Tinos Noé Anago, développeur web et activiste environnemental : “Les gens ignorent le côté pollueur du digital”

11 avril 2023

Développeur web, fondateur de NerdX Digital, la première start-up spécialisée dans le Green IT et l’éco-conception web en Afrique, Tinos Noé Anago a passé en revue les impacts des technologies numériques sur l’environnement. Identifiant quelques pistes de solutions dans cet entretien, ce passionné de la nouvelle technologie reste convaincu que seule l’innovation peut venir à bout de certains problèmes environnementaux les plus urgents.

Vous avez présenté une communication sur le numérique et ses impacts sur l’environnement et la santé le 24 mars dernier à Cotonou. Qu’en est-il réellement ?

Effectivement, j’ai récemment présenté une communication sur ce sujet, car il est important de prendre conscience et de faire prendre conscience aux autres des impacts que le numérique peut avoir sur l’environnement. Nous avons remarqué que plusieurs sont ceux qui ignorent encore le côté pollueur du digital. En effet, l’utilisation massive de technologies numériques peut entraîner une augmentation de la consommation d’énergie, des déchets électroniques, etc, et, par conséquent, une augmentation des émissions de gaz à effet de serre, de pollution et plus d’effets du changement climatique.

Quels sont ces impacts sur l’environnement et sur la santé de l’homme en particulier ?

Les impacts du numérique sur l’environnement sont significatifs, et nombreux. Selon une étude menée par The Shift Project en 2019, le secteur numérique était responsable de 4% des émissions mondiales de gaz à effet de serre, avec une consommation énergétique s’élevant à 150 TWh soit autant que l’ensemble de l’aviation civile.
En ce qui concerne la santé humaine, une étude publiée dans la revue Environmental Science and Technology en 2018 a montré que les particules fines émises par les serveurs informatiques peuvent causer des problèmes respiratoires chez les personnes travaillant dans des centres de données.
De même, l’utilisation excessive du numérique peut avoir des effets négatifs sur la santé physique et mentale. Par exemple, une étude de 2021 menée par l’Université de Californie à San Francisco a révélé que l’utilisation excessive des réseaux sociaux peut entraîner des troubles du sommeil et de l’humeur chez les adolescents. De même, l’exposition à la lumière bleue émise par les écrans peut affecter la qualité du sommeil et entraîner une fatigue oculaire. De plus, la production et la consommation d’appareils électroniques génèrent des déchets électroniques, qui peuvent avoir un impact négatif sur l’environnement et le sol en raison de la présence de substances toxiques et de la difficulté de les recycler. De plus, la consommation d’énergie nécessaire au fonctionnement des serveurs et des centres de données peut également avoir un impact négatif sur l’environnement. Selon Greenpeace, le secteur du numérique pourrait représenter 20% de la consommation mondiale d’électricité d’ici 2025.

Comment se manifestent ils sur l’environnement ?

Les impacts environnementaux du numérique se manifestent de plusieurs façons. Tout d’abord, la production, l’utilisation et l’élimination des équipements électroniques tels que les ordinateurs, les téléphones portables et les tablettes génèrent des déchets électroniques qui peuvent être nocifs pour l’environnement s’ils ne sont pas correctement gérés.
De plus, les centres de données nécessaires pour stocker et traiter les données consomment énormément d’énergie et émettent du CO2, ce qui contribue au changement climatique. Selon une étude menée par Greenpeace en 2020, les centres de données mondiaux consomment environ 2000 milliards de kilowattheures par an, soit plus que la consommation énergétique annuelle de certains pays. Enfin, la numérisation des processus a également un impact environnemental indirect en augmentant la consommation des ressources telles que l’eau, les matières premières et les énergies fossiles nécessaires pour la fabrication et l’utilisation des équipements électroniques. Ces impacts environnementaux du numérique sont donc multiples et doivent être pris en compte dans la recherche de solutions durables pour limiter notre empreinte environnementale.

Ces impacts sont aussi néfastes que ceux issus de la pollution des usines ?

Il est difficile de comparer directement les impacts de la pollution numérique à ceux de la pollution industrielle, car ils ont des effets différents sur l’environnement et la santé humaine. Cependant, il est indéniable que la pollution numérique a un impact significatif sur l’environnement et la santé humaine. Par exemple, la production de nos appareils électroniques (tels que les smartphones et les ordinateurs) requiert l’extraction de matériaux tels que le cobalt et le lithium, dont l’extraction peut causer des dommages environnementaux considérables, en perte de biodiversité ainsi que d’appauvrissement des sols.
Donc, bien que la pollution numérique ne soit pas directement comparable à la pollution industrielle, elle a un impact significatif sur l’environnement et la santé humaine, et doit être prise en compte dans les efforts de protection de l’environnement.

Pourquoi cette pollution provient du numérique ?

La pollution numérique est liée à plusieurs facteurs, notamment la croissance rapide de la demande de données en ligne, l’obsolescence programmée des appareils électroniques, et la consommation énergétique importante des centres de données. De plus, la production de certains composants électroniques, comme les métaux rares utilisés dans les batteries, les écrans et les circuits électroniques, peut également avoir un impact significatif sur l’environnement. La conception des solutions numériques ne prennent pas en compte dès le départ l’éco-conception web.
Prenons l’exemple de l’obsolescence programmée. Les entreprises technologiques incitent souvent les consommateurs à acheter de nouveaux produits plus rapidement que nécessaire, en ne prenant pas en compte la durée de vie réelle de leurs appareils. Apple, par exemple, a été accusée d’inciter les consommateurs à acheter des appareils plus récents en ralentissant intentionnellement les anciens modèles. De plus, les appareils électroniques ont souvent une durée de vie limitée, avec des mises à jour logicielles qui rendent les anciens modèles obsolètes et des batteries qui ne peuvent pas être remplacées facilement.
En résumé, la pollution numérique est due à plusieurs facteurs, y compris la croissance de la demande de données, l’obsolescence programmée des appareils électroniques, la consommation énergétique des centres de données, la conception traditionnelle des solutions numériques et la production de certains composants électroniques.

Que faire alors pour endiguer ce phénomène ?

Des solutions existent pour réduire l’impact environnemental du numérique. Par exemple, l’éco-conception des services et des produits numériques peut réduire la consommation énergétique et les émissions de gaz à effet de serre. Les data centers peuvent être alimentés par des énergies renouvelables, tandis que le recyclage et la réutilisation des équipements informatiques peuvent réduire la quantité de déchets électroniques générés. En outre, l’utilisation de logiciels libres et l’optimisation des équipements peuvent également réduire la consommation énergétique et prolonger la durée de vie des équipements. Il y aussi plusieurs autres solutions. Il s’agit surtout de réduire la consommation d’énergie des appareils électroniques. Cela signifie que les fabricants peuvent intégrer des composants électroniques plus économes en énergie et les utilisateurs peuvent adopter des comportements éco-responsables tels que l’utilisation de modes d’économie d’énergie et l’extinction des appareils non utilisés. Il faut favoriser le recyclage des équipements électroniques en fin de vie : les entreprises peuvent mettre en place des programmes de collecte et de recyclage des appareils électroniques obsolètes afin d’en récupérer les matières premières et de réduire la quantité de déchets électroniques.
Il est également primordial d’éncourager l’économie circulaire : les entreprises peuvent repenser leur modèle économique pour favoriser la réutilisation et la réparation des produits électroniques plutôt que l’achat de nouveaux appareils. Par exemple, des entreprises comme Back Market ont lancé une plateforme de vente en ligne de produits électroniques reconditionnés.
Les utilisateurs aussi doivent être sensibilisés. Dans cette perspective, les gouvernements et les entreprises peuvent lancer des campagnes de sensibilisation pour encourager les utilisateurs à adopter des comportements éco-responsables tels que l’extinction des appareils non utilisés et la réduction de la consommation de données.

Votre mot de la fin !

Pour terminer, je dirai qu’il est essentiel de prendre en compte les impacts du numérique sur l’environnement et la santé humaine, et de commencer pas promouvoir des solutions pour limiter ces impacts. Les initiatives telles que l’éco-conception web et la transition vers des sources d’énergie renouvelables sont des étapes importantes pour y parvenir. Les solutions existent déjà pour réduire cet impact, mais cela nécessite la participation de tous les acteurs du secteur, notamment les entreprises, les gouvernements et les consommateurs. En prenant des mesures concrètes pour réduire notre empreinte numérique, nous pouvons contribuer à un avenir plus durable et plus respectueux de l’environnement.

Propos reccueillis par Joël SEKOU (Coll)



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