Immersion dans une école inclusive à Cotonou : aucune ségrégation, ambiance conviviale entre enfants handicapés et normaux

30 septembre 2024

Au Bénin, les politiques éducatives visent à garantir l’accès à une éducation inclusive pour tous les enfants et jeunes gens en situation de marginalisation et de vulnérabilité, mais ce n’est pas encore une réalité. Des structures comme La Colombe Hibiscus, Le Cercle des Oliviers, les écoles inclusives Ste Jocelyne, Paix et Joie, etc., se dressent comme des modèles d’espoir pour les enfants à besoins spéciaux. Cependant, elles font face à des défis financiers, matériels, humains et socioculturels considérables.

Nous sommes à l’école inclusive Ste Jocelyne à Mènontin, dans le 9ème arrondissement de Cotonou. A l’entrée, nous entendons des voix d’enfants qui fredonnent en chœur une comptine. Le bruit des engins roulant sur la voie pavée qui longe la clôture de l’établissement ne parvient pas à étouffer leur joyeuse harmonie. Dans la cour de l’école, certains enfants feuillettent des carnets de lecture, d’autres jouent à la poupée, d’autres encore s’amusent avec des briques de construction. Ici, les élèves, qu’ils soient « bien portants » ou à besoins spécifiques, tous partagent un même espace de jeu et de travail dans une atmosphère bienveillante. « Nous accueillons 90 % d’enfants ‘‘normaux’’ et 10 % d’enfants à besoins spécifiques. Nous ne faisons aucune ségrégation. Tous les enfants qui portent un handicap, qu’ils soient trisomiques, autistes, hyperactifs ou qu’ils aient une insuffisance motrice cérébrale (IMC), un retard mental ou qu’ils aient des troubles de l’apprentissage, sont intégrés à Ste Jocelyne, où ils reçoivent une éducation spéciale », explique Perpétue Afomasse Hounnou, directrice de l’école.
Au bout du couloir à l’intérieur d’un bâtiment, une porte en bois donne accès à une salle de classe destinée aux enfants à besoins spéciques. A l’intérieur, les murs blancs sont ornés d’une multitude de papiers portant des inscriptions pédagogiques : l’alphabet, les nombres, des mots, des dessins, une carte du Bénin. Dans la classe de la maternelle, les activités sont axées sur la stimulation de la créativité, de l’imagination ainsi que le jeu symbolique. Un groupe restreint d’enfants travaillent sous le regard avisé d’une éducatrice. Les ateliers de travail vont du dessin à l’écriture en passant par le découpage de papiers au ciseaux ou à la main. La bienveillance règne en maître. Les apprenants s’encouragent mutuellement et célèbrent les prouesses de leurs pairs à travers des éclats de rire et des ovations. « Je ne prends pas plus de quatre enfants en même temps. Je les fais participer à des activités pour les observer. Pour cet atelier par exemple, certains réussissent à découper les papiers, d’autres non. Tout à l’heure, une autre équipe les remplacera pour la même phase d’observation », explique l’éducatrice, Marie-Josée.
Ces sessions, qui durent trois mois, se font en petit groupe restreint pour permettre une observation approfondie. Elles mèneront à l’établissement de dossiers pédagogiques individuels et à la formation de petits groupes selon des critères bien définis, où les enfants pourront recevoir une éducation adaptée sans pour autant être exclus des leçons avec les autres élèves. « D’une part, ils progressent au sein de leur promotion, bien qu’ils n’aient pas le même niveau intellectuel, afin de favoriser leur socialisation et d’apprendre aux autres élèves à vivre avec les enfants en situation de handicap. De plus, ils bénéficient de cours adaptés, organisés en groupes selon leur type de handicap, leur âge et leur niveau réel », indique Casimir Muberankikogatera, psychopédagogue et directeur des études de l’école.

L’école inclusive consacrée par la législation au Bénin
Contrairement aux écoles traditionnelles, l’inclusion scolaire y est une réalité depuis une vingtaine d’années comme le prévoit la loi 2003-17 du 11 novembre 2003 portant orientation de l’éducation nationale en République du Bénin dans son article 5 : « L’école doit combattre la médiocrité par la culture de l’excellence tout en sauvegardant l’égalité des chances pour tous ». Selon le PSE 2018-2030, l’éducation inclusive repose sur le principe selon lequel « tous les enfants, quel que soit leur degré de handicap, doivent avoir l’opportunité d’apprendre et que les enfants apprennent mieux quand ils sont ensemble ». Les élèves en situation de handicap intellectuel sont admis à se présenter au CEP grâce à des démarches menées auprès du Ministère des Enseignements Maternel et Primaire par la directrice d’une autre école privée, La Colombe Hibiscus, pionnière de l’éducation inclusive au Bénin. D’ailleurs, la session 2024 du CEP a connu la participation de 99 enfants à besoins spécifiques parmi les 256 968 inscrits sur le plan national. Casimir Muberankikogatera souligne qu’ils composent dans des conditions spéciales et passent les mêmes épreuves que les autres élèves avec quelques aménagements adaptés à leur handicap. « Certains sont exemptés d’épreuves inadaptées à leurs profils comme le sport et le dessin pour les élèves ayant des problèmes de motricité. De plus, plutôt qu’une dictée classique, certains réalisent une dictée piégée selon des règles bien précises. L’Etat investit sur eux pour qu’ils puissent, chacun, avoir à leur disposition un transcripteur qui les aide sous surveillance », explique-t-il.

L’inclusion, une chance pout tous
L’inclusion scolaire fait ses preuves avec une multitude d’exemples de réussite d’enfants à besoins spécifiques lors des examens. Eunice, prénom d’emprunt, atteinte d’infirmité motrice cérébrale, a grandi en Côte d’Ivoire. Soucieuse de son avenir, sa famille a déménagé au Bénin, quelques années auparavant, pour lui offrir une éducation de qualité adaptée à ses besoins. Après un cycle au primaire dans l’école inclusive, elle a obtenu, l’année scolaire écoulée, son premier diplôme académique, le certificat d’études primaires (CEP). Aujourd’hui, elle poursuit ses études en classe de sixième, entourée de ses camarades dits « normaux ». Bien qu’elle ne puisse pas s’exprimer verbalement, son large sourire raconte une histoire d’inclusion réussie et témoigne de sa joie d’apprendre et de socialiser.
Emma, a rejoint la même école en classe de CM1, après une scolarisation difficile, marquée par un manque de suivi et la discrimination en raison de son handicap. Dans ce nouvel environnement, elle a bénéficié d’un suivi personnalisé alliant accompagnement scolaire et développement de l’estime de soi. Un an plus tard, elle a décroché avec brio son diplôme d’entrée au collège, le CEP. Aujourd’hui, également détentrice du Brevet d’Etudes du Premier Cycle (BEPC), Emma poursuit ses études dans un autre établissement, visant le Baccalauréat. D’après Perpétue Afomasse Hounnou, ces réussites scolaires parmi tant d’autres illustrent à elles seules les avantages du système éducatif inclusif : « Nous avons généralement de très bons résultats. Chaque année, au minimum, trois enfants à besoins spécifiques réussissent au CEP dans notre école. »
Cependant, ces bénéfices ne se limitent pas à l’épanouissement et à la réussite en milieu scolaire. « Même ceux qui n’y arrivent pas affichent, sur le plan social, un développement intégral. Ils s’épanouissent, acceptent leur handicap et ne le portent plus en souffrance », ajoute-t-elle. L’inclusion en milieu scolaire est également un atout majeur pour les enfants sans handicap. Ces derniers tirent profit de la proximité avec leurs camarades à besoins spéciques. « Leur comportement diffère dans la société. Or, un enfant qui n’a jamais vu un autre enfant en situation de handicap, surtout quand le handicap est très lourd, adopte une attitude de fuite », précise la directrice. Eduqués et sensibilisés aux notions de diversité, ces élèves évoluent dans une école qui prône l’inclusion dès l’enfance. Ils développent ainsi l’empathie et apprennent à voir au-delà des différences comme en témoignent l’altruisme et la fraternité qui règnent parmi les enfants formés dans ce centre. « Quand un enfant handicapé a des difficultés à accomplir une tâche ou à satisfaire un besoin, ses camarades se proposent volontiers pour lui donner un coup de main. Ils prennent plaisir à apporter leur aide et adoptent une posture de frères aînés ou de tuteurs. Finalement, il y a tellement une bonne intégration que la socialisation est au point. Il n’y a pas de ségrégation, mais plutôt un équilibre général parfait au niveau des enfants », assure-t-elle.

Les défis
Aussi noble que soit l’école inclusive, son implémentation actuelle est sujette à de nombreuses difficultés concernant les ressources financières, matérielles et humaines. Le PSE post 2015 (2018-2030) et la Politique Nationale de protection et d’intégration des personnes handicapées prévoient l’octroi de subventions et l’organisation de séances d’encadrement au profit des centres et structures ayant des initiatives pertinentes en matière d’éducation des enfants à besoins spécifiques. D’après Perpétue Afomasse Hounnou, l’école dont elle a la charge, roule sur fonds propres et s’inscrit dans une démarche sociale pour permettre aux parents d’enfants à besoins spécifiques, avec des bourses limitées, d’offrir à leurs progénitures une éducation convenable. Les frais de scolarité s’élèvent à 15000 FCFA par mois, soit 135 000 FCFA pour les neuf mois de l’année scolaire. « L’Etat, pour le moment, ne nous accorde pas de subventions. Nous comptons juste sur une scolarité insuffisante. Compte tenu des moyens limités des parents, on ne peut pas leur en demander plus », confie-t-elle.
Ces difficultés économiques entravent la mise aux normes du centre concernant les infrastructures, la formation du personnel à l’encadrement de chaque type de handicap, ainsi que le recrutement de ressources humaines qualifiées. En effet, cette école emploie « des enseignants ordinaires », recrutés et formés sur le tas à l’éducation des enfants à besoins spécifiques. Elle collabore également à distance avec d’autres spécialistes tels que des pédopsychiatres, des orthophonistes, des kinésithérapeutes, des psychologues et des éducateurs spécialisés. Selon la directrice, certains d’entre eux venaient travailler à l’interne, mais cette approche n’a pas perduré en raison de l’insuffisance des ressources financières pour assurer leur rémunération convenable. « Nous sommes en de bons termes avec eux », rassure-t-elle. « Ils étaient obligés de retourner dans leurs cabinets. Les parents qui ont les moyens y conduisaient leurs enfants. Mais nous travaillons énormément avec des pédopsychiatres du service public spécialisés pour les petits enfants scolaires. Ce sont d’ailleurs eux qui nous délivrent des certificats pour la présentation de nos élèves aux examens. »
Face au manque de formation à la base sur l’éducation spécialisée, à la lourdeur de la charge de travail, à la diversité des besoins des apprenants et aux contraintes inhérentes à la prise en charge des enfants à besoins spécifiques, certains enseignants se trouvent en difficulté. « Ceux qui n’ont jamais travaillé dans ce système ne supportent pas. Chaque année nous enregistrons une ou deux démissions parce que ces élèves requièrent une attention et une surveillance constantes », explique le directeur des études.
De nombreux efforts sont consentis à l’interne pour offrir aux enfants un « cadre agréable » qui suscite leur envie d’étudier avec l’installation d’un « mobilier adéquat et d’un matériel didactique conforme à leurs besoins », selon la directrice. L’école reçoit aussi l’appui de certaines ONG à travers des dons de jouets, par exemple. Néanmoins, d’importants défis infrastructurels subsistent et entravent la scolarisation de certains profils d’élèves. Casimir Muberankikogatera déclare : « Un enfant en situation de handicap moteur devrait commencer sa scolarité cette année, mais cela n’est pas effectif en raison de l’absence de rampes dont l’installation nécessite des fonds conséquents. Pendant les vacances, par exemple, on était obligé de ramener toute la classe de CM2 au rez-de-chaussée pour qu’il puisse suivre les cours. »
Par ailleurs, la collaboration école-parents représente un défi majeur dans le cadre de l’inclusion scolaire. D’après une enquête menée par Platform voor Handicap en Ontwikkelingssamenwerking (Plateforme Handicap et Coopération au développement, PHOS, 2012), une partie considérable de la population béninoise a une image négative du handicap. Dans un tel contexte, où peu de personnes sont sensibilisées sur les handicaps visibles comme invisibles, les responsables disent se heurter à l’incompréhension, aux préjugés et à la réticence de quelques parents d’élèves. Selon le directeur des études, « certains parents sont bornés et pensent que leurs enfants risquent d’être contaminés, ignorant que le handicap n’est pas contagieux. Il y en a qui vont jusqu’à retirer leurs enfants de l’école pour cette raison ».
Cette difficulté de collaboration s’étend également aux tuteurs d’élèves porteurs de handicap et est exacerbée par la charge émotionnelle et l’impuissance face aux besoins de leurs enfants, souvent dues au manque d’appui et de moyens. De plus, les écoles qui accueillent ces enfants sont peu nombreuses et ne peuvent souvent en accepter qu’un nombre limité. Les attentes parfois exagérées de quelques parents compliquent davantage la situation. « Certains parents s’attendent à ce que l’école fasse des miracles, ce qui est impossible. Le parent qui a un enfant handicapé est vulnérable, car il se demande pourquoi c’est à lui de porter toutes ces charges. Le regard des autres le traumatise, ce qui le rend souvent peu sociable et très susceptible », affirme la directrice.
Face à toutes ces difficultés, Perpétue Afomasse Hounnou, pour qui l’inclusion scolaire est un sacerdoce, porte, tant bien que mal, sa croix et fait avec les moyens de bord dans l’attente que les signes d’espoir qui émergent aboutissent à un meilleur accompagnement des enfants à besoins spécifiques. « Cette année 2024, nous avons reçu des promesses. L’Etat nous a transmis des documents et est prêt à nous aider à accompagner ces enfants. Ils ont demandé à ce que les parents soumettent des dossiers pour leurs enfants, ce qui suscite une joie en nous. On se dit qu’on commence à nous écouter et que notre lutte ne sera désormais plus solitaire. Une promesse est une dette, nous attendons désormais », affirme-t-elle.
Ardiès SIANOU (Stag.)



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