Professeur titulaire en radiologie, radiodiagnostic et imagerie médicale, Olivier Biaou est officiellement admis à la retraite depuis le 1er octobre 2023. Pionnier d’une génération, ce formateur est considéré par ses étudiants non pas comme un simple enseignant mais plutôt comme une figure paternelle protectrice. Il laisse derrière lui, une relève assurée même si dans le milieu, beaucoup considèrent que son départ laisse tout de même un grand vide. Cet enseignant de radiologie qui a encadré plus d’une quarantaine de radiologues, boucle à 66 ans, une carrière riche aussi bien en publications qu’en impulsion pour l’amélioration des plateaux techniques au Centre national hospitalo-universitaire Hubert Koutoukou Maga de Cotonou.
Avec son physique de boxeur, qu’illustrent aisément son teint noir d’ébène, sa taille élancée, sa forme élégante et imposante, le Professeur agrégé de radiologie, radiodiagnostic et imagerie médicale, Olivier Biaou est l’un de ces hommes dont la détermination ne s’incline point devant les obstacles. Chevalier de l’ordre national du Bénin depuis le 31 Août 2017, ce radiologue est connu dans le milieu hospitalier comme un anticonformiste, capable de bousculer les codes et les conventions. Surtout lorsqu’il s’agit de sauver la vie d’un patient. Pour Dr Emmanuel Hounton, l’un de ses anciens étudiants aujourd’hui radiologue, le Professeur est "un pédagogue qui vous pousse à dépasser vos limites sans stress".
Ce professionnel de la Santé et enseignant du supérieur peut, à l’heure de faire valoir ses droits à la retraite, affirmer sans être prétentieux : " l’on ne peut pas citer les radiologues béninois sans faire mention de mon nom au 1er rang". Il est un exemple vivant du genre de destin qui prend forme par l’intermédiaire d’une situation banale. Une situation ou un évènement dont on se remémore une vingtaine, une trentaine voire une quarantaine d’années après les faits. Et, en ce qui concerne le Professeur Olivier Biaou, tout est parti d’une promesse, une promesse d’enfance.
Né vers 1957 à Savè dans le département des Collines au Bénin, c’est à Porto-Novo au lycée Béhanzin, qu’il obtint son baccalauréat série C en 1976, avec la mention assez-bien. Une fois le diplôme obtenu, son premier réflexe fut de constituer un dossier de candidature afin de postuler pour une bourse étrangère en Suisse pour y faire des études d’ingénieur. Le dossier établi, Olivier Biaou confia les documents à un ami d’enfance afin qu’il le déposât au ministère de l’enseignement supérieur pour validation. Ce dossier, l’ami ne le déposera jamais. Pourquoi ? La réponse à cette question est avant tout anecdotique et le professeur s’en souvient comme si c’était hier : "Mon ami m’a dit qu’enfant, nous étions un certain nombre à nous promettre que plus tard, nous allions devenir médecins et que lui ne connait pas un ingénieur qui est devenu médecin par la suite. J’ai promis depuis une enfance donnée d’être un médecin et les gens avec qui j’ai évolué, m’ont condamné à être médecin. Effectivement, ces gens étaient persuadés que j’allais réussir les études de médecine puisque c’était une période caractérisée par un tri assez serré des étudiants où sur 500 inscrits, il y avait à peine une trentaine qui réussissaient à finir le cursus".
Mais aussi anecdotique qu’elle puisse paraître, cette réponse et l’acte dont il découle, resteront à jamais le point de départ d’une carrière qui plusieurs décennies après, fait la fierté de nombreuses personnes parmi lesquelles, l’on compte la famille, les proches, les universitaires, les étudiants, la communauté scientifique, les patients, etc....
Plutôt que de faire des études d’ingénieur, le nouvel étudiant s’engagea en médecine et ce, jusqu’ à l’obtention du doctorat en 1986. Il soutient sa thèse en médecine sous la direction du professeur Ayité Léon MEDJI. Peu après, il s’engagea dans une direction que son libre-arbitre lui a toujours soufflé sans pour autant lui en donner la raison. ” J’ai toujours voulu être radiologue sans savoir pourquoi. Peut-être parce qu’à l’époque, il n’y en avait pas beaucoup sinon chacun des membres du Jury de ma soutenance de thèse avait souhaité que je fasse la même spécialité que lui mais je savais à l’intérieur de moi que la spécialité qui me conviendrait était la radiologie", confie satisfait le Professeur.
Seulement, comme il est courant d’en entendre parler dans tous les succès stories du monde, le cheminement d’une carrière n’est jamais tout lisse. Au milieu des années 90, le professeur Olivier Biaou qui se trouvait en France, mû par un patriotisme au profit duquel, il va tout sacrifier y compris sa famille, prit la décision de quitter l’Europe pour un retour au Bénin.
"J’étais tranquille en France, je pouvais me faire toutes les richesses du monde mais j’ai choisi de revenir", a-t-il souvent confié. Pour intégrer le milieu de l’enseignement supérieur dans son pays, la volonté du cadre patriote s’est heurtée aux tracasseries administratives qui ont duré quatre ans (1995 à 1999). A ces difficultés, il fallait ajouter, l’absence de plateaux techniques adéquats et l’insuffisance de spécialistes, des handicaps pour les soins aux patients qui n’ont nullement freiné son enthousiasme pour le retour au bercail. La motivation de ce radiologue résidait dans sa grande envie de transmettre ses connaissances à travers l’enseignement et surtout de soigner les malades. Compétent, perfectionniste et surtout rigoureux à en croire le Docteur en radiologie Edmond Dognon, l’un de ses anciens étudiants, pour Olivier Biaou, le domaine de la santé ressemble fort bien à un navire qui, autant que faire se peut, ne doit laisser aucun passager à quai : " Je suis content lorsque l’on me rappelle que j’ai soigné un malade qui a guéri mais quand je n’y arrive pas, je déprime", laisse-t-il souvent entendre.
Radiologue pour toujours
Cependant, si le désir de soigner a reçu un écho favorable dans le milieu hospitalier où il a progressé dans la hiérarchie au point de devenir chef service radiologie du Centre national hospitalo universitaire Hubert Koutoukou Maga (Cnhu-Hkm), ce n’était pas le cas pour sa volonté de transmettre ses connaissances en tant qu’enseignant du supérieur. A la faculté des Sciences de la Santé de l’Université d’Abomey-Calavi, obtenir le titre de maître Assistant du Cames a été sans accroc, par contre le processus pour devenir maître de conférences agrégé, un titre qu’il a acquis en 2010, soit près de quinze ans après ses premières démarches pour revenir au pays, a été plus laborieux, émotionnellement douloureux, difficile à comprendre. " Ces difficultés m’ont retardées ", regrette-t-il.
Des difficultés qui auraient pu décider le radiologue à repartir en France ou aller monnayer ses services sous d’autres cieux. Chose qu’il n’a pas faite, guidé par un élan téméraire peut-être, face à un système qui lui refusait la promotion, armé qu’il était, de foi et de cette volonté de surmonter ces difficultés qui selon lui, n’étaient pas de nature à porter un coup à son sens du patriotisme.
”Je savais que j’allais finir par gagner car tout ce qui m’arrivait n’était pas dû à des insuffisances professionnelles. Je ne me suis jamais dit que je n’allais pas réussir dans cette guerre, voilà pourquoi je ne suis pas reparti". Une détermination qui a fini par payer puisqu’en 2016 il est devenu professeur agrégé de radiologie.
”Je souhaite avoir une relève qui soit à la hauteur des engagements que je laisse”
La carrière d’enseignant du professeur porte quelques unes de ces marques, que l’on retrouve chez les plus grands intellectuels. Il s’agit du fait d’avoir formé depuis la création du DES en 2013, 45 radiologues parmi lesquels 25 ont obtenu leurs diplômes. Au nombre de ces diplômés, 18 travaillent aujourd’hui en France tandis-que l’un d’eux évolue au Gabon. Une situation qui constitue selon le professeur, un véritable gâchis pour le pays et une ironie du sort pour lui.
Olivier Biaou a aussi réalisé une kyrielle de publications. Des publications basées pour la plupart, sur des thèmes novateurs, " révolutionnaires". Des thèmes qui démontrent son sens de l’engagement pour la définition des normes propres à l’Afrique : "ll y a beaucoup de mes publications qui portent sur la mesure, ce qu’on appelle la biométrie." Mon engagement consiste à dire que ces repères et mesures que l’on nous a importées ne s’appliquent pas à nous. Il faut établir nos propres mesures et repères. C’est ça la plupart de mes publications”. Et en matière de biométrie, le professeur titulaire Olivier Biaou a défini à travers ses travaux de recherche, des mesures propres aux Béninois, des mesures réalisées à la petite échelle dont le pays gagnerait à financer la mise à grande échelle.
Une carrière assez riche, forgée sur l’honnêteté, l’amour du travail bien fait et le sens de l’engagement, des principes moraux qui l’ont poussé à se battre avec l’ensemble de ses pairs du milieu hospitalier pour relever le niveau du plateau technique afin que le service de radiologie soit doté d’une technologie de pointe. Sous son impulsion, l’on peut noter l’évolution du processus d’amélioration du plateau technique depuis l’attribution du marché public pour l’acquisition du matériel jusqu’à leur utilisation effective. Le premier scanner 1 barrette et le deuxième scanner 26 barrettes ainsi que l’IRM à haut champ ont été acquis au Bénin.
Des outils pour lesquels, il fallait avant tout affronter les pressions humaines et les jeux d’intérêt : "Ce sont des achats qui vous arrachent les cheveux tant il existe des commissions des calculs d’intérêts". Du matériel encore inexistant au Bénin, il y a quelques années, d’où la difficulté de pratiquer certains examens médicaux à cette époque. Aussi riche soit-elle, la carrière du professeur Olivier Biaou comme toute œuvre humaine laisse quelques regrets mais aussi et surtout des souhaits : "Je souhaite avoir une relève qui soit à la hauteur des engagements que je laisse et surtout qu’au niveau de l’Etat, l’on continue à former des radiologues et que l’on crée des conditions matérielles et financière de leur utilisation effective dans le système béninois".
- 2 octobre 2024