Alors qu’une nouvelle campagne cotonnière va bientôt démarrer au Bénin, producteurs, décideurs, et chercheurs ont en ligne de mire la Jasside du cotonnier. Mais la menace va bien au delà de l’or blanc et pourrait peser sur la sécurité alimentaire.
Sous un soleil de plomb, Hilaire Bagbonon est affairé à coordonner le transport du coton récolté vers l’usine. Résident dans un hameau de Détohou, à plus de 150 km de Cotonou, le Président des cotonculteurs de la commune d’Abomey est désormais attentionné aux symptômes d’attaque d’insectes dans son exploitation. Les dégâts causés au cours de la campagne écoulée par les jassides en sont pour beaucoup. “A peu près cinq hectares ont été touchés. On n’a pas vite compris le danger, c’est une leçon pour la prochaine campagne”, fait-il savoir. Direction Banikoara, au nord du Bénin, à 700 km de Cotonou. Ici, les producteurs gardent l’oeil ouvert sur cet insecte qui se déplace sur le côté inférieur des feuilles. Selon Sabi Goni Naga Yô, président des cotonculteurs de cette commune, la menace y a été détectée plus précisément à Founougo à la fin de la campagne 2022-2023. “Nous avons aussitôt remonté l’information à l’Association Interprofessionnelle du Coton. Les chercheurs ont été contactés, ce qui a permis de trouver une première alternative, le Jacobi utilisé pour détruire les larves avant le traitement habituel du cotonnier », précise-t-il. Si la menace est si prise au sérieux, c’est parce que l’or blanc porte la contribution du secteur agricole à l’économie nationale. Selon l’Institut national de la statistique et de la démographie (Instad), la part du secteur primaire dans la formation du Produit intérieur brut s’est affichée à 25,4% en 2023. Un an plus tôt, la part du secteur primaire dans la formation du PIB s’est affichée à 26,9% . Ces dernières années, le Bénin s’est battu pour se repositionner dans le classement des meilleurs producteurs en Afrique.
Protéger la prunelle du Bénin
D’après les données de la Direction des statistiques agricoles, la production a été multipliée par au moins cinq entre 2010 et 2020, passant de 136 958 tonnes en 2010 à 731 057 tonnes en 2020. La dynamique s’est poursuivie, mais perturbée par l’invasion des jassides. « En effet, la production du coton est passée de 766 036 tonnes en 2021 à 704 000 tonnes en 2022 en raison de l’attaque des champs de coton par les jassides”, fait savoir l’Instad dans une note publiée en mars 2023.
“Dans ce secteur, l’Agriculture a connu une hausse de 4,5% en 2022. Cette performance agricole aurait été encore plus importante si la production cotonnière n’avait pas baissé de 8,1% en 2022”, renseigne le document.
Mais des dégâts, il y en a eu bien plus importants dans la sous-région au cours de la campagne 2022-2023. Dans les pays fortement touchés, les écarts par rapport aux prévisions ont atteint près de 50%. Les rendements étaient inférieurs à 800 kg/ha par endroits. « Le Bénin a été moins touché lors de la campagne 2022-2023. Nous avons eu l’invasion en fin de campagne. Cette année, l’invasion a été un peu plus large dans toutes les zones cotonnières mais avec le contrôle, ils n’ont pas pu pulluler comme ils pouvaient”, rassure Gustave Bonni, responsable de l’axe entomologie de l’institut de recherche sur le coton au Bénin.
Minuscule à vue d’oeil, la Jasside se révèle être assez coriace. « Nous avons donc dû mener des expérimentations pour trouver de nouveaux produits, notamment le Jacobia », confie Gustave Bonni. Très rapidement, le Bénin a procédé à un réaménagement du calendrier de traitement phytosanitaire du cotonnier. « De nombreuses sensibilisations ont été menées dans ce sens pour permettre aux producteurs de prendre les mesures nécessaires pour contrer les attaques des jassides. De plus, le traitement foliaire a été subventionné pour tous les producteurs. La dose a été fournie gratuitement », explique Alimi Allagbé, technicien en protection phytosanitaire à Banikoara. Des travaux continuent d’être menés pour évaluer l’efficacité de nouveaux produits, rechercher de nouveaux programmes de traitement, effectuer des tests de sensibilité, estimer l’incidence des jassides sur la production de coton et actualiser leurs seuils de nuisibilité. « Il y a eu un véritable progrès parce qu’aujourd’hui, il y a moins de plaintes concernant les jassides au Bénin et même dans la sousrégion”, fait savoir Gustave.
Éviter le gros piège !
Les jassides n’attaquent pas que le coton. Concentrer les efforts de surveillance et de riposte sur l’or blanc pourrait être un piège. C’est bien ce que constate Félicien Ahoueya, maraîche et gestionnaire de l’union communale des producteurs de Covè dans le département du Zou. “Nous avons pris connaissance de la menace l’année dernière au moment où il n’y avait plus de cotonnier dans les champs. On l’a constaté dans les bas-fonds là où les producteurs font plus de vivriers et de cultures maraîchères. C’était suffisamment dans les plantations de gombo et quelquesuns sur la tomate et les légumes”, fait-il remarquer. En réalité, les jassides ont plusieurs plantes hôtes, dont les cultures maraîchères, l’anacardier, le manguier..., qui sont d’une importance cruciale pour l’alimentation et l’économie. S’ils ont cessé d’être des menaces de second plan pour le coton, ça pourrait être bien le cas pour le gombo, le piment, l’anacardier, les légumes et pourquoi pas les vivriers.
De même, le risque de voir cohabiter plusieurs espèces sur une même parcelle maraîchère n’est pas non plus à banaliser. Cette cohabitation pourrait conduire à des dégâts alarmants. “La virulence pourrait être due à l’effet conjugué de la cohabitation des espèces”, rapporte une étude menée en Côte d’Ivoire sur des parcelles de coton, de gombo et d’aubergine. Le Programme Régional de Production Intégrée du Cotonnier en Afrique (Pr-Pica) recommande d’ailleurs aux pays membres de considérer l’invasion des nouvelles espèces de jassides comme une menace pour la sécurité alimentaire et d’intégrer les autres filières (maraîchères, céréalières, fruitières, protéooléagineuses) dans leur gestion. Félicien pense qu’il faut accélérer les luttes chimiques
et biologiques pour éviter que les jassides ne créent des risques d’insécurité alimentaire. Il faut aussi regarder du côté des solutions locales.
Cette enquête a été réalisée avec l’appui du Réseau des journalistes scientifiques d’Afrique francophone (RJAF) dans le cadre de la bourse d’enquête de la Conférence mondiale des journalistes scientifiques francophones.
Fulbert ADJIMEHOSSOU & Laurelle SOUNOUVO (coll-Ext)
- 14 octobre 2024