Professeur Eusèbe Alihonou : portrait d'un humaniste hors pair !

8 août 2024

Décédé en juin 2024, le Professeur académicien Eusèbe Alihonou a été inhumé ce jeudi 08 août à Ouidah. Mais le gynécologue-obstétricien, visionnaire et précurseur de l’initiative de Bamako, reste immortel dans le cœur des communautés qu’il a servies tout au long de sa vie. Portrait du premier chef service de la clinique universitaire de gynécologie obstétrique (Cugo) et fondateur du Centre de recherches en reproduction humaine et en démographie (Cerrhud).

Salle rouge du Palais des congrès de Cotonou. Des ovations nourries et chaleureuses résonnent. Une minute exceptionnelle de reconnaissance collective, en écho aux vies que Eusèbe Alihonou a profondément marquées. Pour certains dans le public, « il mérite bien une place au Panthéon ».
« De nombreuses femmes lui doivent non seulement leur vie, mais aussi celle de leurs enfants. Il n’était pas rare de voir des familles entières venir lui rendre visite simplement pour le remercier. Ce que le Professeur Alihonou savait faire de mieux, c’était d’aider les femmes à donner la vie. Il célébrait ainsi la vie », affirme Prof. Benjamin Hounkpatin, ministre de la Santé, pour qui l’académicien a été un mentor et un guide.
Ce n’est pas pour rien qu’il est fait, depuis 2008, Grand-croix de l’ordre national du Bénin, le grade le plus élevé. Eusèbe Alihonou est aussi Officier de la Légion d’Honneur (1999) et Commandeur des Palmes académiques françaises ( 1990). « Le Professeur Eusèbe Alihonou a été un ardent défenseur des droits des femmes pour l’accès à des soins de qualité. Il a compris que la santé maternelle était la clé de la santé communautaire », ajoute Benjamin Hounkpatin.

Un monument vivant
Né en 1938 à Dogbo dans le sud-ouest du Bénin, Eusèbe Alihonou a posé les bases solides de la gynécologie obstétrique dans la sous-région. Ceux qui ont côtoyé ce monument scientifique qui a dirigé, pendant quatre décennies, la Cugo savent qu’il était un « spécimen » rare, difficile à égaler et à reproduire. Ses collaborateurs ont encore à l’esprit sa rigueur, son attachement au travail bien fait, et sa philosophie de ne rien lâcher tant que toutes les solutions n’étaient pas épuisées pour sauver une mère et son nouveau-né.
« Avec lui, l’apprenant, qu’il soit étudiant en médecine ou médecin inscrit en DES de gynécologie obstétrique, devrait se tenir à carreau. On le trouvait excessif, mais cela répondait à un objectif, former des ressources humaines de qualité, capable de faire face aux exigences de cette belle spécialité polyvalente, la gynécologie obstétrique, synonyme de don de soi pour éviter le pire à nos sœurs, nos mères, nos enfants », rappelle Prof. Justin Dénakpo, responsable actuel de la Cugo et de l’unité de Gynécologie-Obstétrique à la Faculté des sciences de la santé.
Eusèbe Alihonou était connu pour enchaîner de longues journées hospitalières avec des gardes épuisantes. Ceux qui, dit-il, après de longues heures de travail, tentaient de récupérer dans la profondeur de la nuit avant la prochaine urgence étaient souvent réveillés par de l’eau de robinet sur la tête ou par la disparition de leurs chaussures, signe du passage du maître, qui n’hésitait pas à distribuer des corvées.

« Une école et un grand maître »
Directeur de l’École nationale des sages-femmes d’État du Bénin entre 1975 et 2004, Eusèbe Alihonou s’était donné pour mission de former des sages-femmes d’élite. Elles portent aujourd’hui fièrement sa marque. « Il a été indiscutablement l’école et le maître de plusieurs générations de sages-femmes qui ont animé tant de maternités sur toute l’étendue du territoire national. Il était aussi un maître pour toutes les sages-femmes qui ont eu le bonheur de servir sous lui à la Cugo », déclare Augustine Sohouenou, sage-femme.
Ces élèves étaient souvent amenés à faire face à la réalité, sur le terrain. « En troisième année, vous devez aller prendre les gardes au moins en communauté. On allait à Pahou. La nuit on devrait organiser des causeries par exemple sur l’allaitement maternel, la nutrition des enfants. Le lendemain, on repartait pour des séances de vaccination dans les hameaux. Il disait souvent que ceux qui peuvent se rendre à l’hôpital sont ceux qui ont les moyens. Alors, pour résoudre un problème, il faut aller à la source, là où tout commence », s’en rappelle Immaculée Alapini, sage-femme documentaliste.
Raphaël Doudou, conducteur de véhicule administratif, qui a travaillé avec Eusèbe Alihonou pendant plusieurs décennies, sait combien aucune localité n’était trop difficile d’accès au professeur. « Il y a un village qui s’appelle Agbogbomey à 35 km de Paouignan dans les collines. C’était à l’époque une localité très difficile d’accès, mais le professeur ne se lassait pas de s’y rendre pour la formation des matrones. Dans les hameaux, je les amenais, lui, les médecins et les sages-femmes faire des causeries. C’était les soirs, parce qu’il fallait attendre le retour des populations des champs », confie-t-il.

Un clinicien méticuleux
Président du Collège national des gynécologues obstétriciens du Bénin (Cngob), Emmanuel Ewagnignon n’en dit pas moins du « baobab » Eusèbe Alihonou. « Nous gardons de lui l’image du maître rigoureux, du clinicien méticuleux, de l’infatigable pédagogue et de l’homme magnanime », martèle-t-il. Lorsqu’on évoque la création de la Faculté des sciences de la santé, l’histoire ramène inévitablement le nom d’Alihonou aux côtés des Professeurs Pignol et Goudoté.
« Lui et le Professeur Goudoté préparaient les cours sous les arbres. Après trois années, il leur a été interdit de créer la 4e année. Déterminés à atteindre ses objectifs, les Professeurs Alihonou, Goudoté et le recteur d’alors, Adjanohou, ont mis tout leur poids dans la balance pour réussir à créer cette 4e année. C’est ce qui a donné naissance à la Faculté des sciences de la santé que nous connaissons aujourd’hui à Cotonou », souligne le Professeur Félicien Avléssi, recteur de l’Université d’Abomey-Calavi.

Pour la mère et l’enfant
Eusèbe Alihonou a un attachement particulier pour la recherche. À travers le Centre de recherche en reproduction humaine et en démographie créé il y a 45 ans et qui s’appelait initialement « Human Reproduction Program (HRP) », il a posé les jalons de la recherche et d’interventions d’envergure nationale et internationale. Cet engagement prend en compte la biologie de la reproduction, la qualité des soins obstétricaux et néonatals d’urgence, l’épidémiologie des pathologies santé sexuelle et reproductive (Ssr), le financement et l’organisation des services Ssr, et en démographie.
Le sens de sa combativité résidait dans sa volonté d’améliorer, par la recherche, la qualité de vie des populations, grâce à une collaboration intersectorielle et une approche multidisciplinaire mettant en contact décideurs, chercheurs et membres de la communauté. « Il a été un pont précieux, entre la production scientifique de qualité et en démographie, les décideurs politiques et les communautés. Le Cerrhud qu’il a fondé en 1979 illustre bien cette dimension de son œuvre », rappelle Prof. Justin Dénakpo.
Il ne devrait donc pas y avoir de recherche opérationnelle qui ne puisse pas prendre en compte les besoins de la population et favoriser sa participation à toutes les phases de la recherche. «  Le Professeur Alihonou a très tôt compris que seule la recherche pouvait bénéficier au pays et s’est battu ardemment pour cela, de jour comme de nuit. Il est convaincu que, grâce à une formation de qualité, on peut construire le pays. Il a démontré à travers le Projet de développement sanitaire (Pds) de Pahou qu’on peut utiliser le peu que l’État donne pour créer de l’impact  », explique Dr Rigobert Adégbinni, directeur adjoint du Cerrhud, sous Eusèbe Alihonou.
C’est aussi un précurseur de l’initiative de Bamako, lancée en 1987 qui vise un modèle de santé à moindre coût, avec un niveau optimal de qualité de soins, avec la participation active des populations bénéficiaires dans un partenariat de type Co-gestion. « Ce qui nous a plus marqués est le vison du professeur Eusèbe Alihonou à travers l’initiative de Bamako. Aujourd’hui le Benin est pionnier en matière de santé communautaire et est scruté à la loupe dans le monde entier par rapport à sa stratégie communautaire innovante qui est en cours de déploiement », fait savoir le ministre Benjamin Hounkpatin.
Aujourd’hui, l’héritage du Professeur Alihonou transcende les frontières de son pays natal. Sa vie entière fut un testament de ce que signifie servir, non seulement la science, mais aussi l’humanité.
Fulbert ADJIMEHOSSOU (Coll. Ext)



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