Diplomate de formation et de carrière, Sanata Elisabeth Lahami est experte en conflit paix et sécurité ainsi qu’en gouvernance démocratique. Son expérience en tant que Chef service chargé des pays d’Afrique Centrale à la Direction de l’Afrique et du Moyen Orient, a été décisive dans son engagement pour la gestion des conflits. A la rencontre des autres, ses séjours dans les pays africains et d’ailleurs ont suscité son intérêt pour l’égalité du genre.
Frédhy-Armel BOCOVO (Coll)
Dans une lettre à l’homme
Cher homme,
C’est le cœur serré que je t’écris. Je peux affirmer que tu ne nous as pas comprises. La nature t’a bâti physiquement fort et avec ce moyen, tu n’as pas rechigné à mettre la femme sous ta protection. Tu t’en es fait un devoir, un trait saillant de ta masculinité, de ta virilité qui s’est malheureusement vite sentie menacée par le concept de l’égalité des sexes. A tort, tu as pensé qu’une concurrence était née entre la femme et toi.
Tu as entretenu et encouragé l’inégalité des sexes depuis la nuit des temps quelles que soient la société, la culture et ceci à travers le monde entier. En Ouganda par exemple, tu penses que : « Seule une femme éhontée peut traduire son mari en justice ». Autrement dit, tu dénies l’accès à la justice à la femme même quand les droits de celle-ci sont bafoués par son époux. Originaire des pays du golfe, tu estimes que seuls les hommes peuvent tout pourvoir à travers l’adage « les femmes demandent et les hommes répondent ». En Inde, tu as ta façon de te représenter la femme idéale : « vertueuses sont les filles qui souffrent et meurent sans dire mot ». Même quand tu es ressortissant des plus grandes démocraties qui prônent la défense des droits de l’Homme comme les Etats - Unis, tu penses qu’« une femme sage est deux fois idiote ». Serait-il inutile voire nuisible que la femme acquière la connaissance ?
Malgré tous les efforts, les mécanismes de protection et de promotion de la femme qui ne cessent de prôner l’égalité des sexes, homme, tu tardes à reconnaître que la femme a les mêmes droits que toi.
Au Benin par exemple, au terme de l’article 26 de la Constitution du 11 décembre 1990 : « L’État assure à tous, l’égalité devant la loi sans distinction d’origine, de race, de sexe, de religion, d’opinion politique ou de position sociale. Mieux, cette constitution prévoit que la loi est en mesure de fixer des dispositions spéciales capables d’amélioration la représentation du Peuple par les femmes. (ex : l’article 144 du code électoral qui a réservé spécifiquement 24 sièges aux femmes à l’Assemblée Nationale).
En plus, la promulgation en décembre 2021 de la loi modifiant et complétant la loi portant code des personnes et de la famille, de même que la loi modifiant et complétant la loi relative à la santé sexuelle et à la reproduction et la loi portant dispositions spéciales de répression des infractions commises en raison du sexe des personnes et de protection de la femme entre autres dispositions, en République du Bénin, paraît ouvrir une ère nouvelle : « celle d’une discrimination positive et potentielle en vue d’assurer la protection et la promotion de la femme ».
Mais à l’épreuve de la pratique, l’indice du taux de participation entre l’homme et la femme est à plus de 60 pour cent. Ceci est dû au patriarcat qui est la source de cette inégalité qui continue de dicter sa loi, caractérisée par l’hégémonie de la masculinité, un système dans lequel seul toi détiens le pouvoir principal sur la femme au niveau politique, civil, religieux, juridique et économique, en plus de l’autorité sociale et culturelle dominante. Pourtant ce patriarcat n’est pas le résultat d’attributs naturels ou biologiques mais des attributs socialement construits et parfois même biaisés, soutenus par l’ensemble des privilèges discriminatoires à l’égard de la femme.
De même tu dois te rendre à l’évidence que ces rôles définis pour les hommes et les femmes ne sont pas fixes, il s’agit de conceptions qui peuvent évoluer et évoluent effectivement au fil du temps. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle le concept de défense de l’égalité des sexes est conçu pour examiner les systèmes de subordination, de domination et comprendre la façon dont ces systèmes sont socialement construits. Car les rôles, responsabilités, normes, attentes et stéréotypes liés au genre qui s’appliquent aux hommes et aux femmes de manière différente ont une incidence directe sur les relations de pouvoir au sein de la société, telles que la division du travail et les structures décisionnelles. Ainsi, les stéréotypes transmettent et renforcent ces idées et ces attentes au détriment des femmes.
D’où l’émergence des mouvements féministes. Mais loin d’être une concurrence entre la femme et toi, homme, le féminisme fait référence à la croyance en l’égalité sociale, politique et économique des sexes ; et l’idée que chaque individu est un être humain précieux et doit jouir de ses propres droits.
Le but du féminisme est de mettre davantage l’accent sur les femmes avec pour objectif de revoir la façon de considérer l’histoire, la société, la littérature, etc. afin de prendre en considération l’approche genre dans nos cultures.
Homme, l’émergence du féminisme africain souligne la volonté des femmes à jouer un rôle dans la détermination pour le développement. Les femmes africaines veulent pouvoir donner leur opinion sur les élections, les coups d’états, les bouleversements politiques, les mouvements de réfugiés, les récessions économiques, l’ajustement structurel et d’autres crises qui ont gravement affecté leur vie depuis les années 1980. En le faisant, elles affirment leur identité propre tout en transformant les notions sociétales de genre et des rôles familiaux.
Par conséquent, le concept de l’égalité des sexes, loin de t’opposer à la femme, fait référence à l’égalité des droits et des chances de la femmes et de l’homme, de la fille et du garçon. L’égalité ne signifie pas que la femme et toi deviendrez identiques, mais que les droits, les responsabilités et les possibilités de l’un et de l’autre ne dépendront plus du fait que vous soyez nés fille ou garçon. L’égalité des sexes implique que tes intérêts, tes besoins et ceux de la femme soient pris en compte, en reconnaissant la diversité des différents groupes de femmes et d’hommes. L’égalité entre les sexes n’est pas une question réservée aux femmes. Elle doit te concerner et tu devrais t’impliquer pleinement autant que la femme. L’égalité entre la femme et l’homme est à la fois une question de droits de l’homme et une condition préalable — ainsi qu’un indicateur — du développement et de la sécurité durables et axés sur les personnes.
La défense du concept de l’égalité des sexes a pour objectifs : la participation équitable des femmes à tous les aspects de la vie, sur lesquels elles déploient ses efforts et ceci autour de cinq domaines prioritaires pour susciter des transformations socio-économiques et de bien-être dans son environnement. Il s’agit de l’augmentation de la participation et du leadership des femmes ; la fin de la violence contre les femmes ; l’implication des femmes à tous les niveaux des processus de paix et de sécurité ; le renforcement de l’autonomisation économique des femmes et l’inscription de l’égalité des sexes au cœur de la planification et de la budgétisation nationale.
Eu égard à tout ce qui précède et pour le développement harmonieux des foyers et de nos nations, homme, je t’invite à t’associer à la femme pour soutenir les initiatives sur l’égalité du genre comme le font les institutions telles que les Nations - Unies à travers ONU Femmes qui coordonne et promeut l’égalité des sexes en vue de l’augmentation de la participation et du leadership des femmes, l’autonomie de la prise de décision en publique et dans la vie politique car l’exercice du pouvoir est un aspect important en matière de relation et plus une personne à le pouvoir, plus cette personne à la chance d’avoir plusieurs choix à opérer et conséquemment, moins une personne à le pouvoir, plus cette personne devient vulnérable.
Homme,
rassure-toi que les groupements féministes de défense ou de renforcement du pouvoir de la femme ou de sa capacité et de son autonomie ne cherchent pas forcement des pouvoirs au sens traditionnel du terme, encore moins que les femmes deviennent les concurrentes des hommes. Il s’agit tout simplement des pouvoirs qui s’exercent sans aucune force impliquant l’habileté, la stratégie de prise de décision en vue de trouver des solutions aux problèmes auxquels les femmes sont confrontées et ceci, à travers la négociation, le savoir-faire, le savoir-être pour une compréhension mutuelle dans les interactions entre l’homme et la femme dans la société.
Homme,
tu n’es pas sans savoir que la représentativité des femmes est indispensable pour le développement d’une nation. A cet effet, je t’invite une fois encore à soutenir la participation active des femmes à tous les niveaux de décision à savoir : législative ; judiciaire ; politique sécuritaire, et même au niveau des médias, au foyer, dans l’éducation, la communauté, la religion, la technologie, l’art, la culture et le sport, dans le secteur public comme privé, le commerce, les banques, au niveau local national, régional, comme international.
Homme,
reconnais aussi que la fin de la violence contre la femme lui permettra d’être capable de prendre librement des décisions relatives à la santé reproductive et toutes ces conséquences comme le planning des naissances, le consentement dans le mariage, le respect de l’intégrité du corps de la femme. De même, l’implication des femmes à tous les niveaux du processus de paix et de sécurité, la prise en compte des questions de genre dans les négociations de paix, la planification humanitaire, les opérations de maintien de la paix et la consolidation de la paix et la reconstruction post- conflit facilitent le relèvement après un conflit et garantissent l’édification et la consolidation de la paix. Enfin le renforcement de l’autonomisation économique des femmes (c’est-à-dire sa capacité de travailler, d’exercer une profession, de gagner un revenu, d’avoir accès aux ressources comme la terre, le financement, l’accès à la technologie, le droit à l’héritage) contribue immanquablement au développement d’une nation. Ce développement pour lequel tu ne ménages d’ailleurs aucun effort en vue de l’atteindre.
Alors, ne trouves-tu donc pas en la femme un partenaire sûr et fiable qu’il faut avoir à ses côtés pour parvenir à cette noble mission ?
C’est sur ces mots qui suscitent beaucoup de réflexions que je voudrais bien finir mes propos dans l’espoir que le contenu de cette lettre que je t’ai adressée, ébranle ta conscience afin que tu t’associes désormais, pleinement à ce qui a toujours été aussi en ta faveur : ce combat, notre combat à tous pour l’égalité des sexes.
Tu connais maintenant clairement notre but : voir ouvrir une ère nouvelle, « celle d’une discrimination positive et potentielle en vue d’assurer la protection et la promotion de la femme » gage du développement de toute nation.
Sanata Elisabeth LAHAMI
- 14 octobre 2024
- 14 octobre 2024