VOIX DE FEMME : Hermyone Milène Adjovi : « Célibataire, mariée ou divorcée, une femme est une femme »

29 mars 2023

Spécialiste de communication digitale, Hermyone Milène Adjovi est également Fondatrice et Présidente de l’ONG Mata-Yara. Sollicitée en qualité d’experte depuis quelques mois par l’Unesco sur des thématiques d’éducation, jeunesse, paix et sécurité, du fait des nombreuses expériences qu’elle a acquises ces dernières années, elle se prononce ici sur le sujet de la femme.

Quelle est, selon vous, la place de la femme dans la société béninoise actuelle ?

La femme, c’est la mère de l’humanité, celle qui porte le poids de la famille et de la société. Sous nos cieux, c’est celle-là dont on attend d’être tout, sans être rien à la fois. La femme porte une énorme responsabilité ; est amenée à faire 2, 3 fois plus d’efforts pour mériter une position, pour accéder à des droits qui pourtant lui sont naturellement dus. Elle est victime d’injustice, de stéréotypes. L’exemple le plus courant est celui qui ne trouve de valeur à la femme que lorsqu’elle est dans un foyer et a des enfants. Autrement, elle est vue comme une « sous-femme », un échec alors même qu’un homme est, avant tout, défini par sa profession et ses réalisations. Heureusement, quelques avancées sont enregistrées ces dernières années, car de plus en plus d’institutions, d’activistes, œuvrent à ce que cette perception de la femme change et que cette dernière puisse décider par elle-même de qui elle veut être.

Comment homme et femme sont-ils des obstacles pour la promotion de la femme ?

En général, les actions de lutte contre les violences basées sur le genre ciblent les hommes essentiellement car la plupart de ces violences viennent d’eux. On remarque qu’ils semblent ne pas être prêts à faire de la place aux femmes à leurs côtés. Il y a cette citation qu’on emploie par abus de langage : « derrière un grand homme se cache une grande femme ». Et on y a tellement littéralement cru, qu’on ne conçoit la place de la femme que derrière un homme. La plupart des hommes n’acceptent pas du tout que les femmes puissent être au-devant et les diriger. C’est une réalité parfois un peu voilée à l’aide de diplomatie ou hypocrisie en zone urbaine ; mais qui est surtout perceptible en zone rurale. J’ai discuté récemment avec une femme, maire des jeunes d’une commune du sud de notre pays, qui me confiait ses difficultés et combien elle est combattue en raison de son genre. Mot pour mot, on lui a déjà dit en réunion : « Pour qui te prends-tu ? Toi, une femme, tu veux diriger qui ? ». Autant de propos qui illustrent le complexe des hommes face aux femmes qui accèdent à des postes de responsabilité. Ils se sentent bien de fois, émasculés. Et cela se transpose parfois dans les foyers, où les hommes ne supportent pas par exemple que leur épouse gagne plus qu’eux. Il devient ainsi par exemple difficile pour les femmes de poursuivre les études une fois au foyer, car les craintes de leurs hommes sont nombreuses. Il faut bien le dire, qui dit plus de responsabilités professionnelles dit relativement moins de présence dans le foyer, et parfois avec beaucoup de voyages. Là est une perspective qui sème beaucoup de doutes et de soupçons dans l’esprit des hommes. Bien avant l’étape du mariage, dès qu’une jeune femme commence à émerger et accumuler des diplômes, la société se met à lui demander si elle est sûre de vouloir se marier car les hommes n’aiment pas les femmes diplômées. Pour masquer leur complexe d’infériorité, les hommes essayent de tirer ces femmes vers le bas ou de les exclure des cercles de décision. Mais il faut dire que c’est un état de choses imputable aussi à l’éducation, qui ressasse dans l’esprit de l’homme qu’il est le chef. L’homme pense alors devoir être premier en tout afin d’affermir sa position de chef. Il faut néanmoins saluer ces hommes, grands dans la tête, matures, qui laissent leurs femmes poursuivre leurs rêves et s’épanouir, en les soutenant. Ils ne sont pas nombreux, mais ils existent.
De l’autre côté et paradoxalement, parlant toujours des obstacles à la promotion de la femme, il ne serait pas exagéré de dire que les femmes sont des louves pour les femmes. On a vu dans ce pays lorsque Me Marie-Elise Gbèdo posait sa candidature pour les présidentielles, les critiques les plus acerbes venaient de nous, femmes. Par ailleurs, en milieu entrepreneurial, les femmes reçoivent de vilains coups de leurs paires entrepreneures, simplement par jalousie, pour des futilités. A ce propos, récemment, Mme Léontine Idohou, dans une interview, exprimait d’ailleurs le souhait que les femmes députées élues pour la 9ème législature s’attèlent véritablement à leur mission, et n’en viennent pas à tomber dans la distraction autour de compétitions de la plus belle boucle d’oreille au parlement. (Rire). Elle soulignait sans doute ainsi cette réalité que je pointe. En fait, la plupart des femmes ne sont pas forcément vraiment prêtes à se soutenir ; et souvent, c’est pour des raisons liées aux hommes, ou pour d’autres broutilles.

Avec le parcours qui est le vôtre, quelle est cette situation piquante que vous avez vécue simplement parce que vous êtes une femme ?

Il y en a tellement que je ne sais laquelle choisir. Toujours est-il que la plus piquante est très personnelle, je ne suis pas encore prête à la partager publiquement. J’en parlerai un jour mais ce n’est pas encore le moment. Outre celle-là, il faut dire que par nature, j’ai toujours été habituée à me battre. Toute ma vie n’a été que successions de batailles. Rien ne m’a jamais été donné gratuitement. Tellement que j’ai fini par me construire un mental qui est tel que devant les situations de guéguerres et coups-bas fomentés, je me dis que c’est exactement ça la vie ; et je continue mon chemin. Je n’en garde tellement pas de traces en mémoire, que je ne trouve pas dans l’immédiat quelle histoire raconter.
Mais maintenant que j’y pense, une situation que j’ai vécue récemment dans une entreprise où je travaille, me vient à l’esprit. J’ai rejoint cette structure pour occuper un poste en création. Mon arrivée a été ressentie comme une menace par un membre de la direction (un homme). Mais puisque je suis habituée à rester dans mon coin, à me contenter d’aller faire mon travail et repartir, je ne me suis pas souciée de ses attaques détournées. Sur conseil de certains agents de la maison, je me suis portée vers cet homme et nous avons échangé normalement. Néanmoins, le temps m’a montré que rien n’avait changé à son niveau. Il est même allé jusqu’à produire et rendre aux décideurs, un rapport sur ma première année d’activités afin de prouver l’inutilité de ma présence et suggérer implicitement mon renvoi. Déployer autant d’énergie pour me nuire alors que lui et moi n’avons eu aucun problème m’a, quelque peu, dérangée. Mon enquête m’a révélé qu’aussi bien lui que plusieurs hommes de l’entreprise en question avaient déjà eu ce genre d’antécédents avec une autre femme de l’administration venue à un poste de haute responsabilité également. Par ailleurs, j’ai découvert que ma position dans la société, mon salaire, ma qualification professionnelle et surtout ma jeunesse d’âge étaient également des facteurs très dérangeants pour lui. Mais bof !!!
Après, parlant d’histoires de jalousie entre femmes, ça peut être des faits qu’on me rapporte, des ragots dans mon dos, mais jamais devant moi. Je ne sais déjà pas être très amie-amie avec les femmes car ayant grandi seule fille au milieu de 5 garçons, suite au décès de mes parents. Ce milieu de base fortement masculin a donc créé en moi une aisance naturelle avec les hommes, telle que même à l’âge adulte, je cerne aisément mieux les hommes que les femmes ; et donc, je me fais naturellement plus d’amis hommes (près de 95%) que d’amies femmes. J’ai des amies, mais rarement avec elles une proximité qui m’amènerait à confier des choses dont on se servirait pour me porter des coups. Ajoutée au fait que j’ai acquis avec le temps une forte capacité de détachement, je vis rarement des déceptions/désillusions de cette nature.

Que diriez-vous à une femme célibataire, cheffe d’entreprise ou leader ?

Je ne vois pas ce que je lui dirais que je ne dirais à une femme mariée. Une femme ne doit pas être définie comme célibataire, mariée ou divorcée. Une femme est une femme. Je ne considère pas une célibataire moins importante qu’une mariée ou une mariée moins importante qu’une célibataire. Chacune a ses défis, sa vision et sa destinée. A la femme cheffe d’entreprise ou leader, je dirai de se connaître. Le jour où l’on découvre qui on est et notre raison d’être sur terre, tout devient facile. C’est très important de décoder sa personnalité, de connaitre ses origines à soi et celles de ses parents. Il est tout aussi important d’établir un lien particulier avec Dieu pour se connaitre spirituellement. Cela nous permet de discerner les voies et les environnements qui sont les nôtres pour ne pas nous tromper de batailles. Tout ceci nous guide à savoir qui nous sommes, de même que comment et avec qui marcher/collaborer. Cela ne veut pas dire que les autres sont mauvais. Cela veut simplement dire que l’on se connait et que l’on sait avec qui l’on peut émerger. Alors on choisit et s’entoure de ces personnes tout en restant sympathiques avec les autres. Etre où l’on doit être nous permet de fleurir tout naturellement. Je dirai aussi qu’il faut essayer d’être le plus juste possible avec les autres humains, afin de s’attirer les faveurs de Dieu et celles de la nature. Le faire, c’est se mettre sous la couverture la plus puissante qui soit, celle du créateur qui ne saurait être supplantée par les attaques de ses créatures. Je dirai par ailleurs qu’il faut se battre et ne pas se considérer malchanceux, ni se laisser submerger par le découragement quand nous rencontrons des difficultés. Si cela nous arrive, c’est parce que Dieu sait que nous pouvons nous surpasser et nous a donné les armes pour relever le défi et en sortir grandi. Enfin, il faut se cultiver et se faire confiance, croire en son potentiel. Quand on sait sans aucun doute qu’on est destiné à réussir, lorsque la réussite n’est pas encore arrivée, on garde l’espoir et la conviction, on continue d’œuvrer jusqu’à y arriver.
Croire en Dieu, croire en soi, respecter les lois de la nature et travailler avec abnégation sur le bon chemin.

Propos recueillis par Frédhy-Armel BOCOVO (Coll)



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