Dans un monde où la question de l’inclusion des enfants à besoins spécifiques en milieu scolaire se fait de plus en plus ressentir et devient une nécessité à prendre en compte dans l’élaboration des politiques éducatives, le métier d’éducateur spécialisé reste peu connu. Pour en savoir plus et explorer les défis de l’implémentation de l’inclusion scolaire dans le système éducatif béninois, nous avons rencontré Hornela Fanou, éducatrice spécialisée de formation et psychopédagogue.
Pour commencer, quelle expérience personnelle ou professionnelle vous a motivé à vous orienter dans l’éducation spécialisée ?
Tout est parti d’un constat. Un jour, j’étais allée dans une école où il y avait un effectif pléthorique. Dans le lot, il y avait un groupe d’enfants qui visiblement étaient porteurs d’un handicap physique. Mais j’ai remarqué que l’enseignant se préoccupait moins des enfants à besoins spécifiques et accordait plus d’attention aux élèves typiques. Cette expérience m’a poussé à suivre des formations pour être en mesure d’accompagner ces enfants.
En quoi consiste votre métier et quelles sont les responsabilités d’une éducatrice spécialisée ?
Le rôle concret d’un éducateur spécialisé est d’accompagner les enfants à besoins spécifiques dans leur développement personnel, scolaire et social en leur offrant un soutien spécialisé. Pour cela, nous commençons par mettre en place des évaluations individuelles pour comprendre leur besoin unique. Ensuite, nous élaborons des programmes d’accompagnement sur mesure. Nous utilisons divers outils pédagogiques tels que des supports visuels, des jeux éducatifs qui sont d’ailleurs très importants pour les enfants, ainsi que des techniques de communication alternatives comme les pictogrammes afin de faciliter leur apprentissage et leur expression. Un suivi optimal nécessite également la collaboration avec d’autres professionnels tels que les enseignants et les psychologues, ainsi qu’avec les parents dont l’implication dans le processus éducatif est essentielle.
Qu’est-ce qu’un enfant à besoins spécifiques ?
Un enfant à besoins spécifiques ou enfant atypique, présente des difficultés dues à des handicaps physiques, invisibles ou intellectuels. Les handicaps physiques affectent des aspects comme la motricité, la vue, l’ouïe, par exemple, tandis que les handicaps intellectuels, quant à eux, sont invisibles et ne sont pas toujours remarquables sur le plan physique. Dans le cas de l’autisme, par exemple, vous allez voir la personne et vous pouvez penser qu’elle est typique, mais en vrai, elle a un handicap intellectuel invisible. Il y a aussi les troubles de l’apprentissage et les troubles scolaires.
Vous avez eu des expériences en tant qu’éducatrice spécialisée. Vous avez, d’ailleurs, récemment participé à la semaine des « Vacances Kollectives » organisées par l’association E’Kollectif, durant les vacances écoulées. Quel impact estimez-vous que votre travail a sur les enfants que vous accompagnez ?
A l’occasion des Vacances Kollectives, j’ai accompagné une fille IMC qui est scolarisée, qui a de bons résultats scolaires et qui a même décroché son CEP cette année. Elle avait juste des difficultés au niveau de la coordination et au niveau de son langage. Auparavant, elle passait toute la période des vacances à la maison à ne rien faire. Alors que ses frères et sœurs sortaient, ses parents n’osaient pas sortir avec elle à cause des préjugés de la société. C’était donc une opportunité pour eux de lui trouver un ensemble d’activités à faire pendant ces vacances. En une semaine d’accompagnement, elle s’est épanouie, elle a retrouvé le sourire, elle rayonnait davantage et avait gagné plus de gaieté. Elle s’est aussi beaucoup améliorée au niveau de la coordination puisque nos travaux se sont accentués sur cet aspect.
J’ai également accompagné un enfant qui présentait des troubles du spectre de l’autisme. Les parents n’ont pas encore fait le test pour vérifier s’il est réellement autiste ou non. Cet enfant avait du mal à s’exprimer. C’est à peine s’il arrivait à prononcer les mots « papa » et « maman ». Suite à mon intervention, il a pu, au moins, construire une phrase correctement. C’est un impact positif que ses parents ont apprécié. Il y a beaucoup d’autres exemples.
Quelles sont, selon vous, les insuffisances que vous relevez dans notre système éducatif par rapport à la prise en charge des enfants atypiques ?
Plusieurs défis freinent l’implémentation réelle de l’inclusion scolaire, notamment le manque de formation et de sensibilisation du personnel éducatif sur la prise en charge des enfants à besoins spécifiques. Récemment lors d’un atelier de formation à Malanville, nous avons constaté que beaucoup d’enseignants n’avaient pas d’informations sur l’autisme. De plus, certains enseignants manquent de volonté pour se former, souvent en raison de préjugés.
Les infrastructures des écoles sont aussi inadaptées aux réalités de l’inclusion en milieu scolaire. Il sera difficile pour un enfant autiste qui ne supporte pas le bruit, par exemple, de travailler dans les salles de classe classiques parce qu’elles ne respectent pas les besoins spécifiques de chaque élève. Aussi, les écoles ayant des escaliers nécessitent-elles la construction de rampes pour les personnes qui portent un handicap moteur.
Pour avancer vers une meilleure inclusion, que faire pour que l’école béninoise ne soit plus du tout indifférente aux différences ?
Il est essentiel de sensibiliser le public sur le handicap et la différence. La formation des enseignants et des parents doit être une priorité, car beaucoup d’entre eux manquent d’informations pour accompagner leurs enfants. Une démission est souvent constatée, surtout chez les pères, à cause des préjugés et du manque d’informations. Plusieurs, par exemple, sont convaincus que c’est une conséquence de l’adultère de leurs épouses. Ainsi, une formation accessible à tous les niveaux et à toutes les couches est cruciale. Il est également essentiel qu’on mette à la disposition de ces enfants, les mesures et les infrastructures nécessaires pour garantir l’inclusion.
J’aimerais m’accentuer sur un volet très important. Il ne faudrait pas que nous attendions l’Etat chaque fois, car L’Etat, c’est nous. Il faut que chaque citoyen prenne conscience de sa responsabilité dans ce processus. Si chaque acteur du système éducatif pouvait se déplacer et aller dans les zones rurales pour sensibiliser et informer, ce serait bien. De plus, dans certaines situations, il est nécessaire de se former soi-même. Il y a assez de ressources en ligne concernant le handicap.
Quel message souhaitez-vous transmettre en conclusion ?
L’inclusion ne se limite pas à l’intégration. Elle implique une réelle acceptation et une interaction harmonieuse entre enfants typiques et atypiques. Il est primordial que nous soyons en mesure d’identifier les besoins de chaque enfant pour garantir une inclusion véritable. Les préjugés ne doivent pas prendre le dessus. En fin de compte, un monde sans préjugés face au handicap serait un monde meilleur pour tous.
Propos recueillis : Ardiès Sianou (stag.)