Plus de peur que de mal, un débat de fond en gestation
Il y a quelques semaines, le monde universitaire a reçu l’information selon laquelle les inscriptions seront désormais payantes. Mais à moment, le Gouvernement a rapporté cette décision en précisant que les inscriptions ont été reportées à l’année académique 2018-2019. A ce sujet, les étudiants apprécient diversement cette décision.
Mercredi 15 Novembre. Il est 10h. Nous sommes à l’Université d’Abomey-Calavi. La fièvre électorale est visiblement en baisse. Cap sur les études. Certains étudiants, tout joyeux, se dirigent vers l’Amphi de la Faculté de droit et de sciences politiques (Fadesp). La nouvelle du Gouvernement de la rupture qui reporte les inscriptions payantes dans les universités publiques du Bénin semble soulager. « Nous sommes 4 frères à avoir le Bac l’année écoulée. Et depuis qu’on nous a annoncé que les inscriptions sont payantes, je me suis demandé comment mon vieux allait s’en sortir dans un pétrin pareil. A un moment donné, je me suis dit qu’à défaut de continuer mes études supérieures, j’irai faire un job, histoire de trouver de quoi subvenir à mes besoins…Ce que j’ai appris avant-hier vient de me consoler… », dit Landry, étudiant en 1ère année à la Fadesp. Tout comme ce dernier, beaucoup d’étudiants sont soulagés de la récente décision du gouvernement. D’autres, par contre, continuent de croire que l’ancienne décision est maintenue, car n’ayant pas les mêmes difficultés financières que ceux venus des zones rurales. « Je ne suis pas encore informé. De toutes les manières, la formation sous d’autres cieux coute excessivement chère. Rien qu’à voir les frais de scolarité dans les universités privées, nous ne devrions pas nous plaindre…Mais ici, la majorité des étudiants sont issus de familles modestes… », déclare Renaud, étudiant en Master en Gestion des risques et catastrophes naturelles.
Retro sur les faits
En effet, selon le gouvernement, lors de la cérémonie solennelle de lancement de la rentrée académique 2017-2018, l’annonce a été faite à la communauté universitaire de l’abrogation imminente du décret instituant depuis 2008 la gratuité des frais d’inscription dans les universités publiques, suite au plaidoyer des recteurs d’universités publiques en direction du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique. Ainsi, conformément aux conclusions de l’atelier de Bohicon relatif à l’évaluation de la mise en œuvre du système Lmd, de nouveaux frais ont été définis par les recteurs, pour être applicables dès cette rentrée académique 2017-2018. Ces frais d’inscription académique s’élèvent à 25 000 francs pour le cycle de licence, à 50 000 francs pour le cycle de master, et à 75 000 francs pour le cycle doctoral.
La mesure quoiqu’attendue a suscité des remous au sein de certains acteurs de l’enseignement supérieur et des partenaires sociaux. Des plaidoyers ont été faits à l’endroit du gouvernement pour obtenir une certaine souplesse dans la mise en œuvre de cette décision. Plus précisément, ils souhaitent que l’application de la suppression de la gratuité soit reportée. Et tout porte à croire que le Président Patrice Talon et son équipe ne resteront pas insensibles à ces cris.
De sources dignes de foi, un séminaire gouvernemental s’est tenu le mardi 7 novembre dernier au Palais de la Marina sous la présidence effective du chef de l’Etat. L’objectif est d’évaluer l’application de la mesure de gratuité des frais d’inscription dans les universités nationales du Bénin. L’évaluation révèle que l’Etat n’a pas souvent mis à la disposition des universités les subventions compensatrices, et que les universités elles-mêmes n’arrivent pas à lever les fonds indispensables à l’accomplissement de leur mission. Aussi, le président Talon et son gouvernement seraient-ils dans la perspective de favoriser la définition d’un nouveau mode de gestion moderne des universités. A travers celle-ci, l’Etat apporterait sa contribution au fonctionnement des universités, en prenant par exemple en charge les frais d’inscription, à charge pour elles ensuite de définir les modalités de mobilisation de ressources additionnelles. Cette réforme pourrait entrer en vigueur dès la rentrée académique 2018-2019.
Une telle décision si elle venait à être prise donnera un peu de répit aux étudiants mais va relancer la problématique du financement des universités publiques en République du Bénin. Surtout que les recteurs dans leur ensemble ont sonné l’alerte plusieurs fois.
Reportée, et après !
Selon les responsables étudiants, la nouvelle décision gouvernementale est la bienvenue, mais elle ne fait que repousser le mal. « .Notre lutte a payé…Cette année nous avons décidé de travailler en symbiose. Et les trois organisations syndicales sont toujours en concertation. Depuis que la décision de rendre payante les inscriptions a été prise, nous nous sommes tus. Nous avons décidé de revoir nos moyens de lutte. C’est dans ce sens que nous sommes en train de communiquer. Mais nous n’allons pas communiquer jusqu’à la fin de l’année. Le Ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique, a son plan de travail annuel ; nous aussi avons le nôtre. Chacun de son côté utilisera ses moyens pour atteindre ses objectifs. On sait que si on paye les 25 000f rien ne va changer dans cette université…Nous allons œuvrer pour qu’elle soit vraiment gratuite… », confie Innocent Ahounou, Secrétaire général de l’Union nationale des étudiants du Bénin. Quant au Directeur de cabinet de la Fédération nationale des étudiants du Bénin, Godfroy Ebo, « nous ne connaissons pas jusque-là la nature de la décision. Nous ne savons si c’est un décret ou un arrêté. La ministre Odile Attanasso a profité de la rentrée solennelle pour annoncer les inscriptions payantes. On ne connait pas la nature de la décision. Nous avions envoyé une lettre au gouvernement et leur avons demandé de reporter la décision, en attendant de mener un débat de fond », dit-il. En réalité, il y a une confusion qui s’installe dans les esprits, car selon Godfroy Ebo, beaucoup pensent que les inscriptions payantes prendront effet l’année académique prochaine. « Il faut que le gouvernement nous invite d’abord pour un débat contradictoire. Ce qui est sûr, on ne peut jamais permettre que les étudiants payent l’inscription l’année prochaine », précise-t-il. Plus loin il explique que les 15000 Fcfa autrefois payés devraient servir aux visites médicales et autres. « Mais aujourd’hui, les étudiants payent sans que ces visites médicales ne soient effectuées », ajoute-t-il.
Aussi faut-t-il le souligner, cette question, en plus d’autres dossiers qui ont entaché la gouvernance du Recteur Brice Sinsin, a amené les responsables étudiants à se liguer contre l’élection de l’équipe ‘’Nouvelle vision’’ dont le candidat au poste de recteur faisant partie de l’ancienne. D’où la formule ‘’Ancienne équipe, ancienne vision, anciennes habitudes’’.