Ministre de la Famille, de la Protection Sociale et de la Solidarité de 2001 à 2003, Ayaba Claire Houngan Epse Ayemonna est une magistrate béninoise à la retraite. Fondatrice de la Fondation Regard d’Amour, celle qui a pour nom d’artiste chanteuse Clara Maz, parle ici de la femme.
Quelle est la place de la femme dans la société béninoise actuelle ?
La question est très complexe et son développement peut remplir des pages. Toutefois, j’essaierai d’être brève en répondant que la femme dans la société béninoise occupe soit la place qu’on lui donne et dont elle se contente, soit la place qu’elle estime devoir occuper et qu’elle revendique à cet effet.
« Femme battante ! » L’expression est couramment utilisée. Selon vous, qu’est ce que c’est ?
La femme battante est celle qui est consciente de son rôle, de sa place dans la communauté, de ses potentialités ; elle se fixe des objectifs et œuvre avec intelligence, bravoure, foi, détermination, perséverance et les moyens dont elle dispose pour obtenir des résultats appréciables. Le Professeur THOMAS (Paix à son âme) distinguait les femmes battantes des femmes battues et des femmes batteuses avec la conclusion qu’il vaut mieux être dans la catégorie des femmes battantes que celle des femmes battues ou batteuses.
Le contenu de cette expression a-t-il évolué ?
Je pense que non ! Le contenu n’a pas évolué. Par contre, les moyens d’action évoluent dans le temps et dans l’espace. En famille ou dans la communauté, le combat d’aujourd’hui est différent de celui d’hier et le combat que feront nos enfants sera différent de celui que nous menons actuellement. La forme et les objectifs du combat évoluent en fonction des besoins du moment, en lien avec les exigences du développement et le dynamisme qui caractérise toute société.
Quel est votre avis sur la dot et votre appréciation sur son évolution ?
La dot a été dénaturée au fil du temps et son contenu actuel n’est plus en phase avec les exigences politiques, juridiques et socio-économiques de nos jours. Si hier, la dot était considérée comme un élément substanciel du mariage, aujourd’hui elle ne l’est plus. Mieux, la dot sans mariage civil n’améliore pas le statut socio-juridique de la femme et ne lui confère aucun droit matrimonial. La femme qui n’a eu que la dot reste devant la loi, une femme célibataire ou vivant en concubinage notoire avec un homme. En langage plus élégant, on parlera d’union libre ou de compagnonnage. Ni l’homme qui a payé la dot, ni la femme qui a accepté la dot, ne peut prétendre à aucun privilège résultant du mariage légal. Quand on se réfère même au sens premier de la dot qui représente le "prix de la femme" à qui on veut confier le rôle de procréation, d’entretien de la maison et de la famille, j’ai du mal à comprendre que de nos jours, une femme qui veut s’affranchir de la domination et de l’oppression de l’homme, qui revendique le respect et l’égalité de droit avec l’homme, se fait "acheter" par la dot en créant ainsi dès le départ de la vie à deux, une situation d’inégalité flagrante entre l’homme et la femme. S’accrocher à la dot, c’est vouloir continuer de chosifier la femme. Eu égard à tout ce qui précède, vous comprenez très aisément que mon avis sur la dot est très défavorable. Cet avis n’exclut pas la phase de connaissance de famille avant le mariage civil.
Pour mieux apprécier l’évolution de la dot et sa dénaturation, il faut rappeler les étapes du mariage traditionnel qui varient d’ailleurs d’une coutume à une autre. Dans la coutume fon, on distinguait trois étapes. La première étape est celle de la connaissance de famille, suivie de la petite dot et de la grande dot qui scelle l’union et permet d’accompagner la femme à son homme. Avec le temps, les deux dots sont jumelées et on assiste à des exagérations inimaginables et nuisibles souvent préjudiciables à la bourse du futur conjoint avec la complicité de la fiancée. En toute honnêteté, je pense que la connaissance de famille sans tapage ni trompette, avec la participation et la présence effective du garçon prétendant et de la fille, doit suffire pour aller au mariage civil avec la bénédiction des deux familles.
Que pensez-vous de la discrimination positive au profit de la fille en milieu scolaire ou de la femme en milieu professionnel ?
Dans un monde où l’on est en permanence en quête de la paix, du développement, de l’équilibre social, de l’égalité de tous sans distinction de race, d’ethnie, de religion, de sexe et d’équité, c’est sûr que la discrimination positive est une bonne stratégie pour atteindre ces objectifs. Aujourd’hui, quand on apprécie objectivement les droits et prérogatives des femmes et des hommes dans la société, la balance penche lourdement du côté des hommes et le déséquilibre est très perceptible. Le rééquilibrage impose donc des mesures de discrimination positive.
Quelle est l’impact de l’avancée technologique et des réseaux sociaux sur l’image de la femme ?
L’avancée technologique comme les réseaux sociaux présentent des avantages et des inconvénients et le tout dépend de l’usage que nous en faisons. Il y en a qui nous permettent de communiquer à moindre coût, d’être en contact permanent avec des parents, amis et collègues qui sont à des milliers de kilomètres, d’obtenir des services multiples avec une rapidité incroyable. Malheureusement, d’autres mal utilisés sont sources de dépravation, de délinquance, de dépression, de désintégration… Le tout dépend de l’usage qu’on en fait et pour limiter les dégâts, certains pays font une utilisation restreinte ou contrôlée de certains réseaux.
En tant que parents, nous devons nous intéresser à l’usage que font nos enfants et nos proches parents des réseaux sociaux et avoir le courage de leur dire la vérité sur les conséquences des choix avant qu’il ne soit trop tard. Beaucoup de parents responsables vont sur certains réseaux sociaux juste pour surveiller les publications de leurs enfants même adultes.
En raison de votre genre, vous auriez pu vivre une ou des situations qui vous a frustrée sur le coup et qui pourrai/en/t vous faire rire aujourd’hui avec le recul.
Partagez quelques-unes de ces situations avec nous.
Les situations de frustration, quels que soient nos activités et notre niveau d’étude, en tant que femme, nous en vivons constamment, tant dans le ménage que dans la société. Je ne voudrais pas parler de situations spécifiques mais des situations que vivent toutes les femmes tout simplement à cause de leur genre.
Dans le ménage, quand on vous impose à la fois le rôle de ménagère, de coursier, d’agent d’entretien, de cuisinière, de secrétaire de famille, de responsable d’approvisionnement, de gestionnaire du stock, d’économe, d’éducatrice des enfants, de formatrice des gens de maison, d’aide-soignante, de preneuse en charge de l’homme alors que vous avez aussi des charges professionnelles et des revenus qui vous permettent de contribuer aux dépenses du ménage, c’est frustrant et parfois très frustrant quand l’homme, le premier bénéficiaire de toutes ces actions ne reconnait pas vos efforts à sa juste valeur en vous facilitant les tâches d’une manière ou d’une autre.
Dans la vie de couple, si pendant que vous vous évertuez à faire preuve de fidélité et de loyauté, votre conjoint vous abandonne dans la solitude en ignorant vos envies pour sortir s’attabler autour des bouteilles de boissons avec des amis ou aller faire des virées nocturnes avec d’autres femmes, au risque de vous occasionner des infections sexuellement transmissibles, c’est frustrant et très frustrant.
Si pendant que vous avez juré devant les hommes et devant Dieu vous respecter et vous assister mutuellement, l’homme se soustrait de tout devoir de respect et d’assistance, trouve les moyens d’entretenir des maitresses hors ménage et vient encore vous infliger toute forme de violence par parole, par action et par omission, c’est très frustrant.
On peut multiplier les exemples dans le cadre professionnel et dans la vie en communauté. C’est dire qu’en tout temps et en tout lieu, la femme est constamment victime de violences basées sur le genre. L’essentiel pour la femme est de savoir en amont ce qu’elle peut faire pour prévenir ces genres de situations et si malgré tout, cela arrive, en aval savoir comment les gérer avec sérénité et responsabilité.
Que diriez-vous :
à votre amie qui protège son fils, auteur d’un viol ?
C’est toujours difficile de livrer les siens à la justice. Alors, je lui dirai que je la comprends mais que je ne peux pas la soutenir parce qu’elle doit pouvoir se mettre aussi à la place des parents de la victime pour apprécier. Il est temps qu’on éduque autrement les garçons pour qu’ils cessent de considérer la fille comme un objet de plaisir. Il faut aussi leur apprendre à faire un choix responsable en matière de sexualité en choisissant entre hypothéquer leur avenir en allant en prison pour viol et respecter la fille pour se protéger contre la délinquance juvénile.
à votre nièce, jeune magistrate qui aspire au mariage ?
Le magistrat homme ou femme qui aspire au mariage, quel que soit son âge, est suffisamment renseigné sur ses droits et devoirs et connait les dispositions préalables à prendre. Le problème se pose beaucoup plus avec ceux et celles qui n’ont pas une connaissance suffisante de leurs droits et devoirs. A ces femmes, je dirai trois choses :
o Quel genre d’épouse souhaiteriez-vous être : une femme financièrement dépendante, obéissante et soumise prête à être en permanence aux petits soins du conjoint ou une femme financièrement autonome qui inspire respect avec le droit d’émettre des avis ou d’exprimer une opinion relativement à la vie en famille et dans la communauté ?
o Même si vous ne devez pas faire un contrat de mariage, discutez de la manière dont vous voulez acquérir et gérer tous vos biens tout en sachant qu’au Bénin, le régime légal, en l’absence d’un contrat de mariage, est la séparation des biens. Cela présente des conséquences sur la constitution du patrimoine de chacun des conjoints et la participation aux charges du ménage. Il faut en discuter et ne pas vivre dans l’illusion d’un régime de communauté de biens qui n’existerait pas pour le regretter plus tard ;
o Si le futur conjoint ne pratique pas la même religion, il faut avoir le courage de discuter des attentes de chacun par rapport à l’autre et ensuite par rapport aux enfants à naître. La question de religion est une question qu’on banalise au départ quand les sentiments prennent le dessus mais qui finissent toujours par resurgir comme source de discorde pouvant conduire jusqu’au divorce.
• à un père qui n’a engendré que des filles ?
Aujourd’hui le plus important, c’est l’éducation que vous donnez à vos enfants. Un père qui n’a que des filles bien éduquées vit généralement mieux qu’un père qui n’a que des garçons mal éduqués.
• à votre petite fille de 22 ans qui est pucelle ?
Je lui dirai que je comprends qu’elle ait choisi l’abstinence pour se protéger contre les infections sexuellement transmissibles et une grossesse non désirée, que c’est un choix responsable. Mais, que si par extraordinaire elle doit passer à l’acte avant la célébration du mariage, de choisir un partenaire responsable et respectueux de la femme et que de commun accord, ils choisissent en toute connaissance de cause, la méthode de protection et de prévention de grossesse non désirée qu’ils jugent adéquate. Aujourd’hui pour raison d’étude et de chômage, les jeunes vont tardivement au mariage et c’est un contexte dont nous devons tenir compte dans une société où la loi autorise le mariage à 18 ans et que des études ont montré que la majorité des filles et des garçons ont leurs premiers rapports sexuels avant l’âge de 18 ans.
Propos recueillis par Frédhy-Armel BOCOVO (Coll)
La bourse du travail à Cotonou, a abrité ce jeudi 25 mai 2023, un (...)
- 25 mai 2023