ou bien, on les paye le premier mois et les autres mois, on leur doit et après, on leur dit qu’on ne peut plus et ils s’en vont. S’ils ne sont pas dans une situation permanente, c’est que les structures de prise en charge ne peuvent rien pour eux.
Pensez-vous qu’il est opportun d’attirer l’attention des décideurs sur la nécessité d’encadrer ou de cadrer ce secteur au bonheur de nos frères et sœurs ?
Je pense que par votre travail et le canal de votre journal, vous donnez déjà la possibilité, comme on le dit dans nos langues, vous ouvrez les yeux aux autorités parce qu’il y a beaucoup de choses, mais vous attirez l’attention des autorités sur un fait banal mais très important qui se passe à côté d’elles ou bien dans lequel leurs enfants, fils, frères et sœurs sont utilisés sans qu’elles ne le sachent. Il leur revient de passer par toutes stratégies qui doivent être du ressort de l’État central ou de celui décentralisé. Mais l’un dans l’autre, il faut qu’on essaie de cadrer ne serait-ce que de créer peut-être des structures temporaires ou celles qui existent déjà. Aujourd’hui, tout se fait déjà en ligne et avec des cadrages très précis. Par exemple, la structure de l’ANPE peut être décentralisée en structure ‘’ANPE emploi-vacances’’ et là, on sait que ce sont des emplois de deux ou trois mois au plus et la plateforme sera créée pour les structures qui veulent l’utiliser et les étudiants passent par là pour s’inscrire et choisir les structures compte tenu de leur lieu de résidence et de ce qu’ils peuvent faire pour permettre de gagner réellement et franchement ce que peut leur force de travail. Il faut que cela se passe et il revient à l’autorité de savoir quelles sont les stratégies auxquelles elle doit avoir recours pour pouvoir ne serait-ce que cadrer. Vous donnez l’alerte et c’est le rôle d’un journaliste. Vous montrez du doigt là où se trouve le problème et il revient aux autorités de saisir ces différentes opportunités ou ces différentes situations que vous leur décriviez et là elles vont être très utiles pour la population de façon générale.
L’autre préoccupation dans cette situation, c’est à qui se plaindre quand l’élève ou l’étudiant se retrouve dans un cas de non payement ou de sous payement de ce qu’on lui doit. Qu’en pensez-vous ?
C’est une situation complexe et la gouvernance s’en mêle parce que si vous n’avez pas un élément qui vous rattache à la structure, comme par exemple un contrat bien établi, qui est enregistré en cas du non-respect, l’employé ne peut rien utiliser contre l’employeur. Puisque les acteurs savent qu’ils sont en train de fonctionner dans l’informel, il n’y a pas de ces différents papiers qui vont se retourner contre eux. Et par conséquent c’est difficile quand cela se passe, il y a des menaces à gauche et à droite. L’étudiant ou l’élève est obligé d’abandonner ou de se dire : ‘’je laisse tout à la providence divine’’. Dans l’un ou l’autre cas, c’est de l’exploitation comme le dit Karl Max, c’est une exploitation et c’est dommage.
Il y a aussi le cas des bars où, à la fin du mois, après le compte des pertes, ils sont toujours redevables et ne gagnent rien. Comment appréciez-vous cela ?
Nous avons tellement de problèmes mais on s’attaque à des secteurs où le problème fondamentalement ne se pose pas. Là où vous êtes allés, c’est très compliqué et il y a plein de nos enfants et de nos sœurs qui sont enrôlés dans ce système pensant qu’ils ont quelques temps à faire. Il y a des gérants qui font leur dictat. Après, il y a les promoteurs qui font aussi le leur. Du coup, la jeune fille est engluée dans un étau. Quand le gérant a mal fait, il essaie de ramener cela sur la jeune fille parce qu’il sait que la jeune fille n’a pas la voix pour pouvoir en parler puisque c’est un secteur non enregistré mais qui est très important. Voilà les acteurs fonctionnent à vau-l’eau et puis on ramène les uns et les autres. On peut te prendre aujourd’hui et te remercier tout de suite ou demain parce qu’il y a telle ou telle situation. Ce sont des secteurs d’insécurité terrible qui ne garantissent pas la sécurité à l’employé qui vient travailler quand bien même tout ce que la fille fait, on ne peut pas montrer son impact négatif sur la structure. Parfois, il y des filles, leur seule présence peut ramener beaucoup de clients. Quand vous regardez cela, vous n’avez pas à lui faire payer certaines choses. Et aussi, il n’y a pas une structure qui forme dans le secteur et du coup, c’est l’auto formation qui est sur place. Même les gérants n’organisent pas certaines formations pour les acteurs y compris les promoteurs. Voilà un peu les éléments et c’est dommage. Mais on est dans la réalité et parfois elle est amère à dire. Quand vous la dites, on pense que vous êtes contre tel ou tel pouvoir. Ce n’est pas le cas.
Quels conseils pouvez-vous prodiguer à ceux qui se lancent dans cette aventure ?
En termes de conseil, ils doivent essayer d’évaluer les risques liés à l’exercice de ce métier. Les risques, compte tenu de leur être, ils peuvent chercher à savoir s’ils sont mentalement forts. Est-ce qu’ils ont la possibilité physique, intellectuelle ou bien, en termes d’éveil, d’être au-dessus ou de pouvoir tenir pour qu’à un certain moment, si ce n’est pas bon, ils aient le courage de le dire. Parce que les structures qui existent ne quadrillent pas jusqu’à la hiérarchie très basse. Cela pose un problème de formation, de cadrage, de suivi et puis, on va à vau-l’eau. Chacun se gère, chacun arrive à se sortir d’affaire. Malheureusement, cela ne marche pas et les filles sont obligées parce que, voyant la situation, de se donner à quelqu’un qui leur donne un peu, et c’est comme cela que la vie commence par devenir une vie pourrie, on traine un enfant contre son gré parce qu’on a voulu faire quelque chose pour suppléer les efforts des parents. C’est malheureux mais c’est ce à quoi notre société est confrontée.
Pensez-vous que les vagues de réformes en cours doivent impacter ce secteur ?
Dans quel endroit de ce pays il n’y a pas de débits de boisson ? C’est tellement très important. Quand on évalue la main-d’œuvre qui est utilisée là et ce que cela brasse du point de chiffre d’affaires, de ressources et de revenus, je pense qu’on ne doit pas laisser ce secteur de cette manière végéter dans les déviances. Il faut que les reformes essayent de sécuriser ces enfants du Bénin ou bien d’ailleurs qui essayent d’opérer dans ce secteur. Il y a également les femmes de ménage qui aident. C’est tout un ensemble, il faut peut-être avoir une structure, des petits métiers, moi je suis en train d’écrire un document sur les petits métiers de la débrouille, qui permet de former même l’étudiant à la vie sociale, à affronter la vie et se dire : ‘’mais avec l’étude, je peux bien faire, avec l’étude, je ne suis pas tenu de ne pas faire quelque chose mais je fais quelque chose pour supporter mes études lorsque je n’ai personne’’. On l’a fait et c’est cela qui nous a permis d’être là aujourd’hui. Ce n’est pas que c’est interdit mais si on peut l’organiser pour sécuriser l’étudiant comme cela se fait dans les pays développés où ce sont des structures qui vous appellent parce que vous avez postulé dans tel secteur pour travailler, ce serait bien. Vous êtes utilisés et à terme on vous reverse vos revenus proportionnellement ou au prorata de ce que vous avez fait. Il faut que vraiment des réformes permettent de sortir ce secteur de ce que nous vivons aujourd’hui qui est malheureux.
Votre mot de la fin
C’est un peu pathétique de sortir une thématique pareille à l’orée des vacances pour attirer l’attention du pouvoir public, des autorités, notre rôle à garantir la sécurité dans l’exercice de telle ou telle fonction ou tel métier à nos frères, sœurs, enfants et consorts. Je pense que c’est très important. Si l’auditoire des autorités peut vous écouter et essayer de penser à ce qu’il faut faire, un début de règlement ou de solutions, cela va nous aider et aider à ce que les rentrées se passent très bien, qu’on n’ait plus de situation d’enfant qu’on peut renvoyer parce qu’il n’a pas payé sa contribution, tel ou tel ouvrage ou matériel. Parce que l’enfant a compris que la vie, il faut l’affronter et donc c’est le travail qui permet de se libérer et d’être un homme ou de pouvoir sortir pour satisfaire un certain nombre de besoins. Cela va nous aider et va permettre également à tout Béninois de savoir que tout ne se s’obtient pas dans la facilité. Ce sont les éléments qui permettront de donner de la valeur au travail et tant qu’on ne va pas donner la valeur au travail pour quelqu’un qui travaille et qui réellement gagne à la sueur de son travail, c’est qu’on va toujours courir derrière les cybercriminels
Propos recueillis par Fidégnon HOUEDOHOUN
- 14 octobre 2024