La médiation est l’un des Modes Alternatifs de Règlement de Litiges (MARLs) de l’arsenal juridique béninois. Ce processus regorge de nombreux avantages pour les populations. Juriste et Gérante Associée du cabinet de conseils « Émanation Consulting » au Bénin, Mme Hermine YAMADJAKO nous plonge dans cet univers de la médiation qui est de plus en plus ancré dans les habitudes au Bénin.
Qu’entend-on par la médiation ?
Je vous remercie de m’avoir offert cette belle occasion d’évoquer encore une fois cette thématique de la médiation. Dans une tentative de définition, nous pouvons dire que la médiation est l’un des Modes Alternatifs de Règlement de Litiges (MARLs) qui désigne tout processus quelle que soit sa forme, à travers lequel, deux ou plusieurs parties font appel à l’intervention d’un tiers, le médiateur, dans le but d’aboutir au règlement amiable d’un litige ou d’un différend découlant des rapports établis entre elles et impliquant des personnes physiques ou morales, des entités publiques ou des États. Cette définition de la Médiation a été essentiellement prévue par le législateur OHADA notamment à l’alinéa 1er de l’article 1 de l’Acte Uniforme sur la Médiation. A ses côtés, on peut avoir l’arbitrage, la conciliation, la transaction, la négociation et bien d’autres encore. Donc, outre la justice conventionnelle que nous connaissons si bien, nous avons la médiation qui fait intervenir le médiateur professionnel qualifié. Ce dernier accompagne les parties qu’on désigne par ‘’les médiés’’, qui sont en conflit dans la résolution de leur litige. Ainsi dans son rôle, le médiateur accompagne les parties à trouver des solutions à leurs problèmes en vue de poursuivre leur partenariat ; il ne tranche pas le litige.
Quels sont alors les avantages de la médiation ?
(Sourire). Je peux vous dire que si on fait une petite évaluation, on constate que de nombreuses personnes craignent les tribunaux, estimant à tout le moins, la lenteur des procès. De même, elles n’accueillent pas toujours favorablement le contenu des décisions rendues par la justice étatique. Alors qu’en plus d’être une démarche commune, la médiation offre de nombreux avantages aux parties en conflit en favorisant notamment leur rapprochement. C’est une méthode de résolution de litiges très rapide, moins coûteuse, confidentielle et surtout qui permet aux parties de trouver elles-mêmes la solution à leur différend en préservant le lien de confiance et l’harmonie de leurs relations interprofessionnelles. C’est en somme, la meilleure manière de pérenniser les relations après un conflit.
La médiation concerne-t-elle seulement le domaine commercial ?
L’un des centres phares qui œuvrent et sensibilisent sur la médiation est le Centre d’Arbitrage, de Médiation et de Conciliation (CAMEC) du Bénin auprès duquel je suis agréée depuis quelques années. Ce dernier est spécialisé dans le domaine des affaires étant donné qu’il est le partenaire direct de la Chambre de Commerce et d’Industrie du Bénin. Mais cela ne fait pas de la médiation un processus limité aux dossiers commerciaux. La médiation n’est pas ouverte qu’au domaine commercial. Pas du tout. Les juristes diront que la médiation est possible dans tous les domaines où les parties ont la libre disposition de leurs droits. Quand on dit que les parties ont la libre disposition de leurs droits, c’est qu’ils les détiennent véritablement.
Quels sont les autres domaines possibles d’intervention de la médiation ?
Les parties peuvent décider de recourir à la médiation dans de nombreux domaines. Déjà de façon générale, on peut avoir la médiation judiciaire donc émanant d’une procédure devant le juge et la médiation conventionnelle qui nait sous la décision des parties elles-mêmes. D’un point de vue conventionnel, on peut avoir une médiation dans les domaines comme : la famille (les litiges entre frères et sœurs, entre parents, entre époux), le social (les litiges entre collègues, entre employeurs et employés....), le commerce (les litiges entre clients et fournisseurs, entre partenaires d’affaires...), la gestion immobilière (les litiges entre locataire et propriétaire, entre locataires...), l’éducation (les litiges entre enseignants, entre parents d’élèves et enseignants, entre deux élèves), l’administration ou l’autorité publique peut être partie à une médiation,….. Le monde des finances n’est pas non plus épargné (les litiges au sein des banques, entre les banques et leurs clients...). La liste est très longue pourvu que cela ne touche pas à l’ordre public.
En effet, le domaine pénal est une prérogative exclusive de l’État (représenté par le ministère public). De ce fait on ne peut pas se permettre de dire sous toute réserve, qu’il peut y avoir une médiation dans un dossier pénal. Je le dis parce qu’en droit il y a toujours des exceptions qu’on ne peut évoquer ici. Quoiqu’il en soit, si quelqu’un commet un crime, on ne va pas se permettre de dire qu’on veut faire une médiation sur ce volet ; parce qu’à partir de cet instant, ce droit n’appartient plus à la victime seule.
Comment évolue la médiation au Bénin ? De nombreux citoyens s’y intéressent ?
Aujourd’hui, le béninois connaît, de plus en plus, ce que c’est que la médiation. Quand on parle de la médiation ou de justices alternatives, le législateur au Bénin a même commencé par intégrer ce processus dans la résolution judiciaire des litiges. En droit social par exemple, il faut passer par la conciliation avant d’aboutir à un procès judiciaire si on ne trouve pas de solution après la conciliation. Devant le tribunal de commerce aussi, il faut forcément passer par l’étape de conciliation avant d’arriver au procès judiciaire si on ne trouve pas de solution après la conciliation et encore que les parties puissent solliciter une médiation devant le juge.
Actuellement, avec la création de la Cour Spéciale des Affaires Foncières (CSAF), vous remarquerez que le législateur a instauré une phase de médiation à l’entame de la procédure judiciaire proprement dite. Dans tous les cas, c’est dire que de plus en plus les autorités étatiques s’intéressent aux modes alternatifs de règlement de litiges. Au Bénin, le législateur l’insère dans les différents textes législatifs pour renforcer sa légitimité.
Aussi, d’un point de vue commercial, vous allez voir qu’au niveau de la Chambre du commerce et d’industrie du Bénin (CCI-Bénin) depuis quelques années, le Centre d’Arbitrage, de Médiation et de Conciliation (CAMEC) enregistre de plus en plus de dossiers de médiation. On peut dire qu’au Bénin, la médiation commence par prendre place. Elle commence par s’intégrer dans les habitudes toujours dans l’optique d’aider à trouver une solution en vue de conserver la communication et la relation.
Quid de la médiation dans le monde du travail ?
Oui. Comme évoqué plus haut, dans le monde du travail on a eu à connaitre des cas de conflits. Généralement, ce sont des cas qui aboutissent à un accord. Dans le procès conventionnel, on note une perte de temps, d’argent et d’énergie. Et quand vous accompagnez les parties et que vous leur expliquez que la médiation est un processus qui calme un peu les ardeurs et rétablit la communication, en réfléchissant aux avantages et inconvénients à aller à un procès, les parties arrivent à accepter faire des compromis pour trouver des solutions à leur différend.
Quelle est la valeur juridique des décisions rendues en médiation ?
D’un point de vue juridique, si toutes les dispositions de l’acte uniforme sont respectées, un accord de médiation qu’il soit partiel ou total, a la même force juridique qu’une décision de justice. En effet, à l’issue de la procédure de médiation, les parties concluent un accord écrit réglant leur différend et matérialisant leur volonté de solution. Cet accord qui les lie désormais, est obligatoire et susceptible d’exécution forcée. Comme le prévoit l’Acte uniforme en son article 16 alinéas 2&3, il suffira soit d’exécuter spontanément l’accord, soit de le soumettre à l’homologation du tribunal compétent, ou encore de le déposer au rang des minutes d’un Notaire qui délivre en retour une grosse ou une copie exécutoire.
Comment devient-on médiateur ?
Pour devenir médiateur, il est nécessaire de suivre idéalement après le Baccalauréat, une formation continue ou certifiante en médiation auprès d’une école, d’une université ou d’un centre de médiation agréé. Il est important de faire une mise à jour régulière en suivant des formations annuelles de recyclage et s’engager à incarner et porter les vertus d’un bon médiateur. Pour finir, il faut aussi prendre le temps d’acquérir de l’expérience pour se déclarer médiateur car seul le professionnalisme du médiateur lui crée une réputation.
Propos recueillis par Joël SEKOU (Coll.)
- 14 octobre 2024
- 14 octobre 2024