Ecrivaine auteure de 10 ouvrages et journaliste de formation, Carmen Fifamè Toudonou est directrice adjointe de l’Institut parlementaire du Bénin. Réalisatrice du court-métrage Gnonnou et très intéressée par le cinéma, celle qui a soutenu une thèse de doctorat sur une approche historique et descriptive des galons dans les forces armées béninoises le mercredi 08 mars 2023, parle ici de la femme.
Quelle est selon vous, la place de la femme dans la société béninoise actuelle ?
C’est toute une thèse. Notre société reconnait théoriquement une place très importante sous certaines conditions. Les attentes à l’égard de la femme sont très fortes. Il y a peu, j’ai lu sur un réseau social un homme écrire qu’une bonne femme est celle qui sait se taire et subir en silence, qui ne rechigne pas même lorsqu’elle souffre. C’est de cela qu’il s’agit. On a cousu une camisole de force à la femme et on s’attend à ce qu’elle y entre. La situation est la même dans toutes les sociétés patriarcales africaines. Canari sur la tête, bébé au dos, fagots de bois à la main ;il y a cette image idéalisée de la femme africaine (répandue partout, même sur des peintures) qui en réalité associe femme et souffrance. Il n’y a pas de raison de sublimer une telle image. Quand vous jetez un coup d’œil à la littérature africaine, à partir du moment où les femmes y ont fait leur entrée, plus de 30 ans après les hommes, elles ont cherché à déconstruire cette image. Dans ce sens, on cite des romans comme Une si longue lettre de Mariama Bâ. Ce n’est qu’avec les femmes écrivains que les sujets comme l’excision, ont commencé par être abordés dans la littérature et que des changements positifs ont suivi. C’est une preuve de la nécessité de laisser les femmes prendre la parole car écrire, c’est aussi prendre la parole. Jusqu’alors les hommes étaient muets sur ces sujets. Comme quoi, la femme est considérée comme un avatar, un appendice de l’homme. A croire que l’être humain, c’est l’homme, et la femme, c’est juste un être à côté. Ce n’est pas une situation très valorisante. Si les nouveaux-nés à la maternité pouvaient prendre connaissance de la situation de la femme puis choisir leurs sexes, je pense qu’aucun d’eux ne voudrait être fille. On en attend trop des femmes et rien des hommes. Sur les réseaux sociaux par exemple, sur mille posts indiquant comment être une bonne épouse, vous n’en verrez aucun sur comment être un bon époux. Est-ce à dire qu’un homme est d’office un bon époux ?
Y-a-t-il égalité homme-femme selon vous ?
Il y a égalité homme-femme dans la loi au Bénin. Dans la vie active, c’est une autre affaire. Je ne parle pas d’une égalité homme-femme qui va amener les femmes à s’approprier les travers de notre société patriarcale. Je veux dire que si dans cette quête, les femmes doivent dominer et castrer les hommes comme le font les hommes avec les femmes, on n’est pas sortis de l’auberge. Nous risquons tout simplement de nous retrouver dans un cercle vicieux qui risquerait de ramener les hommes en position de force dans quelques siècles, ainsi de suite. Il faut amener les hommes à réfléchir autrement. Je suis heureuse de réaliser que de plus en plus, certains hommes changent de mentalité et remettent en cause le patriarcat. Hommes et femmes étant complémentaires, il n’y a pas d’égalité à rechercher. Cependant, cela ne veut pas dire que la femme est un sous-être dont dispose l’homme, être tout-puissant.
Que pensez-vous de la discrimination positive (au profit de la femme) ?
Les avis sont partagés et même des féministes s’opposent au système des quotas. Pour ma part, je pense qu’il faut apprécier au cas par cas. Prenons l’exemple des réformes qui ont permis que 28 femmes aient été élues à l’assemblée nationale de notre pays, je pense qu’il y a raison à se réjouir. C’est une avancée et j’espère que cela va rejaillir sur d’autres postes électifs et nominatifs. Depuis le bas âge, garçons et filles sont différemment conditionnés et cela agit négativement sur l’éclosion du potentiel des femmes. Les femmes, même celles qui en ont dans la tête, ont du mal à s’exprimer, à prendre des initiatives car elles n’y ont pas été préparées par l’éducation. C’est pour cela que je pense que ces femmes qui viennent d’être élues doivent être formées pour prendre entièrement leurs responsabilités de pionnières appelées à ouvrir la voie à un plus grand nombre de femmes au parlement par l’impact fort de leur législature. Ainsi ne donneront-elles pas raison aux misogynes qui voient en cette réforme, un cadeau tout fait à la gent féminine. Puisque nous parlons d’égalité, je pense à Françoise Giroud qui affirme que la femme sera l’égale de l’homme, le jour où à un poste de responsabilité important, l’on nommera une femme incompétente.
Une idée généralement répandue est que les femmes sont des louves pour les femmes. Qu’en pensez-vous ?
Même là, j’en reviens au conditionnement. Je me demandais ce qui opposait les femmes entre elles avant de découvrir le livre Sororité dont la lecture a été une révélation pour moi. J’ai compris qu’il y a un conditionnement qui amène les femmes à se prendre en adversité et se détester. Moi-même j’ai toujours préféré m’orienter vers un homme quand je pouvais choisir dans les administrations, l’agent à qui m’adresser. Alors, avec 32 femmes, j’ai entrepris de lancer le projet du livre Sororité chérie, preuve de ce que les femmes peuvent se mettre ensemble et concrétiser une vision. C’est aussi une façon de déconstruire l’idée selon laquelle les femmes sont des louves pour les femmes. Chaque femme devrait déconstruire ce conditionnement. Une illustration en est le contrat de mariage qu’il y a entre un homme et sa femme. Supposons que je suis la femme et que mon mari a une maitresse. Que cette dernière soit informée de mon existence ou pas, je n’ai pas à m’attaquer à cette femme qui n’a aucune obligation contractuelle envers moi. C’est plutôt à mon mari qui a un engagement avec moi que je m’attaque. C’est lui qui s’est montré disponible pour entretenir une relation avec cette femme qui peut-être ne cherche qu’à faire sa vie avec quelqu’un. S’en prendre à elle est une démarche incohérente, selon moi. Ce n’est qu’un élément qui m’amène à dire que les femmes ont été conditionnées à déplacer les problèmes. J’ai rencontré des femmes dans des pays occidentaux censés être avancés qui m’ont confié vivre les mêmes situations que des femmes béninoises. Les mentalités peinent à bouger et les femmes sont confrontées quasiment aux mêmes problèmes sur toute l’étendue de la terre. Déjà qu’elles subissent la permanente présomption d’incompétence, si des femmes décideurs leur ferment les portes de l’emploi, c’est une double perte. Les femmes devraient se souder les unes les autres autour des problématiques qui les unissent.
Avec le parcours qui est le vôtre, quelle est cette situation piquante que vous avez vécue simplement parce que vous êtes une femme ?
J’irai dans un sens plus large. Parce qu’il y a cette présomption d’incompétence, certains hommes ont tendance à être surprotecteurs à l’égard des femmes, croyant bien faire alors qu’ils les infantilisent. Comment qualifiez-vous une situation dans laquelle un homme veut expliquer à une femme ce qu’elle a elle-même conçu et produit ? Il me revient maintenant à l’esprit une situation que j’ai personnellement vécue. A la fin de ma formation en journalisme, j’ai demandé à une connaissance de la presse écrite de me recruter comme collaborateur externe, l’objectif étant de m’occuper, de m’exercer et de me faire connaitre. Dans ce cadre, j’écrivais des chroniques littéraires publiées aussi dans un forum whats’App où j’étais. Ce n’est qu’après les avoir lues, qu’un membre de ce forum m’a écrit inbox pour me féliciter et s’intéresser à lire mes 2 livres dont il connaissait pourtant l’existence. « Je ne savais pas que tu écrivais si bien. », est-il revenu me dire. Cela m’a fait sourire.
Que diriez-vous :
- à une femme de pouvoir ?
Je lui dirai de se former car les hommes de pouvoir continuent de se former. Ils sont nombreux dans les pays dits développés qui continuent de prendre les cours de diction et de prise de parole. Je lui dirai d’œuvrer à impacter positivement l’humanité car c’est la marque des Grands. C’est ce que la postérité retiendra d’elle.
- à un jeune puceau de 25 ans ?
J’ai compris avec le temps que dans la vie, il y a des étapes. Je connais des hommes qui sont restés puceaux simplement parce qu’ils ont manqué des étapes. Bien souvent, on ne peut plus revenir en arrière. Je dirai à ce jeune homme que c’est le moment de se jeter à l’eau.
- à votre fils de 09 ans ?
J’ai un neveu qui est quasiment mon fils depuis ses 09 ans. Je n’ai cessé de lui dire que les filles sont des êtres humains comme lui et qu’il faut les respecter. Lui aussi est un être humain qui doit se respecter et qui mérite du respect. Ce sont des choses qui ne se négocient pas.
- à une femme dont le conjoint refuse qu’elle travaille ?
Cette femme a opéré son choix. Je pense qu’il n’y a que deux êtres qui puissent nous empêcher de faire ce que nous voulons : Dieu puis nous-mêmes en ne nous donnant pas les moyens de le faire. Si une femme a envie de travailler, elle ne se met pas dans un mariage où son homme va l’en empêcher. Le faire, c’est choisir de ne pas travailler. Maintenant si l’homme vous a miroité une ouverture d’esprit qu’il vous laisserait travailler puis s’est ravisé une fois dans le mariage, vous avez encore le choix. Certains hommes vont jusqu’à payer des salaires à leurs femmes pour les dissuader de travailler. Le risque est gros pour ces femmes car elles se retrouvent dans une grande dépendance, ne serait-ce que pour acheter leurs propres sous-vêtements. L’autonomie, le pouvoir de répondre à ses besoins les plus basiques et à ceux de ses enfants est plus que précieux. Si le mari perdait de l’intérêt pour elle ou si, pour d’autres multiples raisons, il ne pouvait plus honorer cet engagement, ce sont elles qui seront dans le pétrin. J’en connais qui aujourd’hui en instance de divorce, sont devenues très amères. C’est décevant de coûter en investissement pour ses parents et de finir comme charges / poids dans la vie de son conjoint. Mais ce n’est que mon avis.
Propos recueillis par Frédhy-Armel BOCOVO (Coll)
La bourse du travail à Cotonou, a abrité ce jeudi 25 mai 2023, un (...)
- 25 mai 2023