Entretien avec Vincent Gautrais sur le droit du numérique : « En Afrique, le téléphone a sauté une génération technologique »

24 septembre 2024

Vincent Gautrais, professeur titulaire à la Faculté de droit de l’Université de Montréal : « Certains États africains opèrent des copies fidèles de textes du Nord sans tenir compte du contexte africain ».

Quelle définition du droit du numérique vous proposez au lecteur ?
J’ai une définition volontairement large de ce qu’est le numérique. En ce moment, on parle beaucoup d’intelligence artificielle, phénomène à la mode qui certes présente quelques spécificités. Mais en fait, le phénomène de numérisation est initié depuis plusieurs décennies et présente des traits communs qu’il importe d’envisager largement. Concernant le continent africain, il y a notamment une importance toute particulière avec le support mobile où le téléphone a sauté une génération technologique.

Comment le droit du numérique évolue sur le continent africain ?
Il évolue pays par pays. Il y a certes quelques travaux çà et là dans certains regroupements (UEMOA, CEMAC, CEDEAO, etc.) mais assez peu, je crois, d’actions concertées.

Comment le droit OHADA à travers ses différents instruments apréhende-t-il les technologies de l’information et de la communication ?
D’anciens étudiants, maintenant professeurs, dans le cadre de leurs thèses, ont milité pour l’adoption d’un texte dédié au numérique au sein de l’OHADA. J’aimais les suivre sur ce chemin. L’OHADA est un regroupement d’importance qui pourrait jouer ce rôle de leadership.

Quels sont les nouveaux défis auxquels sont confrontés les Etats africains selon vous en matière de réglementation du numérique ?
Comme ailleurs, ils sont nombreux : personnellement, nous avons identifié trois thématiques prioritaires : la vie privée, les questions de preuve et l’intelligence artificielle. Sans doute allons-nous devoir faire des choix.

Parlez-nous de votre projet sur la décolonisation du droit du numérique dans l’espace OHADA ?
Il y a au départ une idée fort simple qui est à l’origine de tout notre projet : il faut lutter contre les copier / coller des lois et des textes plus applicatifs. Certains États africains opèrent des copies fidèles de textes du Nord sans tenir compte du contexte africain. Ces situations sont intenables tant au niveau de la substance du droit que des manières de l’appliquer.
Pour ce faire, vous l’aurez remarqué, je dispose d’une équipe très associée à l’Afrique sans laquelle je ne pourrais rien faire ; sans laquelle je n’aurais aucune légitimité. Je vais m’autoriser de nommer seulement les cochercheurs :

 Pr. Arthur Oulaï (Univ. Sherbrooke) ivoirien d’origine et spécialiste du droit du numérique
 Pr. Harith Al-Dabbagh (UdeM) irakien d’origine et spécialiste de droit comparé
 Pr. Ledy Zannou (UQO) béninois d’origine et spécialiste du droit du numérique
 Pre. Évelyne Jean-Bouchard (Univ. Sherbrooke) qu a beaucoup travaillé sur le nord-Kivu
 Pr. Mouhamadou Sanni Yaya (UQAR) béninois d’origine et spécialiste du droit du numérique

Nous avons aussi d’autres professeurs collaborateurs de France et de d’autres pays d’Afrique (Burkina, Togo, Côte d’Ivoire) et aussi des étudiants brillants qui nous accompagnent.

Pourquoi spécifiquement l’espace OHADA et quels sont les enjeux d’une telle initiative ?
Comme dit plus haut, c’est une organisation d’importance ; organisation avec laquelle nous avons le privilège d’avoir quelques contacts, ce qui va notamment faciliter une enquête de terrain que nous allons faire l’an prochain.
Propos recueillis : Bergdor HADJIHOU



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