Dr. Joël Hounguè, Spécialiste en sciences de l’environnement et développement durable, : "le défi principal pour le Gouvernement béninois est d’accompagner le LESE dans son opérationnalisation

2 septembre 2024

Dr. Joël quels sont les grands chantiers sur lesquels le gouvernement béninois doit se pencher dans les prochains jours sur le plan environnemental ?
Le Bénin depuis 2016 s’est doté d’une ambitieuse politique de développement décrite à travers son Programme d’Actions 2016-2021 et 2021-2026. Il s’agit d’un ensemble d’importants projets qui touchent tous les secteurs d’activités et qui visent à termes à répondre aux aspirations du Bénin en matière de développement et de croissance économique. Ce vaste chantier de développement croisé avec l’accroissement démographique et l’étalement urbain soulève de grands défis environnementaux inhérents au développement. Ces défis sont prioritairement aussi bien d’ordre institutionnel qu’opérationnel quand l’on interroge la gouvernance environnementale en l’état au Bénin. Il est question ici du cadre légal d’application des textes juridique au Bénin.

Redynamiser la police environnementale
L’arrêté n°0045/MEHU/DC/SG/DE/SQEPE/DPE/SA fixant les conditions et modalités d’exercice de la fonction d’agent de la police environnementale, dispose en son article 9 que les agents de la Police Environnementale ont pour mission de prévenir, de rechercher, de constater et de réprimer les infractions à la législation environnementale en collaboration avec les autorités compétentes. L’article 10 de cet arrêté dispose que les infractions à la législation environnementale concernent notamment : - la pollution sonore, la pollution atmosphérique, la pollution des eaux, la pollution des sols, la pollution par les déchets, les utilisations abusives des· ressources naturelles, les atteintes à la biodiversité ; les violations des plans de gestion environnementale, les atteintes à la foresterie urbaine, les violations des plans d’aménagement urbain, en particulier la construction d’habitation dans les zones « non aedfficandi ». Mais force est de constater l’absence de la police environnementale sur les champs de sauvegarde environnementale conformément à sa mission. La police environnementale a pour cahier de charge, les inspections et l’application des textes juridiques sur le plan de l’environnement sur tout le territoire national. Mais sa capacité est limitée étant donné l’effectif et les moyens dont elle dispose. Sous le modèle de la police municipale en charge de la sécurité il est judicieux de doter les Communes de cellules ou organes de police environnementale et de donner à ce dernier les moyens d’actions pour son opérationnalisation.

Actualiser certaines dispositions légales de sauvegarde environnementale
Il faut souligner que le Bénin à l’exception des pays de la sous région, dispose d’un cadre juridique environnemental bien fourni. A l’analyse du cadre juridique béninois, il faut aussi reconnaître que certains textes sont aujourd’hui caduques et nécessitent une relecture ou actualisation. Par exemple le cadre réglementaire fixant les normes de qualité de l’air et des eaux résiduaires en vigueur au Bénin ne prend pas en compte tous les paramètres de pollution au niveau des grandes industries de transformation et de production.
En effet, le décret n°2001-110 du 04 avril 2001 fixant les normes de qualité de l’air en République du Benin, en son chapitre 5 titré « Des normes d’émission atmosphériques des sources fixes » dispose que : article 16, les rejets atmosphériques par les sources fixes sur tout le territoire national respectent les valeurs limites suivantes, sous réserve des dispositions particulières du présent décret : pour les particules en suspension, si le débit massique est supérieur à 1 kg/h, la valeur limite de la concentration dans les émissions est de 50 mg/m3 ; pour les composés organiques volatiles, si le débit massique est supérieur à 5 kg/h, la valeur limite de la concentration dans les émissions est de 150 mg/m3 ; article 17. Les critères limites suivants s’appliquent à tout établissement ou installations de combustion utilisant des hydrocarbures comme combustible : particule 85 mg/Mj ; NOx 325 ppm. Les exigences en concentration de NOx sont exprimées sur base sèche et corrigées à 3 % d’Oxygène. Article 18, la teneur en soufre de l’huile utilisée comme combustible n’excède pas : 2,0 % en poids pour l’huile lourde (SAE 50 et plus) ; 1.0 % en poids pour l’huile intermédiaire (SAE 40) ; 0,5 % en poids pour l’huile légère (de SAE 10 à SAE 30).

L’ensemble de ces dispositions ne fixent pas les normes de pollution spécifiques pour les paramètres CO, NO2, NO, NOx, poussière, SO2, CO2, O2, H2O, etc. émis par ces industries. En plus de ces paramètres cités, ceux qui suivent : Fluorure d’Hydrogène (FH), Chlorure d’Hydrogène (HCl), Hydrocarbures Aromatiques Polycycliques (HAP), Sulfure d’Hydrogène (H2S), Ammoniac (NH3), formaldéhydes, etc. méritent d’être pris en compte dans le cadre règlementaire fixant la qualité de l’air.

De plus, le décret n°2001-109 du 4 avril 2001 fixant les normes de qualité des eaux résiduaires en République du Benin, ne définit aucune norme spécifique quant aux rejets d’eau par ces industries. Or, les cas de maladies et de décès dus à la pollution atmosphérique dans le monde sont une préoccupation majeure qui affecte le développement et l’économie des pays, en l’occurrence les pays africains et le Bénin, étant donné les couches exposées et la question de la vulnérabilité. Dans l’étude de la Banque Mondiale portant sur l’Analyse Environnementale au Bénin, il a été signalé que le coût de la pollution atmosphérique dans la ville de Cotonou est d’environ 1,2 % du PIB de Bénin.
Cette forme de pollution est plus observée dans les principales villes incluant les communes abritant la zone industrielle de Glo Djigbé (GDIZ). La volonté politique d’industrialiser le Bénin gage de tout développement est appréciée de tous et doit être soutenue par des directives fermes de sauvegarde environnementale. Autrement dit le développement industriel au Bénin doit s’inscrire dans la durabilité. En 2024, au regard des enjeux climatiques planétaires, aucun Etat ne devrait aspirer au développement sans l’inscrire dans l’Agenda 2030 qui fixe les objectifs de développement durable communément appelés ODD.

Vulgariser les textes pour la prise de conscience environnementale
La méconnaissance des textes par la masse implique leur vulgarisation au niveau des acteurs et de toutes les couches de la société en français, mais surtout, tout au moins dans les principales langues parlées au Bénin pour permettre à tous les béninois et à toutes les béninoises de s’imprégner du cadre juridique environnemental du Bénin. L’éducation environnementale s’impose aujourd’hui au Bénin mais aussi à l’échelle internationale. Parce que la question environnementale depuis la fin du 20ème siècle, est devenue une préoccupation planétaire avec des nuances qu’il s’agisse de pays riches ou de pays pauvres. Une chose sur laquelle on est d’accord et qui fait l’unanimité est qu’il y a un effort à faire pour la sauvegarde environnementale. Il est donc impératif de développer une stratégie d’information pour amener la population à une prise de conscience environnementale.

Rendre opérationnel le Laboratoire d’Etudes et de la Surveillance Environnementales (LESE)
Pour un meilleur suivi du cadre juridique environnemental, le Gouvernement béninois a fait un grand pas en avant en créant un nouveau laboratoire nommé « Laboratoire d’Etudes et de la Surveillance Environnementales (LESE) », par décret n°2022-093 du 09 février 2022 portant création du Laboratoire d’études et de surveillance environnementales et approbation de ses statuts. Il s’agit d’un organe étatique très décisif pour relever les nombreux défis environnementaux au Bénin. L’article 5 des statuts de ce laboratoire définit ses mission et attributions ainsi qu’il suit. Le Laboratoire a pour mission la surveillance, l’analyse et la production de données sur la qualité des différents compartiments de l’environnement tels que les eaux, les sédiments, les sols et l’atmosphère en vue du respect des normes juridiques relatives à la protection des populations et des ressources naturelles et de la recherche développement. A ce titre, en synergie avec l’Agence béninoise pour l’Environnement, il est chargé de : surveiller à travers des contrôles de qualité, les matrices telles que les eaux, les sédiments, les sols et l’atmosphère ; produire et disposer en permanence, d’informations pertinentes sur les différents compartiments de l’environnement tels que les eaux, les sédiments, les sols, l’atmosphère et les sources de pollution ; opérer une veille scientifique, technique, voire technologique basée sur l’analyse des différents polluants, leur cycle de vie et les scénarios futurs probables ; contribuer à l’amélioration des programmes de surveillance radiologique et non radiologique des polluants émergents et des contaminants des matrices de l’environnement ; apporter son appui technique à toutes personnes morales de droit public ou privé ou à toute personnes physique dans les matières relevant de ses compétences ; valoriser les résultats obtenus et les méthodes développées ; contribuer à l’élaboration par l’Agence béninoise pour l’Environnement, des outils techniques d’analyse intégrée des matrices de l’environnement ; initier ou contribuer à la réalisation d’études en vue d’une meilleure connaissance environnementale des milieux et des pressions qui s’y exercent ; faire le suivi et le contrôle du respect des normes de qualité des matrices telles que les eaux, les sédiments, les sols et l’atmosphère sur toute l’étendue du territoire national.
Le défi principal pour le Gouvernement béninois est d’accompagner le LESE dans son opérationnalisation, aussi devrait-il garantir à ce dernier, les moyens et l’autonomie nécessaires pour son fonctionnement.

Propos recueillis par Mahussé Barnabé AÏSSI (Coll.)



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