VOIX D’HOMME : L'Imam Izi-Chérif Inoussa : « L'autonomisation des femmes exige un accompagnement pas toujours effectif »

31 mars 2023

Ancien directeur de la Grande blanchisserie du Bénin, Izi-Chérif Inoussa est l’Imam de la mosquée centrale de Cococodji depuis 23 ans. Ex-directeur technique de la Société de pansement du Bénin (Sopab), l’ancien coordonnateur-censeur du complexe scolaire de la cité "Vie Nouvelle" est vice-président du collège des imams du Bénin Atlantique-Littoral. Professeur de mathématiques, chevronné de la pédagogie par objectif maintenant à la retraite, celui qui est suivi-évaluation du projet ‘’Les leaders religieux s’engagent’’ prend la parole ici au sujet de la femme.

Quelle est la place de la femme dans la société béninoise actuelle ?

La femme occupe une place importante. Je ne suis pas de l’avis qui dit qu’elle est reléguée à l’arrière-plan. Dans les couvents, dans les maisons, dans la société en général, les femmes ont leurs rôles à jouer. Sur leurs épaules, repose la charge du bien-être des maisons. Dans la mosquée centrale de Cococodji, les fonctions de Secrétaire générale, de Chargée de mission et de Président de groupe de prières sont occupées par des femmes. Au Bénin, les femmes sont vaillantes, leaders et entreprenantes. Elles ont toujours œuvré pour leur autonomie et continuent de le faire. Cela ne doit pas exclure le respect de l’homme. Tout ce que veut l’homme, c’est qu’on le respecte.

Qu’est-ce qui fait la beauté d’une femme selon vous ?

La vraie beauté d’une femme est au-delà de son physique. Elle réside dans son comportement et ses propos. C’est fondamental. Ce n’est pas pour rien que les femmes aux mauvais comportements font fuir les hommes, même si elles sont très belles.

- Egalité homme-femme ! Qu’en pensez-vous ?

Parlons plutôt d’équité. La vraie égalité n’est pas possible car le créateur lui-même nous a faits différents depuis la genèse. Dans la sphère familiale, quand un homme a plusieurs épouses, il ne peut les traiter véritablement de façon égale mais plutôt de façon équitable en tenant compte des besoins de chacune. Avoir plusieurs épouses n’est pas une obligation pour le musulman. Mon cas en est une preuve. Je suis monogame. Selon l’islam, l’homme doit doter sa femme à la hauteur de ses moyens. Il doit la prendre sous son toit et subvenir à tous ses besoins peu importe les richesses et le travail de la femme. Sa contribution aux charges du foyer n’est pas obligatoire. Elle a le droit d’avoir ses propres biens. Dans le cadre associatif et professionnel, il ne suffit pas d’avoir le même nombre d’hommes et de femmes. La quête de la parité doit prendre en compte la compétence des deux genres. C’est leur compétence qui permettra aux femmes de se faire les places qu’elles désirent. C’est la raison pour laquelle les filles doivent aller à l’école et aller loin dans les études et la formation. La nécessité de la compétence est tout aussi valable en politique.

A compétences égales, certains affirment qu’il faut préférer la femme à l’homme. Quelle appréciation en avez-vous ?

Ce serait l’idéal car la femme a toujours incarné la valeur. On a d’elle l’image de l’être très responsable et presqu’incorruptible. Malheureusement, cette image s’effrite de plus en plus. Au cours des récentes arrestations de cybercriminels dans notre pays, nous avons découvert avec surprise l’implication de femmes et même en tant que chefs de réseaux de cybercriminels. C’est pour dire que les femmes aussi ont commencé par porter des contre-valeurs. A compétences égales entre homme et femme, je procéderai à un tirage au sort.

- Vous même, êtes homme et auriez pu affronter quelque part la frustration basée sur le genre. Aujourd’hui vous pouvez peut-être en rire, mais au moment des faits, vous auriez pu mal le vivre.
Partagez avec nous une histoire que vous avez vécue.

Il ne m’est même pas venu à l’esprit d’établir ce lien dans les situations qu’il m’est arrivé de vivre avec les femmes. Néanmoins, je vais partager avec vous une situation qui m’a choqué. C’était en temps de carême comme nous le sommes d’ailleurs actuellement. J’ai initié une collecte de vivres avec un groupe de prières de femmes. J’avais donné des consignes pour qu’au retour tous les vivres collectés soient mis ensemble et répartis équitablement entre ceux qui ont pu répondre présents à la collecte et ceux qui n’ont pu. Ce qui n’a pas été fait. Chacun est rentré avec ce qu’il avait collecté ne consentant pas à partager avec les absents le fruit de sa collecte. En tant que dirigeant, c’est une situation que je n’ai pas appréciée.

Que diriez-vous à :

- votre fille maltraitée par sa belle-mère ?

Je dirai à ma fille de traiter sa belle-mère comme sa propre mère, que celle-ci se comporte bien ou qu’elle soit jalouse, mal intentionnée ou même sorcière. Elle n’aurait pas existé que son époux n’aurait pas existé. Une belle-mère est capable de diviser le couple de son fils. C’est ce pourquoi ma fille doit en faire une alliée. Elle doit lui témoigner de l’amour et lui faire profiter de l’affection de son fils et de ses petits-enfants. Une chose importante est que je m’intéresserai à l’attitude de son époux. Comment réagit-il face à la situation ? En ce sens, le dialogue dans le couple est indispensable pour savoir comment se tenir en présence de la belle-mère et ne pas monter fils contre mère, mère contre fils, époux contre épouse. Que les deux époux se souviennent que le paradis des enfants se trouve au pied de leur maman.

- votre neveu qui ne veut pas que sa femme travaille ou continue ses études ?

Nous ne sommes plus au temps du salon des dames. Il faut permettre à la femme de travailler ou d’étudier. Toutefois, l’expérience de la vie active a montré qu’il faut prendre des précautions pour que le travail ou les études de la femme mariée ne nuisent pas au couple et à l’éducation des enfants. L’argent qu’on cherche pour améliorer le quotidien ne peut à lui seul compenser l’absence des parents éducateurs. L’autonomisation des femmes exige un accompagnement qui n’est pas toujours effectif. Entre autres, les entreprises et services devraient penser à intégrer des garderies dans leurs locaux afin que les mères, rassurées, puissent être encore plus productives.

- votre voisin qui veut épouser une autre femme parce qu’il n’a eu que des filles avec la première ?

Ma réponse est toute trouvée car je n’ai eu que des filles. Je peux lui assurer que les femmes sont tout aussi capables que les hommes. Alors ce n’est pas la peine d’épouser une autre femme dans la perspective d’engendrer un enfant garçon. De plus, les femmes sont plus attentionnées vis-à-vis de leurs parents que ne le sont les hommes. Ceux-ci sont plus préoccupés par les responsabilités de leurs petites familles.

- votre employé qui rejette les méthodes d’espacement des naissances au nom de la religion ?

C’est une des thématiques principales sur lesquelles nous travaillons. Nous, leaders religieux, sommes pour l’espacement et l’organisation des naissances (et non pour la limitation des naissances). L’espacement et l’organisation des naissances permettent aux couples de mobiliser toutes les ressources nécessaires à l’épanouissement de chaque enfant sans tirer vers le bas la qualité de vie du couple. Chaque enfant qui nait est désiré pour ce moment. Sa naissance ne vient pas imposer des sacrifices qui ralentissent le train de vie de la famille. Il faut dire quand même que la sensibilisation des leaders religieux sur le sujet n’a pas été facile. Il a fallu chercher dans le Coran les passages qui soutenaient cette logique. Nous avons relevé que le prophète Mahomet avait conseillé le AZL (coït interrompu) à une femme qui avait conçu un nouveau bébé alors qu’elle attendait le retour des couches. Sur la base de cette recommandation du prophète, la sensibilisation a pu se faire en faveur des méthodes d’espacement et d’organisation des naissances. Il faut préciser que nous, leaders religieux ne sommes pas favorables aux méthodes irréversibles (ligature des trompes, vasectomie, …) sauf en cas de nécessité absolue constatée par un médecin qui a la crainte de Dieu. Dans la religion musulmane, l’espacement et la régulation des naissances ne sont promus que dans le cadre du mariage. Je ne saurais apporter ces précisions sur les autres religions. Selon mes connaissances, l’Eglise catholique n’est pas pour les méthodes modernes. Elle préfère les méthodes de régulation naturelle (observation de la glaire cervicale, le collier du cycle, la variation de la température, …). De leur côté, les religions endogènes ont recours à des moyens tels que les bagues et autres. Je dirai alors à mon employé de recourir aux méthodes qui lui sont proposées selon sa chapelle religieuse. Autrement, il peut pratiquer l’abstinence.

- une femme qui gagne plus d’argent que son mari ?

Ses biens sont les siens. Qu’elle en fasse un sage usage. Ce n’est pas parce qu’une femme occupe des postes élevés, détient de l’argent et du pouvoir qu’elle doit déconsidérer l’homme et estimer qu’elle peut se passer de lui. Elle doit respecter son mari. Dans le couple, l’arrogance et l’autosuffisance chez la femme sont des poisons qui peuvent conduire au divorce. L’homme et la femme doivent vivre dans la complémentarité. Tous deux doivent être humbles et avoir la crainte de Dieu. C’est ce qui fera leur bonheur et celui de la famille.

- votre petite-fille qui veut devenir leader religieuse ?

Elle peut l’être. Tout dépendra de sa religion. Elle devra se conformer aux exigences de sa religion, connaître véritablement les saintes écritures et les pratiquer.
 votre nièce qui veut divorcer parce que son époux a été infidèle ?
Faire une remise en cause aidera ma nièce. Elle pourra situer les responsabilités et identifier les siennes. Elle saura alors les correctifs nécessaires à apporter. Après, je lui dirai de dialoguer avec son époux sans s’énerver. Le couple idéal n’existe pas. Il s’agit de choisir un conjoint avec qui on peut se réconcilier après une dispute. Quitter son foyer ne lui garantit pas d’en trouver un meilleur ailleurs. En Islam, il nous est enseigné que le trône d’Allah tremble quand un foyer se brise. Même si le divorce est possible, la religion ne le recommande pas. Personnellement, je ne suis pas pour, encore plus si son époux répond bien à tous ses besoins et qu’elle a des enfants avec lui. Il lui revient d’être stratège en étant accueillante et serviable avec la maîtresse de son homme afin d’amener cette dernière à se retirer d’elle-même.

Propos recueillis par Fredhy-Armel BOCOVO (Coll)



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