Plusieurs jeunes filles et/ou femmes, dans la course pour être autonomes sur le plan financier, trouvent comme alternative de travailler dans des entreprises et/ou structures afin de subvenir plus ou moins à leurs besoins primaires. Et dans cette quête d’obtention d’un job, elles sont parfois confrontées à des situations tout aussi frustrantes. Entres autres, coucher avec son patron. Et dès lors que cette proposition est refusée, bienvenue les problèmes.
« Nous recrutons un/une secrétaire de bureau…les candidatures féminines sont fortement encouragées » ; « nous sommes à la recherche d’une jeune fille pour gérer un centre de mobile money » ou encore « pour le compte de ses activités, une structure recherche de toute urgence une jeune fille âgée de… et ayant sa résidence à… », etc. Ces phrases sont légion sur les sites de recrutement et en l’occurrence sur les réseaux sociaux. Au vu de ces annonces, les jeunes filles/femmes, après le dépôt des dossiers, finissent pour la plupart, par obtenir le job, sur une période donnée. C’est le cas de Christelle, 24 ans révolus, bronze de teint, taille imposante. Il y a quelques mois en arrière, la jeune titulaire de licence en Géographie a fini par décrocher un job après un processus assez long dans une structure de quatre employées basées à Godomey dans la commune d’Abomey-Calavi. Son travail consiste à accueillir les clients, leur proposer les produits et les amadouer afin qu’ils s’en procurent. Elle est appelée à être au boulot de huit heures à vingt-deux heures avec une pause d’une heure soit 14 heures de travail sur les 24 que compte une journée. « Quand je reviens à la maison, je suis toute fatiguée et n’arrive plus à rien faire à part me doucher, trouver quelque à manger et me coucher. Encore que je ne gagne pas grand-chose, j’ai envie d’abandonner mais quand je vois la situation actuelle où il n’y a pas d’emploi, autant rester là en attendant que d’autres opportunités d’emplois s’offrent à moi », explique-t-elle. « Je suis la quatrième jeune femme qui a rejoint nouvellement l’agence. A mon arrivée, je suis bien accueillie par mes collègues. Elles m’ont davantage expliqué comment les choses se passent ici. Comment je dois me comporter, ce que je dois faire, etc. », raconte-t-elle. Malheureusement, « comme j’étais dans mes premiers jours, j’ai senti qu’elles ne m’ont pas encore tout raconté et qu’elles avaient des réserves ». Les jours se sont succédé et deux mois sont passés. « Avec mes collègues, je ne m’ennuie pas. On travaille dans la cohésion et la confraternité », déclare-t-elle.
Contrairement à Christelle, ses autres collègues de travail ont un lien plus étroit avec le chef de l’agence. Une situation que la jeune femme trouve normale vu qu’elle venait à peine d’intégrer la maison. Mais cela n’a pas trop duré. Car, « un jour, notre patron m’a invitée dans son bureau à l’heure de pause. Je suis allée et nous avions discuté de beaucoup de choses. Je rappelle que c’est la deuxième fois que nous avons échangé de vive voix après mon entretien d’embauche. Au demeurant, il m’a fait des avances. Et comme une réponse du berger à la bergère, j’ai manifesté mon refus parce que j’ai déjà un petit-ami depuis quelques années », raconte-t-elle avant de poursuivre : « je ne savais pas que ce jour où j’ai refusé sa proposition est le début de mes maux dans cette agence. Dès lors, on me crée des problèmes presque tout le temps. Je ne dois accuser même pas une seule minute de retard. Les tâches de mes autres collègues se sont ajoutées aux miennes. Je ne suis plus bien vue », raconte-t-elle avec amertume. Rosine, comme Christelle est aussi dans un cas similaire à quelques différences près. Rosine, jeune diplômée de la Faculté des sciences économiques et de gestion de l’Uac, est recrutée dans une cabine téléphonique à Abomey-Calavi où elle perçoit 30.000 f CFA le mois. Elle y va du lundi au samedi de 08h à 22h. « Depuis que mon patron m’a proposé de coucher avec lui pour que la relation employée-employeur soit bien solide, et que j’ai refusé, je ne suis plus la bienvenue. Il me harcèle à tous les coups. Il est même arrivé à scanner, je ne sais par quelle alchimie, mon compte WhatsApp et suit de près mes échanges avec mes contacts. Il me fait des points journaliers bizarres où chaque jour j’ai des manquants. A la fin du mois, je me retrouve parfois avec 0f. Cela m’a beaucoup frustrée et je suis tout le temps stressée », confesse l’ancienne élève du CEG 1 Godomey. La dernière situation en date et dont la goutte a fait déborder le vase, relate la jeune femme, est une situation très critique. Elle confie : « un jour, un présumé client est venu vers moi pour faire un dépôt de 420.000f CFA. N’ayant pas cette somme sur mon compte, j’ai appelé mon patron pour une éventuelle solution. Il m’a dit au téléphone qu’il n’a que 320.000. J’ai demandé au client s’il prendrait les trois cent vingt mille. Il a accepté et mon patron fit le transfert sans que je ne reçoive les sous des mains du client. Tenez-vous tranquille, c’était un faux client. Comme il tardait à me remettre les sous et cherchait les moyens de fuir, j’ai crié et par finir, il a été arrêté et conduit au commissariat de police puis ensuite présenté au procureur. Le jour du procès, mon patron n’était pas venu au tribunal. Il m’a laissé seule face à cette situation. Le criminel a été jugé et condamné à 18 mois de prison ferme le 12 avril dernier. Finalement, mon patron s’est retourné contre moi en me jetant l’opprobre pour avoir amené la situation aussi loin que ça », raconte la jeune femme qui est en passe de perdre ce job simplement parce qu’elle a refusé d’aller au sexe avec son seigneur, marié et père de trois enfants.
Le cas de Raïssa est assez pensé et réfléchi. Elle a commencé par recevoir de petits cadeaux de la part de son chef. Au début, elle n’avait pas compris que le revers de la médaille était la prochaine étape. Invitée dans le bureau de son maître dans une soirée, elle a été surprise de voir son patron se déshabiller devant elle et l’invitant à passer à l’acte. Vaille que vaille elle s’en est sortie victorieuse, selon ses confidences. En conséquence, « les conditions de travail sont davantage corsées et je n’ai pas la paix du cœur depuis ce temps. J’attends la fin de ce mois pour déposer le tablier et aller me chercher ailleurs », annonce-t-elle.
Malheureusement, ce spectacle est commun à presque tous les jeunes entrepreneurs, chefs d’entreprises ou encore ceux qui se retrouvent à une place stratégique dans une institution donnée. Malencontreusement, plusieurs jeunes femmes diplômées ont sauvegardé leur job après avoir donné le sexe à ces patrons chez qui la libido a dépassé le seuil de la norme. Ainsi, ils étanchent leur soif de s’envoyer en l’air à travers leurs employées. Un spectacle désolant qui fait froid dans le dos. Sur la quinzaine de jeunes femmes approchées dans le cadre de la réalisation de ce papier, plus de la moitié a avoué, avoir au moins une fois couché avec leur patron afin d’être plus en sécurité au sein de l’établissement. Résultat, des regrets ! Dans le lot de celles qui ont avoué, il y a regret, amertume, grincement de dents et bien d’autres. « Je pensais rester interminablement dans l’entreprise après avoir accepté les avances de mon patron. Mais je ne suis pas restée pendant longtemps comme convenu. Mieux, il m’a traité de pute après avoir abusé de moi. Je regrette amèrement », expose une d’entre elles.
La semaine dernière, un vaste réseau de harcèlement et d’escroquerie a été démantelé dans la Zone industrielle de Golo-Djigbé (Gdiz). En effet, des agents vicieux ont abusé de la détresse émotionnelle des filles et des femmes qui sont à la recherche d’emplois. Fort heureusement que certains de ces piètres et immoraux employés dans cette grande firme du Bénin, comme l’informe le quotidien Le Potentiel, sont désormais sous mandat de dépôt. Sur la question, Angela Kpéidja n’est pas restée muette. Elle a désapprouvé cette pratique sur sa page Facebook, le vendredi 26 avril 2024 dernier. « Que deviennent nos filles et ces femmes harcelées, escroquées ? La vérité c’est que ce genre de situation est source de traumatisme psychologique. Cette dernière vous fait perdre votre estime de soi et votre détermination à chercher du travail ! En plus, il faudra des années pour que justice soit rendue. Pendant ce temps, qui s’occupe des victimes ? Qui pense à leur équilibre psychologique, social et économique ? », se désole la journaliste. Bien au contraire, poursuit-elle, les portes de la prison ouvertes aux auteurs de ces cruautés sont pour les survivantes une autre équation à résoudre. « Les pressions et le sentiment d’être la raison de la condamnation du bourreau ne leur laissent aucun répit », conclut-elle.
Entretien avec le Joël Tchogbé, Sociologue : « Il faut travailler à une résurrection des valeurs de la sacralisation du sexe »
Le constat est alarmant sous nos cieux. Des jeunes filles ou femmes après avoir obtenu un job sont encore confrontées à d’autres réalités dont le sexe. Dites-nous, qu’est-ce qui peut amener un employeur à demander un tel service à son employée ?
Le constat est effectivement alarmant en milieu professionnel ou de travail. Il est de plus en plus courant de constater, remarquer cette forte prédominance du goût pour le sexe en milieu de travail. De plus en plus, on observe effectivement qu’entre patrons et employées, l’objectif premier pour lequel ils se retrouvent en milieu de travail est écarté et on se retrouve dans un espace de travail qui finalement est transformé en un marché où le sexe devient un objet comestible, un objet marchand. Donc le lieu de travail, parce que le patron développe ces vices, développe les goûts et les préférences pour le sexe, parce que peut-être aussi l’employée, elle aussi a une forte préférence pour le sexe qu’elle peut utiliser pour parvenir à d’autres fins à savoir obtenir des promotions, obtenir des échelons, des avancements ou un quelconque avantage. Le sexe devient dès cet instant, l’élément qui se retrouve à l’épicentre des relations entre patrons et employées. Et la plupart du temps on me dira que ce sont les patrons qui fondamentalement font ce chantage sexuel aux employées. Et quelque part aussi on serait d’accord parce qu’au fond ce sont des rapports hiérarchiques et de dominations entre un patron et sa collaboratrice, subalterne. Cette relation de dominée et de dominant favorise aussi le fait que les patrons ont une certaine ascendance en ce type de marché du commerce sexuel. Parfois, ça peut être approuvé des deux camps. Ils s’entendent autour de cet échange commercial autour du sexe : « Tu me donne le sexe, je t’ouvre les portes de la promotion ». « Si tu refuses, j’utilise mes pouvoirs pour te mettre à la porte ». En gros, c’est le déclin des valeurs qui fait qu’un employeur demande cette prestation à son employée. C’est aussi l’élévation du vice comme norme qui explique ces déviances que nous observons. Les rapports que nous avons en matière de sexe dans les sociétés d’hier ne sont plus forcément les mêmes que les plus jeunes générations ont aujourd’hui. Et donc si le sexe est disponible à plein temps et que l’on peut l’offrir à qui l’on veut et parfois à vil prix, le sexe quitte le domaine du sacré et tombe dans le domaine du profane.
Nous avons rencontré quelques jeunes femmes qui sont victimes de ces cas. Et selon leurs confidences, dès qu’elles refusent, elles ne sont plus les bienvenues. Comment le sociologue explique cet état de chose et quels peuvent en être les inconvénients ?
Cette expulsion du milieu de travail n’est que le produit de réaffirmation d’un pouvoir. L’employeur est dans un monopole de pouvoir vis-à-vis de l’employée. Et les employées en sont tellement conscientes. Voilà pourquoi, ne pas céder à un droit de cuissage dans le lieu de travail, si l’employée ne sait pas s’y prendre, n’utilise pas astuces pour subtilement éviter de compromettre forcément sa dignité dans le seul but de préserver son travail et ne fait pas recours automatiquement à l’armure que constitue l’arsenal juridique qui protège la femme en milieu de travail, elle est amenée à céder. Et si elle ne cède pas, le patron va profiter des vulnérabilités en termes de déficit de connaissance de ses droits de travailleuse dans l’entreprise et des aptitudes à avoir pour échapper au gourou, pour la contraindre à avoir satisfaction ou à défaut, commettre un abus de fonction en la mettant tout simplement hors de l’espace de production.
Des palliatifs existent-ils pour contrer ce ‘’mal’’ qui gangrène la société ?
Bien entendu ! Il faut travailler à une résurrection des valeurs éducatives, des valeurs de la sacralisation du sexe. Et cela concerne à la fois l’homme et la femme. Il faut savoir que les hommes et les femmes dans ces institutions n’y viennent pas le cerveau vide. Ils viennent avec des vécus, des expériences qu’ils trainent depuis chez eux. Les vices que nous développons en entreprise ne sont pas forcément exclusivement des produits de cet environnement. Il y a des vices que nous trainons au quotidien et que nous importons dans l’établissement. Donc ces comportements ne sont pas forcément acquis en milieu de travail. Et si tout le monde considère le sexe comme banal, ce n’est pas prêt pour que demain ce dont nous parlons puisse s’arrêter. Mais si et l’homme et la femme sont attachés à ces valeurs et savent que le sexe n’est pas un élément qu’on peut utiliser pour parvenir à ces fins fâcheuses, je pense qu’on peut conjuguer ce phénomène au passé. Il faut aussi accélérer la répression pénale et que les plus vicieux, les plus véreux, répondent de leurs actes devant la loi.
Réalisation : Mahussé Barnabé AÏSSI (Coll.)
- 2 octobre 2024
- 1er octobre 2024