Saturnin Viatonou à propos de la dépigmentation : « Cela peut causer un amincissement de la peau et des anomalies chez le nouveau-né si elle est pratiquée pendant la grossesse »

18 août 2022

Le phénomène de la dépigmentation, devenu monnaie courante de nos jours, n’exprime que le besoin de détournement pour attirer l’attention sur soi et compléter son arsenal de séduction. Saturnin Viatonou, dermatologue, à travers cet entretien, a mis en avant les risques destructeurs de la peau qu’encourent les amoureux de cette pratique.

Comment peut-on comprendre le phénomène de la dépigmentation de la peau ?
Le phénomène ou le mécanisme de dépigmentation de la peau s’explique par l’application de produits chimiques qui empêchent la synthèse de la mélanine ou provoquent une desquamation cutanée. C’est ainsi qu’une peau de couleur foncée ou de phototype VI devient claire. La mélanine fait partie des facteurs qui déterminent la couleur de la peau à savoir : la circulation sanguine cutanée qui donne une couleur plus ou moins rouge, le contenu en carotène de la peau pour une couleur plus ou moins jaune et le taux de mélanine contenu dans la peau avec une couleur plus ou moins noire ou foncée. Aussi, le taux de mélanine que nous avons dans notre peau dépend-il des facteurs génétiques et environnementaux liés au rayonnement ultraviolet dû à l’exposition au soleil qui augmentent la synthèse de la mélanine et des facteurs hormonaux. Certains processus inflammatoires de la peau y contribuent.

Pourquoi sentir le besoin de se dépigmenter, selon vous ?
On pourrait à première vue supposer que le besoin de s’éclaircir la peau pourrait être dû à un mimétisme des mélanodermes de phototype I, à titre de conséquence de l’aliénation culturelle suite à la colonisation. Sur le plan scientifique, ceci pourrait être simplement lié aux propriétés physiques des couleurs. Un corps de couleur blanche renvoie une grande partie de la lumière qu’il reçoit. C’est pour cela qu’il se présente ainsi. Alors qu’un corps de couleur noire absorbe toutes les longueurs d’ondes contenues dans la lumière qu’il reçoit. Ce qui fait que tout ce qui a tendance à être clair est plus facilement remarqué par la vue, attirant ainsi plus l’attention et le regard humains. Le besoin de se dépigmenter est donc un détournement de cette propriété naturelle des couleurs pour attirer l’attention sur soi et ainsi compléter l’arsenal de séduction classiquement utilisé. Le succès apparent de ces méthodes est ainsi devenu une mode. Il faut remarquer cependant que certaines personnes n’ont pas l’intention initiale de blanchir leur peau mais plutôt celle d’uniformiser leur teint devant des taches brunes, de l’acné ou une infection cutanée. En utilisant ces produits en automédication, elles courent le risque d’en subir les effets adverses.

La dépigmentation a forcément des implications. Quels risques celui qui s’adonne à cette pratique encourent-ils ?
Il existe de réels dangers de santé pour une personne s’adonnant à cette pratique. Les produits habituellement utilisés sont : l’hydroquinone ou benzène-1,4-diol, le mercure, les dermocorticoïdes. Ces produits peuvent entraîner un assombrissement ou un trop fort éclaircissement de la peau. Aussi, peuvent-ils causer un amincissement de la peau, des vaisseaux sanguins apparents, des cicatrices, des atteintes des reins, du foie ou des nerfs et des anomalies chez le nouveau-né s’ils sont utilisés durant la grossesse. L’hydroquinone ou benzène-1,4-diol agit par une destruction des mélanocytes qui sont des cellules de la couche inférieure de l’épiderme et produit les mélanomes et la mélanine entraînant un blocage enzymatique donnant naissance à de nombreux dérivés toxiques. Les conséquences en sont l’apparition d’eczéma de contact, des irritations lors d’applications répétées, des taches sombres et définitives, une coloration bleu noire de la peau avec un aspect rugueux, une mauvaise odeur corporelle à type d’odeur de poisson et un risque de cancer. Les corticoïdes quant à eux ont des effets anti-inflammatoires, immunosuppresseurs, pro apoptotiques par induction de la mort cellulaire, antiprolifératifs sur les kératinocytes, les mélanocytes et les fibroblastes qui synthétisent le collagène. Les conséquences sont une atrophie épidermique, réversible avec une fragilité cutanée, un retard de cicatrisation des plaies et une hyper- ou hypo-pigmentation, une atrophie du derme en partie irréversible avec des vergetures, hypertrichose ou excès de pilosité ou des pseudo-cicatrices stellaires blanches. On peut aussi citer des infections mycosiques, bactériennes et virales par leur effet immunosuppresseur, des atteintes vasculaires s’exprimant par un purpura, des ecchymoses, des télangiectasies et un érythème permanent. La cortico-dépendance est fréquemment citée.

Comment peut-on corriger le tir chez quelqu’un sur qui la dépigmentation a mal tourné ?
Quand ça tourne mal, il est préférable de consulter un dermatologue voire un médecin interniste car les conséquences peuvent bien aller au-delà de ce qui est observé au niveau de la peau. Le praticien conseillera un arrêt immédiat de produits comme une crème à base d’hydroquinone, ou d’autres produits de dépigmentation dangereux, avec un arrêt progressif des produits à base de corticoïdes pour éviter tout phénomène de cortico-dépendance ou de rebond. Il proposera un protocole personnalisé selon le contexte.

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La dépigmentation de la peau, en suivant la mode dans un souci d’esthétique, est un leurre optique qui peut conduire à un cercle vicieux par une application abusive de produits toxiques très dangereux pour la peau et l’organisme. Il est alors intéressant de remarquer qu’il y a d’autres atouts pour améliorer son esthétique notamment les atouts intellectuels, vestimentaires, physiques, relationnels et communicationnels. La meilleure solution c’est de ne pas suivre la mode qui conduit à la dépigmentation de la peau, un problème de santé public qu’il est important de prévenir en intervenant auprès des adolescents afin de les sensibiliser aux risques que ce phénomène comporte. Enfin, il est préférable d’être prudent car le contenu des pommades et crèmes n’est pas toujours précisé sur les notices des produits achetés sur des marchés non sécurisés.
Propos recueillis par Ornelle Tété Kotin (Stag)



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