Jean Gabin Houézo, Coordonnateur du Programme national de lutte contre la lèpre et l’ulcère de buruli au Bénin : « Sans causer de douleur, l’Ulcère de buruli ronge la peau et les os »

26 avril 2022

Surnommée maladie mystérieuse vers la fin des années 1980 par l’organisation mondiale de la santé, l’ulcère de buruli fait partie de ces maladies tropicales que les gens associent à une attaque mystique au Bénin. En effet, c’est une maladie causée par une bactérie vivant dans les zones marécageuses et insalubre en Afrique, en Asie, en Amérique du sud et dans le pacifique occidental et qui ronge, tue sans faire de bruit. C’est ce que nous explique Jean Gabin Houézo à travers cet entretien.

Comment pouvez-vous définir l’ulcère de buruli ?

L’ulcère de buruli est une maladie tropicale négligée, qui fait partie d’un groupe de 20 maladies tropicales négligées reconnues par l’OMS. C’est une maladie de la peau. Mais elle peut revêtir plusieurs formes jusqu’à atteindre l’os. Elle touche n’importe qui. Mais en réalité, la catégorie de personne la plus touchée est celle des enfants de moins de 15 ans. Elle survient souvent, mais pas toujours dans les zones marécageuses. Le taux de mortalité de l’ulcère de buruli est très faible, mais elle laisse des séquelles invalidantes et parfois irréversibles quand elle n’est pas vite prise en charge.

Pourquoi ces maladies sont-elles appelées des maladies tropicales négligées ?

Ces maladies sont appelées maladies tropicales négligées, simplement parce qu’elles ne bénéficient pas de la même attention ni des mêmes ressources que les maladies comme le paludisme, la tuberculose ou encore le VIH sida.

Quelles sont les causes de l’ulcère de buruli ?

L’ulcère de buruli est dû à un microbe. C’est une bactérie de la même famille que celle qui entraine la tuberculose et la lèpre. A la différence qu’elle a pour fonction d’ulcérer la peau. On l’appelle mycobactérium ulcérans. C’est une bactérie en bâtonnets. Ce microbe sécrète une toxine assez puissante qu’on appelle la mycolactone. Celle-ci s’attaque aux tissus graisseux sous cutanés, ce qui donne l’aspect cotonneux qu’on remarque au niveau de l’ulcère. Cette toxine est à l’origine de l’érosion de la peau qui ronge et donne la plaie. Cette substance a des propriétés immunosuppressives qui entrainent une absence de douleurs au niveau des différentes formes cliniques de l’ulcère de buruli. C’est un microbe qui ne se transmet pas d’homme à homme. C’est là toute la problématique de l’ulcère de buruli à ce jour. On ne sait pas encore exactement comment il quitte le milieu aquatique pour infecter l’homme.

Quels sont les facteurs de risque de l’ulcère de burili ?

Il existe plusieurs des facteurs de risque. Il est dangereux d’habiter auprès d’un cours d’eau ou y travailler. Ces zones marécageuses sont des zones fertiles pour la production agricole, ce qui fait que les personnes travaillant dans ces zones sont plus exposées. Il existe des réservoirs du microbe en dehors de la zone marécageuse. Il y a des insectes aquatiques qui sont parfois des transporteurs du germe. Mais il y a un fait capital. Ce microbe infecte l’homme à la faveur d’une égratignure ou d’une blessure sur la peau.

Quels sont les symptômes de l’ulcère de buruli ?

L’ulcère de buruli se manifeste le plus souvent en 5 phases. Premièrement par un nodule. Une lésion non douloureuse palpable et ferme d’environ 1 à 2 cm enchâssée dans le tissu cutané qui peut être mobile et roulant sous la peau. C’est une lésion assez dure. Parce qu’elle ne fait pas mal, les gens la négligent.
Au deuxième stade, apparait ce qu’on appelle une plaque. La plaque est une lésion indurée, cartonnée non douloureuse, visiblement délimitée au-delà de 2 cm de diamètre et dont la superficie est écailleuse.
Passé ce stade, nous avons le stade d’œdème. C’est la troisième forme clinique. L’œdème en réalité est un gonflement diffus de toute partie d’un membre. Ça peut aussi être tout le membre, le thorax, l’abdomen, le dos. C’est un œdème sans noyau dur et non douloureux et d’aspect luisant.
A la phase d’état apparait un ulcère nécrotique dont le fond a un aspect cotonneux et les bords sont œdématiés noir hyper pigmenté et non douloureux.
Après cette forme, nous avons les formes d’infection osseuse appelée ostéomyélite à la phase chronique ou ostéite a la phase aigüe. Elle se révèle comme une suppuration ponctiforme au niveau de la peau. A ce niveau, il faut une radiographie pour visualiser la lésion de l’os.

Que se passe-t-il quand l’ulcère de buruli n’est pas vite diagnostiqué et pris en charge ?
Deux formes d’évolution sont possibles quand l’ulcère de burili n’est pas vite pris en charge. La première, c’est la cicatrisation spontanée sans traitement. La cicatrice est très fragile et son évolution après peut déboucher sur un cancer de la peau. Par contre, l’évolution dramatique conduit aux cas d’invalidité, car la plaie se complique jusqu’à une nécrose totale, c’est-à-dire une atteinte de l’os qui peut conduire à une amputation chez le patient. Il y a aussi des complications qui entrainent des infirmités au niveau des articulations. C’est une forme grave, et le membre peut se rétracter à vie.

Comment se passe le traitement de l’ulcère de buruli ?

La prise en charge de l’ulcère de buruli combine des antibiotiques spécifiques, la chirurgie et la prise en charge des incapacités. Le volet traitement antibiotique dure 8 semaines ou 60 jours durant lesquels le malade prend deux antibiotiques tous les jours. Lorsque le mal est dépisté tôt, au stade de lésion de nodule ou de plaque, les 8 semaines de traitement suffisent. On ne passe donc pas à l’étape de chirurgie.
Par contre, pour les formes de plaque, les œdèmes, les ulcères, on fait les 8 semaines de traitement, puis on emmène le malade au bloc opératoire pour enlever les parties nécrosées et lui faire une greffe de peau. En général, lorsque le mal est diagnostiqué très tôt et traité, au bout de 4 mois de traitement au plus, le malade est guéri.
Le troisième aspect, c’est la prévention des invalidités. En effet, la puissante toxine de ce microbe détruit tous les tissus sous cutanés, notamment le muscle et les tendons, ce qui crée un problème de mobilité au niveau des articulations. Donc, pendant la période du traitement, nous faisons la rééducation fonctionnelle quotidiennement pour rétablir la fonction des articulations. Lorsque nous avons des malades à ce stade de complication, une fois le traitement fini, il faut assurer la réhabilitation du patient. Pour cette phase de réhabilitation pour les patients amputés par exemple, il faut leur faire des prothèses. Mais ces cas deviennent de plus en plus rares grâce aux efforts fournis par les partenaires, le gouvernement et l’appui des relais communautaires.
Un autre volet du traitement, c’est la nutrition. Parce que la toxine, en détruisant le muscle, crée de l’anémie due une malnutrition. Donc, nous essayons d’assurer une alimentation équilibrée aux malades lors de leur hospitalisation.

Combien de cas d’ulcère de buruli sont-ils enregistrés au Bénin ?

Les cas ont diminué avec les efforts fournis. Au cours de l’année 2021, nous avons eu 240 cas, nous avons atteint le pic entre 2008-2009 avec près de 4000 cas. Grace aux efforts fournis, la courbe épidémiologique a diminué, et depuis les 5 dernières années, nous tournions autour de 350 cas en moyenne au cours de l’année.

Quels sont les moyens de prévention de l’ulcère de buruli qui existent ?

Les études ont prouvé que se laver à l’eau et au savon est un moyen préventif contre l’ulcère de buruli. L’assainissement du cadre de vie est aussi une mesure préventive contre le germe. Une étude réalisée au niveau des cultivateurs de riz dans ces régions a révélé que les personnes portant des protections adéquates sont hors d’atteinte de ce microbe. La stratégie du programme est de sensibiliser la population afin de se faire dépister tôt, pour éviter les complications à long terme. Lorsqu’on dépiste un nodule tôt, le malade peut être traité à son domicile, et on lui administre le traitement qu’il faut. C’est un traitement médical très simple.

Propos recueillis par Yasmine ALONOMBA (Stag)



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