Inès Kouassi-Nanga, Journaliste Spécialiste des questions de l'environnement : « Notre mission, c'est d'informer et de donner le pouvoir à la population pour changer les choses »

Moïse DOSSOUMOU 3 mai 2024

Inès Kouassi-Nanga, Journaliste Spécialiste des questions de l’environnement, Directrice de Terre à Terre Bénin, Première entreprise béninoise spécialisée en communication environnementale et initiatrice du Café Environnement.

Pourquoi avoir fait le choix de vous spécialiser dans les questions environnementales ?
Je ne dirais pas que c’était un choix. Je dirais plutôt que c’est une décision qui s’est imposée à moi. Aujourd’hui, j’ai 20 années de carrière dans les médias mais quand j’ai commencé, j’étais plus dans les programmes jeunesse, donc des émissions pour enfants, des programmes culture, donc des émissions qui parlaient des artistes, des stars et des programmes éducatifs où on engageait les parents à prendre les bonnes décisions et les bonnes précautions pour les rentrées. Donc on avait un programme qui s’appelait « Rentrée, objectif, réussite » sur LC2 télévision que je conduisais. En 2017, j’ai perdu deux de mes voisines qui sont mortes du cancer du sein. A ce moment-là, j’avais un Master en environnement. Pendant ma formation, j’ai été exposée à une panoplie de recherches qui montraient le lien entre la pollution du fleuve Ouémé et les problèmes de santé. L’une des recherches qui m’avait extrêmement marquée, c’était les travaux du professeur Pazou qui a démontré la pollution du fleuve Ouémé par les résidus de pesticides. Elle l’a expliqué à partir des prélèvements qu’elle a faits sur tout le long du fleuve Ouémé. Il faut rappeler que le fleuve Ouémé prend sa source dans l’Okpara au nord du Bénin mais baigne tout le pays. Il n’y a pas un seul côté au Bénin qui n’est pas en lien d’une manière ou d’une autre avec le fleuve Ouémé. Donc elle a fait des prélèvements à différents niveaux du fleuve Ouémé et elle a réalisé que les crustacés, les poissons, les produits que nous avons dans nos cours d’eau sont contaminés par des résidus de pesticides. Dans les solutions proposées, elle explique que quand vous mangez la soupe de poissons frais, le ‘’Houévimou’’ comme on dit, vous consommez 100% de résidus de pesticides. Quand ce sont des poissons pêchés dans nos eaux bien sûr. Quand vous faites frire ces poissons, vous réduisez de 60% les résidus de pesticides. Quand vous fumez ces poissons, vous réduisez de 40% les résidus de pesticides. C’est dire que le meilleur mode de cuisson recommandé c’est frire les poissons même si vous pouvez utiliser du papier absorbant pour réduire le gras. Moi je viens de Grand-Popo et là-bas, notre plat principal c’est le ‘’Dakouin’’. On fait un Piron avec du gari puis on le couronne avec la soupe de poissons frais. J’en ai mangé toute ma vie. Donc au décès de mes voisines, je me disais : ‘’attention ! Le professeur Pazou a démontré que les poissons pêchés dans nos eaux contiennent des résidus de pesticides et que quand on en fait la soupe de poissons frais, on consomme 100% de résidus de pesticides, ce qui est un facteur aggravant pour le cancer, notamment le cancer du sein. Elles sont deux dames brillantes avec de belles carrières, des enfants et tout cela. Elles meurent du cancer du sein l’une après l’autre dans un intervalle de trois mois. J’ai commencé à me questionner, à questionner mes habitudes, à questionner mon mode, mes choix alimentaires. Je me suis dit peut-être que tu as été longuement et longtemps exposée aux résidus de pesticides, peut-être que tu développes... C’est ainsi alors que j’ai commencé à réfléchir sur mes choix alimentaires, sur les habitudes que j’ai adoptées qui n’étaient peut-être pas bonnes, faute de connaissance comme la parole de Dieu dit « Mon peuple périt faute de connaissances » et je me suis retrouvée dans ce schéma. J’ai été traumatisée à remuer ces pensées longtemps dans ma tête jusqu’au jour où je me suis dit « Ecoute, tu as 13 années d’expérience dans les médias, un Master en environnement, tu vas rendre l’information environnementale accessible à tous en langage terre-à-terre » et c’est parti comme ça. Tu vas arrêter de te stresser, tu vas arrêter d’être dans le traumatisme, d’imaginer tout et rien. Tu vas agir. Parce que si ces femmes, mes voisines, qui sont parties trop tôt, si elles avaient eu ces informations, peut-être qu’elles auraient fait d’autres choix. Dans mon métier, on le dit si bien, qui a l’information a le pouvoir. Donc je me suis dit « Je vais rendre cette information accessible et donner au moins la chance à chacun de faire son choix ». C’est comme cela que je suis passée de ma posture de journaliste généraliste à journaliste spécialiste des questions de l’environnement. Et pour matérialiser cela, j’ai créé la première entreprise béninoise spécialisée en communication environnementale. Aujourd’hui, on a une télévision en ligne 100% environnement qui a une convention avec la HAAC, qui est totalement reconnue et on fait les choses dans les règles pour que plus de personnes aient cette information. On a un journal télévisé 100% environnement où on ne parle que de l’actualité environnementale, aussi bien au plan national qu’au plan international. Parce que quand j’ai commencé, tout de suite je me suis dit « Ok, tu iras sur les conférences à l’international donner cette information pour que les communautés béninoises puissent avoir l’information en temps réel de ce qui se décide au niveau international et, comme disent les Américains, ‘’to make a balance’’, faire l’équilibre entre ce qui se dit à l’international et ce qui se vit au niveau local. Donc on fait aussi bien des reportages à l’international que des reportages au niveau local. Je me rappelle par exemple un reportage que j’ai fait à Tangodô dans la commune d’Avrankou où les populations n’avaient pas accès à l’eau. Et elles creusaient à même le sol, la terre, pour recueillir l’eau qui sortait du sol. On a fait ce reportage et cela a permis d’installer des forages. Vous voyez, quand vous faites un travail qui permet à toute une communauté d’avoir une solution tant espérée, vous vous sentez quand même utile et cela vous renforce dans votre détermination et votre engagement parce qu’honnêtement, être journaliste spécialiste des questions de l’environnement, ce n’est pas du badinage.

Quelle doit être la posture du journaliste face à la crise environnementale ?
Déjà, je voudrais dire que l’environnement, c’est tout ce qui nous entoure. Et c’est important déjà de comprendre qu’au fond, on ne peut pas se targuer d’être indifférent ou de ne pas être concerné. Nous sommes tous concernés. Parce que je respire, je respire l’air qui m’entoure. Je marche sur un sol qui me porte. Je mange des produits qui viennent de la terre. Tout ce que je fais, je dors sur une natte qui a été tressée avec ce que la terre a produit, une plante. Ou je dors sur un lit qu’il a fallu que le menuisier réalise avec du bois. Il n’y a rien, il n’y a pas un exemple que vous puissiez donner qui n’ait pas de rapport à l’environnement. Puisque c’est tout ce qui nous entoure. Je suis éclairée par une lampe, par l’électricité. C’est de la lumière qui a été produite et c’est aussi l’environnement. Je bois de l’eau, source de vie qui vient aussi de la planète. Ce sont autant de ressources que je suis obligée de préserver. Et vous savez, le développement durable, c’est ce développement qui nous amène à répondre aux besoins des générations actuelles sans pour autant compromettre ceux des générations futures. C’est ça la définition basique du développement durable. Donc je dois répondre à mes besoins aujourd’hui, mais penser à mes enfants pour demain, à mes petits-enfants, à mes arrière-petits-enfants demain. Cela me concerne, cela m’engage et j’insiste en affirmant que cela m’oblige. Tout être humain sur la planète est obligé de penser à préserver la biodiversité. Et quand nous disons biodiversité en langage terre-à-terre, ce sont les animaux, ce sont les
La posture du journaliste, c’est d’abord informer sans alarmer. J’insiste sur cela. Le journaliste spécialiste des questions environnementales doit pouvoir informer sans alarmer. Et je m’explique. On remarque par exemple qu’en 2018, on a eu la pollution du lac Toho. Et je me rappelle encore cette interview que j’avais réalisée avec le professeur Boko, climatologue de son état, qui nous a parlé de ce problème. A ce moment, il fallait informer sans pour autant alarmer, parce que le lac Toho est pollué, d’accord. Il faut que l’information passe de façon à ce que les populations réalisent la gravité de la situation, mais sans pour autant tomber dans le pessimisme total. Parce que quand vous commencez à dire aux gens : ‘’vous allez mourir’’, vous les obligez à prendre des décisions insensées.
Et puisque l’environnement c’est tout ce qui nous entoure, si on remarque que l’air est pollué quelque part, on donne l’information en précisant les dispositions qui sont prises par le gouvernement ou qui sont prises par les autorités qui ont cette responsabilité afin de rassurer quand même la population. On n’est pas en train de diluer l’information, on n’est pas en train de manquer de dire que c’est grave, mais on prend la mesure des choses. Le journaliste spécialiste des questions de l’environnement doit informer sans alarmer. On a eu beaucoup de dérives quand la Covid-19 a frappé à nos portes, simplement parce que les gens avaient peur de mourir. Il y a beaucoup de personnes qui sont tombées dans la désinformation et dans l’infox. Donc, c’est très important d’éviter d’alarmer les gens. Donner l’information juste, traiter l’information dans les règles de l’art, en respectant le code de déontologie et les règles du journalisme basique. Cela ne change pas. C’est tout ce que le journaliste doit faire, vérifier l’information, être sûr de sa source. Tout ce que nous faisons pour donner une information juste, mais sans alarmer. Et derrière, amener les populations à s’engager, à comprendre, à changer d’habitude, amener les populations à avoir le pouvoir décisionnel, parce qu’ils sont bien informés. Pour moi, c’est ça la posture que le journaliste doit adopter face à la crise environnementale.

Est-ce que le journaliste pourra réellement sauver la planète ?
Je dis non. Le journaliste, spécialiste des questions de l’environnement, ne peut pas sauver la planète. Ce n’est même pas sa mission. Sa mission, c’est d’informer et de donner le pouvoir à la population pour changer les choses. Le journaliste, il est juste un individu. Nous sommes 7 milliards sur la planète et bien plus maintenant. Mais combien de journalistes dans le monde et mieux, combien de journalistes sont spécialistes des questions de l’environnement ? C’est une minorité. On ne peut pas et on ne doit pas attendre des journalistes spécialistes des questions de l’environnement de prendre la responsabilité de sauver la planète. Non. On ne devrait pas attendre non plus les militants écologistes sur cette question. Tout ce que ces personnes font, c’est engager les autres. Parce que c’est ensemble que nous allons apporter des changements positifs. C’est ensemble que nous allons sauver la planète. C’est notre responsabilité commune. Ce n’est pas celle d’un corps de métier. C’est notre responsabilité commune.



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