Valérie Idossou est docteur en sociologie du développement. Elle est également assistante sociale de formation de base. Dans cet entretien, elle a détaillé le but d’envoyer les enfants en vacances. Elle a aussi rappelé les dispositions que doit prendre la famille d’accueil et les attitudes appropriées des parents vis-à-vis des personnes chez qui ils envoient leurs enfants.
Pouvez-vous donner plus d’éclaircissement sur comment les enfants sont envoyés en vacances chaque année ?
Il faut reconnaître qu’il y a milliers de parents qui, chaque année pendant les vacances, décident que leurs enfants visitent d’autres milieux autre que celui familial. En Afrique généralement, envoyer les enfants en vacances constituait une réalité. Ainsi, les enfants pouvaient passer de famille en famille sans qu’on ne s’inquiète de rien puisque l’enfant était considéré comme le fruit de toute une communauté. Pendant les vacances, ils sont généralement déplacés vers les personnes qui sont liés à leur famille à savoir : des tantes, des oncles, des cousins et bien d’autres. On envoie moins chez les personnes que l’enfant ne connaît pas que vers les personnes que l’enfant a déjà vues une ou deux fois et avec lesquelles il est plus ou moins habitué. Il peut aussi arriver que ce soit une rupture totale avec son milieu familial et les personnes qu’il connaissait. Même si l’enfant connaît la personne chez qui il ira passer ses vacances, il y a toujours cette angoisse de séparation d’avec ses parents et tout ce qui accompagne ce départ du cocon familial vers un autre milieu. C’est ce qui est observé et il peut y avoir des bénéfices. Il y en a suffisamment d’ailleurs. Un enfant qui apprend à se séparer momentanément de ses parents est un enfant qui va s’ouvrir au monde, qui va rencontrer d’autres personnes et va s’autonomiser un peu parce que quand les enfants sont souvent avec leurs parents, ils sont trop chouchoutés de nos jours. Quand ils vont dans d’autres milieux, ils essayent suivant leur âge de se montrer utiles parce qu’avant de partir en vacances, il n’y a que les parents qui parlent de comment ils doivent se comporter pendant leur séjour, de comment ils doivent faire preuve de la bonne éducation qu’ils ont reçue auprès de leurs parents. Ce qui fait que quand ils sont dans les familles d’accueil, dans des lieux où ils doivent vivre pour quelques jours ou quelques mois, ils développent de la résilience en matière de compétence et capacité d’adaptation y compris des compétences de vie courante comme comment laver les assiettes, comment se réveiller soi-même les matins et plein d’autres choses. Au regard de cela, on peut dire que prendre la décision d’envoyer un ou des enfants en vacances pourrait être bénéfique. Pour les parents, c’est aussi une période d’angoisse mais en même temps une période de liberté parce que lorsque les enfants ne sont pas là, le couple peut également profiter du temps et puis, les femmes généralement sont moins inquiètes et préoccupées par les travaux domestiques y compris la cuisine qui les attendent lorsqu’elles doivent rentrer à la maison le soir. En termes de bénéfice, c’est ce qu’on peut retenir. C’est aussi l’occasion pour l’enfant de découvrir ses talents parce que souvent pendant ces vacances ailleurs, on se découvre sans ses parents. Pour recevoir les enfants, ils font des programmes de sortir avec eux. Du coup, pendant ces vacances, les enfants peuvent se découvrir en train de faire des choses qu’ils n’ont jamais faites chez eux parce qu’il y a une certaine rupture et une volonté de montrer qu’on est un bon enfant dans ce milieu.
C’est un constat que lorsque la famille d’accueil ne fait pas le paquet des fournitures scolaires, les parents du vacancier le voient du mauvais œil. Comment appréciez-vous cette attitude ?
C’est assez complexe de penser qu’en envoyant les enfants en vacances chez quelqu’un, la personne, en retour, doit les prendre en charge. C’est que les bonnes manières de faire peuvent amener la famille d’accueil à faire un petit cadeau à l’enfant qui retourne en famille mais rien ne l’oblige à lui offrir toutes les fournitures indispensables à sa rentrée. Je pense que c’est une façon dévoyée qui n’est pas juste de voir ce plaisir qu’un enfant peut prendre dans une famille d’accueil pendant les vacances. Si l’enfant vient en vacances, il n’est pas dit systématiquement que la famille d’accueil doit remplir son sac au retour. Les parents envoient certainement l’enfant pour qu’il se détache un peu d’eux, découvre aussi un autre monde, apprenne à tisser de nouvelles relations et développer des compétences et des capacités. S’il va quelque part où on fait des paniers, il va s’exercer à le faire. Si c’est un milieu où on prépare à manger, l’enfant va essayer d’imiter un peu ce qui se fait sur le terrain et va apprendre. Donc c’est une bonne chose. C’est de la solidarité que de préparer le retour de l’enfant en famille mais personne ne doit se fâcher parce que le sac de l’enfant n’est pas suffisamment rempli de fournitures. Si on le perçoit de cette manière, je crois que beaucoup de familles vont arrêter d’accueillir des enfants pendant les vacances parce que le but n’est pas cela. Si le but, c’est de demander de l’aide à des familles d’accueil pendant les vacances, il faut le dire clairement. Si c’est votre oncle, tante ou cousin, il faut bien lui faire savoir pourquoi vous envoyez l’enfant en vacances. Parfois, on envoie aussi les enfants en vacances pour qu’ils aillent apprendre. Peut-être que dans l’autre famille, les enfants ont une manière plus assidue d’apprendre leurs leçons et on estime que pendant ces deux mois, son enfant va apprendre de la démarche et de la méthode. C’est clairement défini dans le programme de vacances. Maintenant si vous voulez que la famille d’accueil achète les fournitures, je pense que c’est clair qu’il faut demander de l’aide et dire : « vraiment je vais envoyer mon enfant mais si à la fin tu peux m’aider, cela me fera plaisir ». Mais on ne doit pas systématiser et automatiser cela et penser que tous les enfants qui vont en vacances vont revenir avec leur sac de rentrée rempli.
Que pouvez-vous dire des enfants accusés de sorcellerie, y compris d’autres comportements déviants, soit dans la famille d’accueil ou dès leur retour aux parents ?
En tant une personne qui exerce dans le social, quand on parle de la sorcellerie chez un enfant, je prends toujours cela avec pincettes. J’aurais préféré qu’on parle de l’enfant dit sorcier puisque c’est le point de vue des adultes. Il est vrai que l’enfant peut revenir avec des troubles de comportement, soit parce qu’il a été malmené pendant son séjour en vacances (cela peut être le harcèlement, de la violence, de la maltraitance physique ou de la violence sexuelle) et quelques fois, il ne peut exprimer tout ce qu’il a vécu pendant ce temps surtout quand il est à bas âge. Si les parents remarquent un changement de comportement chez leur enfant au point de s’imaginer que quelqu’un lui aurait transféré un pouvoir destructeur, ils sont à même d’analyser en profondeur avant d’étiqueter cet enfant parce que dans 90% des cas, ce n’est que du vent et des histoires racontées. Parfois les enfants hallucinent parce qu’ils ont changé de milieu ou ils ont fait de mauvais rêve et pour de nombreuses autres raisons. Je propose qu’on fasse attention à ce volet de la situation où on taxe les enfants de sorciers. Par contre, l’enfant peut devenir malade parce que peut-être il y a des bactéries qui circulent dans son environnement. Avant que l’enfant n’aille en vacances, il faut qu’il se prémunisse des risques de maladie et vérifier si de l’autre côté, il y a toujours des dispositions qui sont prises en matière de sécurité sanitaire. Et s’il y a des cas asthmatiques ou drépanocytaires, il faut prendre des dispositions conséquentes. Il faut aussi discuter avec l’enfant pour qu’il sache comment se protéger dans son nouveau milieu de vie. Il ne faut pas seulement compter sur les personnes qui accueillent les enfants. Je pense que si votre enfant n’est pas du tout autonome, vous courez un gros risque en envoyant en vacances. Il vaut mieux le garder. Par exemple, les enfants handicapés, quelle que soit votre bonne volonté de lui faire découvrir d’autres milieux pendant les vacances, je pense qu’il faut vraiment réfléchir au milieu. Autrement, vous risquez de le confronter à des difficultés énormes alors qu’il a besoin d’être soutenu.
Certains parents préfèrent toujours aller en vacances avec les enfants. Est-ce une bonne décision ?
Ce n’est pas mauvais d’aller en vacances avec les enfants. Cela suppose qu’il faut s’accorder et utiliser les temps. Il faut forcément prendre les congés aux mêmes moments que les enfants si vous travaillez quelque part. C’est une option qu’il faut faire pour les longs voyages comme au Ghana ou à Kandi. Quand on va ensemble, il y a un autre objectif qui est visé. C’est que vous partagez le temps des vacances avec les enfants. Et cela va s’ajouter au fait que l’enfant doit découvrir d’autres milieux, apprendre d’autres choses. C’est surtout lorsque vous, parents, vous voulez que les enfants profitent aussi de vos temps libres et en ce moment, il faut juste rester ouvert pour que quand vous serez dans le nouveau milieu, le résultat à obtenir en terme d’ouverture de l’enfant à un autre monde ne soit pas interrompu par votre présence. Il y a des parents qui sont hyper protecteurs quand ils sont avec les enfants alors que s’ils n’étaient pas là, l’enfant, étant à la découverte, peut aller là où il veut. Surtout, il ne faut pas aller parce qu’on a peur que s’ils y vont seuls, ils seront confrontés à des difficultés. Et il faut aussi faire tout cela en fonction de l’âge des enfants. Il faut être très vigilant car quand l’enfant est de très bas âge, il est vraiment difficile de découvrir ses besoins cachés.
Un message surtout à ceux qui, compte tenu de certaines situations, ont pris la décision de ne plus recevoir des vacanciers
Ce qui est sûr, on ne peut plus obliger quelqu’un à prendre des enfants d’autrui chez lui parce que c’est également un risque. Normalement dans notre pays, le déplacement d’un enfant est sujet à des actes administratifs. Même si c’est un membre de la famille, avant d’envoyer un enfant en vacances, il faut normalement un acte qui doit signaler que l’enfant se déplace de tel endroit à tel autre. Mais nous vivons dans la banalité et c’est quand on est confronté à une difficulté qu’on commence à se mordre les doigts. C’est normal que des gens aient peur de prendre chez eux des enfants. Par exemple, il faut les alimenter et du coup, il y a un coût supplémentaire qui se crée. Si vous n’êtes pas préparé à accueillir des enfants, ne le faites pas. Il faut un budget pour accueillir les enfants car ils ont beaucoup de besoins et des demandes. Ils demandent sans savoir si vous pouvez ou pas. Il faut aussi assurer le statut sanitaire des enfants. Il ne faut pas prendre des enfants fragiles sans leurs parents. Il faut s’accorder dans le ménage, si vous devez prendre des enfants. Il faut que votre femme ou votre mari soit d’accord. Il faut le faire de manière consensuelle parce que si l’un d’entre vous n’est pas d’accord, après quand il y a un petit souci avec l’enfant, votre ménage peut se retrouver en difficultés et même en crise. Quelqu’un parmi vous peut commencer à dire : « et pourtant, je n’en voulais pas ». il faut aussi préparer vos enfants à accueillir d’autres enfants qui doivent désormais partager avec eux leur repas, leur lit parfois, leur voiture et il arrive que ceux qui sont titulaires peuvent avoir des comportements qui frustrent les autres. Il serait bien de planifier financièrement et émotionnellement l’arrivée des vacanciers dans la famille et que les enfants soient aussi préparés à les accueillir.
Votre mot de la fin
Merci de m’avoir sollicitée sur le sujet. C’est une question d’actualité puisque tous les enfants sont en vacances. Les résultats sont en cours de proclamation. Alors vive les vacances dans la sécurité affective, sanitaire et dans le bon sens. Que personne ne se fâche contre l’accueillant de son enfant parce qu’il n’aurait pas rempli ses attentes en matière de fournitures scolaires. Chacun doit continuer à être responsable de ses enfants. Maintenant, même si les personnes chez qui vous envoyez les enfants ont plus de moyens, vous n’avez pas à leur demander quoique ce soit avant qu’elles ne fassent ce qui est de leur ressort.
Propos recueillis par Fidégnon HOUEDOHOUN
- 14 octobre 2024
- 14 octobre 2024