Maraichage au Bénin : Au nom du profit, la culture bio en berne

Patrice SOKEGBE 6 octobre 2022

Au nombre des activités génératrices de revenus au Bénin, le maraichage occupe une place de choix. En pleine expansion, cette filière se trouve malgré tout confrontée à de nombreuses difficultés, notamment liées à la dualité entre l’usage des engrais chimiques et ceux bio.

Il est 17 heures. Nous sommes dans les périmètres maraîchers de l’Aéroport de Cotonou, un espace de 15 hectares. A l’entrée, l’on aperçoit des hommes et des femmes transporter des fruits et légumes qui sont sans doute destinés à la vente et à la consommation. Plus loin, il y a une étendue de sites maraîchers bien entretenus à travers des haies de fruits, légumes et autres feuilles thérapeutiques. Il s’agit pour la plupart de la laitue, la carotte, du chou, de la grande morelle et autres. Rompu à la tâche, Christophe s’attèle à l’entretien de ses légumes mis en terre, il y a quelques jours. Après l’arrosage, il enlève les mauvaises herbes pour aérer la croissance des légumes et empêcher les parasites. Christophe utilise la plupart du temps de l’engrais chimique pour sa culture. « Avec l’engrais chimique, c’est plus rentable. Il suffit d’acheter de l’engrais pour 500 Fcfa pour couvrir cette surface. Et en terme de rendement, je ne me plains pas », dit-il, tout en abordant les difficultés avec l’usage de l’engrais biologique. Toutes les tentatives pour entrer en contact avec le Président du périmètre maraicher sont restées vaines.
Ainsi, ces dernières années, l’on assiste à l’expansion de nombreux espaces maraîchers au niveau des bas-fonds et des zones péri-urbaines. Le maraîchage peut être une solution alternative au problème de l’urbanisation, car il permet, selon l’ingénieur agronome Agbossou Sanny, le recyclage des ordures ménagères utilisées comme compost, la réduction du chômage et l’atteinte de l’auto-suffisance alimentaire, en somme le recul de la pauvreté dans les villes. Toutefois, malgré les avantages qui en résultent pour la situation socioéconomique du pays, cette activité fait courir d’importants risques sanitaires qui réclament des mesures rapides.

Entre le chimique et le bio, le choix est fait d’avance !

« Avec le bio, tu seras obligé de dépenser beaucoup pour un rendement minable… », a déclaré Hilaire, un autre maraicher sur le site, qui estime qu’à peine 2% des 300 coopérants utilisent les engrais chimiques. Cela démontre à quel point la recherche du profit et le risque de perte sont au cœur des préoccupations. « A la vente, les clients ne font aucune distinction entre les produits cultivés avec de l’engrais chimique et ceux biologiques. Ils les achètent au même prix. Inutile donc de faire la culture du bio. Ça fait dépenser…Après tout, nous travaillons pour le profit », ajoute Christophe. D’ailleurs les clientes n’ont pas hésité à faire leur choix. Dame Josiane préfère les cultures à base d’engrais chimique, car, dit-elle, elles coûtent moins chères et sont accessibles à toutes les bourses. « Parfois, il nous arrive de vouloir les cultures biologiques au même prix que celles à bases d’engrais chimiques, même si on sait que le bio coûte généralement cher. Un pied de laitue produite à base d’engrais chimique coûte 50 à 75 Fcfa alors que celle bio se vend à 150 à 200 Fcfa », révèle-t-elle. Comme Josiane, presque toutes les restauratrices de Cotonou, à la recherche du profit, adoptent cette posture, livrant ainsi les consommateurs à des risques sanitaires considérables.

Et pourtant !

Les maraichers qui s’investissent dans l’agriculture biologique se donnent les moyens de leurs ambitions. Car, malgré les lourds sacrifices, ils savent qu’une frange de la population reconnait la valeur des produits biologiques. Cela nécessite une veille accrue et de l’investissement en temps, en énergie et en argent. Et pour amortir les charges liées à cette production, certains maraîchers reçoivent l’appui non seulement du gouvernement mais aussi des partenaires techniques et financiers.
Selon la Banque Mondiale, en 2019, 32 coopératives composées de 495 bénéficiaires directs dont 371 femmes ont été financées à hauteur de 268 millions de francs CFA. Le maraîchage écologique, la transformation de produits agricoles, l’élevage et la pisciculture constituaient l’essentiel des activités. En 2020, une deuxième génération de bénéficiaires a signé des conventions, pour un montant d’environ 300 millions Fcfa. Grâce à la culture bio, la nature reprend peu à peu ses couleurs et redonne vie à l’aire communautaire de conservation de la biodiversité de la zone d’Adounko.
Dans ce cadre, pour faciliter cette production, certaines entreprises valorisent des ressources locales, notamment les graines de neem et plantes aromatiques dans la production et la commercialisation des bio-pesticides et des engrais organiques pour une agriculture saine, respectueuse de l’environnement et de la santé de nos populations. C’est de l’entreprise Biophyto qui met à leur disposition des intrants naturels. « A base de ces plantes, nous produisons des engrais et des pesticides biologiques fabriqués et améliorés localement avec la collaboration des paysans et des chercheurs. Aujourd’hui, Bio Phyto dispose d’un bio-pesticide Top Bio et d’un engrais organique 100% naturels…D’après les résultats des essais effectués avec des chercheurs, une parcelle cultivée avec un engrais de synthèse a permis de réaliser un bénéfice de 160.000 Fcfa alors que la même parcelle cultivée avec produit Bio a permis de réaliser un bénéfice de 300.000 Fcfa. L’utilisation des intrants produits par Bio Phyto permet d’augmenter le rendement et ainsi de favoriser l’amélioration de revenus des agriculteurs. Sur le plan économique, nos produits sont accessibles (meilleur prix) aux agriculteurs surtout les petits paysans ; ils permettent une réduction de certaines charges liées à l’utilisation des intrants de synthèse (nombre de désherbage et d’application d’engrais,…). Sur un hectare en riziculture, nous avons mesuré une production moyenne de 4 tonnes de riz avec nos produits, contre 3 tonnes avec des intrants chimiques », a déclaré Gildas Zodomè, Fondateur de Bio Phyto. Bio Phyto s’est progressivement diversifié et met également sur le marché de l’huile de neem efficace contre les attaques d’insectes. En termes de rendement et de bénéfices effectués sur la vente, les résultats ne sont pas encore à la hauteur des attentes. Les choses changeront si les consommateurs donnent priorité à leur santé.

Patrice SOKEGBE



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