Du Bénin au Mali en passant par le Togo et le Burkina-Faso, les producteurs se préoccupent de l’agression de leurs cultures par des insectes connus sous le nom de Jassides du Cotonnier. Que sont-ils ? d’où viennent-ils ? Sont-ils si dévastateurs qu’on le soupçonne ? Cette enquête en deux épisodes raconte l’histoire de ces insectes à suivre de près.
Les jassides ne mesurent que quelques millimètres. Cependant, ces insectes peuvent mettre en péril, à une vitesse impressionnante, tout un champ de coton, de gombo, de piment, de soja ou d’anacardier. Amarasca Bigutula, l’espèce apparue ces dernières années dans la sous région ouest africaine, est surveillée de près par l’Institut de recherche sur le Coton et l’Institut international d’agriculture tropicale (Iita). « C’est un insecte qui se déplace de côté, un peu comme un crabe et mesure environ un millimètre », commence à décrire Ana Lopez Llandres, chercheure du Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad). Cette entomologiste, qui mène des travaux au Bénin sur les alternatives à la lutte chimique contre les ravageurs, connaît bien l’insecte. L’un des indices auxquels elle fait attention constitue les deux points noirs perceptibles sur la partie postérieure de chaque aile antérieure. « Avec sa couleur verte, l’insecte peut être confondu avec la mouche blanche, mais il est important de faire attention aux deux points sur ses ailes. Il faut avoir de bons yeux pour les reconnaître. Il est souvent nécessaire de tourner la feuille.Vous verrez sur la surface intérieure plusieurs larves », précise Ana Lopez Llandres. Le mode opératoire de cette espèce capable de pondre 15 à 30 oeufs est aussi bien connu de la science. Les oeufs, qui sont en forme de poire, allongés et de couleur blanc jaunâtre, sont déposés individuellement sur les feuilles. L’attaque peut se manifester par l’enroulement des feuilles de la plante vers le bas, le jaunissement suivi du rougissement. Les symptômes peuvent aller jusqu’aux chutes de feuilles, de boutons floraux et de fleurs. Sur le terrain, les encadreurs agricoles ont leurs approches pour aider les producteurs à reconnaître si vite la menace et à comprendre sa capacité de nuisance. « Ce sont des cicadelles qui vivent sur la face intérieure des feuilles et qui se nourrissent de la sève de la plante, puis injectent une salive toxique qui provoque des perturbations chlorophylliennes. Cela fait que la plante n’arrive pas à croître correctement puis commence à jaunir et à rougir », explique Alimi Allagbé, technicien en protection phytosanitaire à Banikoara, au nord du Bénin.
Sur les traces du piqueur suceur
L’histoire des jassides est fascinante. Pour mieux cerner ce groupe de ravageurs, il a fallu un voyage dans le temps, à travers des publications scientifiques et des ouvrages. Cette revue de littérature permet de constater que les jassides forment une vaste famille qui existe et évolue depuis des millions d’années et ont été sujets de nombreuses études portant sur leur cycle de vie, leur écologie, les dégâts qu’ils causent et les méthodes de contrôle. Selon la littérature, avant les années 2000 ravageurs de fin de cycle en culture cotonnière, et ils étaient bien contrôlés par les insecticides utilisés en fin de cycle en culture cotonnière”, peut-on lire dans une communication présentée par le Professeur Emmanuel Sèkloka, directeur de l’Institut de Recherche sur le Coton.Beaucoup s’interrogent et émettent différentes hypothèses sur leur recrudescence et l’infestation massive de jassides qui survient plus tôt dans le cycle, avec l’émergence d’une nouvelle espèce plus invasive, Amarasca Bigutula. Le changement climatique est pointé du doigt en raison des conditions météorologiques propices telles que la température, l’humidité et les précipitations, qui peuvent influencer la migration des insectes ravageurs. Mais certains pensent aussi à la résistance des insectes aux traitements. “Il y a le changement climatique mais je pense que les ravageurs ont commencé à s’adapter aux autres produits que nous utilisions pour les combattre. C’est ce qui pourrait expliquer la récurrence des ravageurs”, estime Félicien Ahoueya, producteur à Covè, dans le département du Zou. De sa position de chercheuse, Ana Lopez Llandres n’écarte aucune des thèses. “Les conditions climatiques peuvent très bien changer. L’humidité et la température sont de faire le lien avec la migration due aux déplacements d’une région à une autre. “Nous vivons dans un monde globalisé où les déplacements sont nombreux. Ce sont de petits insectes que l’on peut transporter facilement ; une fois qu’ils infestent une plante, c’est parti. Les changements de dynamiques et les changements climatiques peuvent également jouer un rôle”, analyse Ana.
Changer de fusils d’épaule !
Les ravageurs ont l’art de s’adapter aux techniques que développent les humains pour les contrôler. Par exemple, dans le rapport de synthèse de la rencontre technique sur la gestion durable des jassides dans les pays du Programme Régional de Production Intégrée du Cotonnier en Afrique (PR-PICA) en date de novembre 2023, on lit : “Les différentes doses d’imidaclopride testées, se sont montrées insuffisantes dans le contrôle de A. biguttula, d’où la nécessité de isposer de produits de traitement d’appoint pour intervenir en cas d’attaques précoces avant le démarrage du calendrier de protection phytosanitaire”. Le même rapport suggère d’ailleurs aux autorités nationales d’accorder des dérogations spéciales pour l’acquisition et l’utilisation de nouveaux produits. À long terme, il faudra changer d’approches avec tous les défis que cela représente et limiter le recours aux produits chimiques. “Nous sommes dans des systèmes très sensibles à l’apparition de nouvelles espèces parce qu’ils sont produits pour répondre efficacement aux espèces qui existent déjà. C’est comme dans le cas des jassides. Certains traitements ne fonctionnent pas. Il faut en avoir de nouveaux. En même temps, même si on maîtrise très bien un traitement chimique, à un moment donné, les ravageurs peuvent développer une résistance”, souligne Ana. À l’en croire, la diversification des cultures et l’agroécologie peuvent aider à réduire la percée des ravageurs. “L’agroécologie peut être une approche intéressante. On améliore la santé du sol et des plantes, ce qui peut influencer les ravageurs”, martèle-telle.
De nombreuses études préconisent également l’association des cultures pour piéger ces insectes et réduire ainsi leurs capacités de destruction. Dans une étude publiée en décembre 2023 par l’International Cotton Researchers Association (Icra), des chercheurs rapportent avoir, au cours d’une mission menée au sud du Bénin en juin 2023, observé de fortes populations de ces bestioles sur des feuilles de plants de gombo cultivés au siège de l’Institut national de recherche agricole du Bénin (Inrab) ainsi que non loin de l’Institut international d’agriculture tropicale (Iita) à Abomey-Calavi, à une vingtaine de kilomètres de Cotonou. Les images prises par Pierre Jean Silvie, chercheur au Cirad, montrent “des adultes morts, de couleur jaune doré, attachés sous les feuilles, avec leurs ailes écartées”. Ils seraient contaminés par un champignon. Cette piste, les chercheurs s’y accrochent pour voir dans quelle mesure trouver des voies d’anéantissement de la menace, dans les zones où l’insecte est fortement présent. Du côté de l’Institut de recherche sur le coton, la surveillance se trouve renforcée pour que les jassides ne deviennent pas la bête noire de l’or blanc en pleine croissance. Cette enquête a été réalisée avec l’appui du Réseau des journalistes scientifiques d’Afrique francophone (RJAF) dans le cadre de la bourse d’enquête de la Conférence mondiale des journalistes scientifiques francophones.
Fulbert ADJIMEHOSOU & Laurelle SOUNOUVO ( Coll. Ext)
- 14 octobre 2024
- 14 octobre 2024