(Le spécialiste de l’économétrie redoute que les migrants tombent dans la main des trafiquants)
L’immigration clandestine a pris des proportions inquiétantes au cours de la dernière décennie et est même devenue un véritable enjeu. Plus qu’une immigration, on assiste à un suicide collectif de milliers de jeunes en provenance de l’Afrique subsaharienne fuyant leurs terres natales. La Méditerranée centrale est devenue le lieu de ce sinistre qui interpelle les consciences et exige des mesures adéquates. Ce phénomène n’a donc jamais été aussi inquiétant et suscité autant d’interrogations. De ce fait, les pays d’Afrique subsaharienne doivent appréhender les défis de l’immigration auxquels ils font face afin de mettre un terme aux fléaux qu’ils induisent. A travers l’interview ci-dessous, Cyriaque EDON, Docteur en sciences économiques, spécialité économétrie de l’Université Panthéon-Assas et Directeur général du Plan et du développement, explique que ce phénomène n’épargne pas le Bénin. Selon lui, une batterie de mesures ont été mises en œuvre en vue d’atténuer le mal.
L’immigration clandestine est un phénomène qui touche la plupart des pays africains. Qu’en est-il de la situation au Bénin ?
Le phénomène diffère d’un pays à un autre. Cela dépend de ceux qui s’en vont. Mais si vous avez une sortie massive de votre pays, c’est la main d’œuvre qui manque. C’est souvent des jeunes, ce qu’on appelle aussi selon des catégories la fuite des cerveaux, des personnes qui auraient pu contribuer valablement au développement de leur pays, se retrouvent à contribuer au développement d’un autre pays. Sans parler des problèmes sociaux que vous pouvez avoir, des personnes sont obligés de laisser leurs femmes, leurs enfants, leurs familles pour aller chercher un mieux-être à l’étranger. Ce n’est pas toujours aisé comme vie pour ces différentes familles et aussi pour ces individus.
Au Bénin, lorsqu’on regarde les chiffres, l’immigration régulière est beaucoup plus importante que l’immigration irrégulière. Toutefois, il y a certaines zones qui sont plus touchées que d’autres. La ville de Djougou, par exemple, est une zone beaucoup plus frappée par le phénomène. Aujourd’hui, elle se trouve avec une population un peu plus vieillissante et avec moins de jeunes. Il s’agit d’une déstructuration d’une manière ou d’une autre de la famille. C’est pour cela que toutes les mesures mises en place par le gouvernement visent à permettre à ces jeunes d’avoir de l’espoir dans leur pays plutôt que de vouloir repartir à chaque fois. C’est aussi pour cela qu’on a tous ces programmes d’insertion à l’emploi et les différents programmes des filières sociaux, les assurances maladie. Quand vous êtes au chômage, vous redonnez votre dignité et quand vous avez votre dignité, vous avez la force de vous battre et d’aller chercher du travail pour pouvoir vous en sortir.
Est-ce parfois à raison que cette immigration est choisie par ces jeunes ?
Oui, on n’est pas à leur place pour savoir. Mais l’immigration n’est pas totalement mauvaise. Vous avez des gens qui partent pour aller acquérir des expériences, pour renforcer leur capital humain et qui reviennent dans leur pays pour le développer. Ça, c’est une bonne chose qu’on peut avoir dans la question de l’immigration. Vous avez ceux qui partent à l’étranger espérant trouver mieux, faute d’espoir dans leur avenir. Parfois, ils trouvent mieux, et c’est tant mieux. Parfois, ils n’en trouvent pas, et ils peinent à revenir au pays. Et c’est de ça que nous parlons. Notre réflexion va dans le sens de comment faire pour limiter ces cas qui ne sont pas très nombreux chez nous, et de mettre en place tous ces programmes pour pouvoir leur permettent d’avoir un espoir, un avenir dans leur pays, et pour ne pas être contraints de prendre des risques de quitter le pays dans l’espoir de trouver mieux
Alors plusieurs pays sont touchés par cette question d’immigration. Mais on voit aussi le Bénin forcément impliqué surtout que vous avez parlé de la région de Djougou qui est impliquée. Il y a eu quelques enquêtes dans le passé qui montrent que les enfants de la zone n’ont pas toujours la nationalité béninoise et ne fréquentent par toujours les écoles béninoises. Ils sont beaucoup plus orientés vers les écoles coraniques. Cela peut-il favoriser cette forme d’immigration ?
En réalité, Djougou est une ville qui connait aussi bien des entrées que des sorties comme toute ville frontalière. On ne peut jamais empêcher l’immigration. Les hommes ont toujours migré de par les temps parce qu’on échange et aussi la curiosité de connaître d’autres pays. Alors pour ce qui est le cas de la ville de Djougou, nous l’avons dit tout à l’heure. Souvent quand les parents sont partis, les enfants se retrouvent livrés à eux-mêmes, c’est la déstructuration de la famille dont je parlais tout à l’heure. Et nous travaillons pour limiter cela et veiller à ce que tout enfant puisse aller à l’école normale et à l’école coranique en même complément. Parce que l’école républicaine veille simplement à nous apprendre quelque chose de la vie, à nous donner les armes, à nous insérer sur le marché du travail alors que les écoles coraniques nous donnent les armes pour être spirituellement élevé et pour nos convictions spirituelles. Nous ne condamnons pas et ne pensons pas qu’il faut condamner l’une comme l’autre. Les écoles sont importantes et il revient aux parents de trouver le juste équilibre par rapport à cela.
Y a-t-il une politique de rapatriement des cerveaux ?
On sait aujourd’hui qu’il y a des conditions qui sont créées pour offrir à toute personne qui veut rentrer au Bénin, l’opportunité de venir travailler. Cela a beaucoup aidé à créer une collaboration avec des Béninois de l’extérieur, qui sont revenus pour partager leurs expériences, leur savoir-faire et contribuer au développement de leur pays. C’est aussi un canal pour pouvoir rentrer comme aujourd’hui avec tout le programme, le dynamisme, les investissements qui sont en train d’être faits et l’assainissement du monde des affaires. Tout cela peut être une attraction pour le retour des Béninois de l’extérieur. Nous sommes aujourd’hui en train de beaucoup miser sur l’économie du savoir, à travers Sèmè city, sur les questions de développement de notre pays et le capital humain. Ce qui fait que tous les Béninois qui est à l’étranger, qui veulent partager leurs expériences ont l’opportunité de rentrer au pays aujourd’hui pour se trouver et s’insérer sur le marché du Bénin.
Un message à l’endroit des jeunes qui s’offrent le plaisir d’aller en aventure ?
Le message est qu’il faut réfléchir et prendre plus des précautions possibles pour ne pas tomber dans la main des trafiquants. Il y a beaucoup plus de trafiquants qui jouent sur le désespoir, la pauvreté des gens pour leur faire prendre des risques. La plupart du temps, ils les conduisent à des fins terribles, qui ne sont pas souvent de bonnes choses pour leurs familles. Qu’ils se rapprochent des différents services sociaux pour pouvoir se faire connaître par les autorités de leur pays, pour pouvoir avoir les opportunités qu’on peut déjà avoir au niveau national, plutôt que d’aller prendre des risques inutiles. Pour y aller, il faut être très prudent, bien mûrir le fait, pour ne pas se laisser embarqué par des réseaux de trafic humain.
Propos recueillis par Patrice SOKEGBE
- 14 octobre 2024
- 14 octobre 2024