Voix de femme N°13 - Loraine Majo Fonkoua : « Les femmes ne veulent plus être limitées »

10 mars 2024

Passionnée par les sciences, l’informatique, la musique, la rédaction web et bien d’autres choses, Loraine Majo Fonkoua se définit par sa polyvalence, son attachement à Dieu et sa famille. Parce que l’écriture et le dessin lui permettent de transcrire avec de l’émotion et une touche d’imagination des choses réelles, parfois belles, parfois horribles, la jeune camerounaise fait actuellement des études d’architecture. Elle est aussi auteure de deux romans, "Héritière" écrit dans le noir de sa chambre à 17 ans et "Et si on remettait ça ?" écrit quelques mois plus tard, deux ouvrages publiés respectivement aux Éditions Le lys bleu et Cherry Publishing.

- Quelle est votre appréciation du statut actuel de la femme (en général et au Cameroun en particulier) ?
En général, l’on note aujourd’hui une avancée considérable dans la prise en compte du statut de la femme de manière générale et au Cameroun en particulier. C’est vrai qu’il existe encore des milieux où la femme est très souvent discriminée, au travail, dans certains milieux familiaux, culturels et traditionnels, mais je pense que la progression ne peut pas s’effectuer d’un coup, sinon elle ne serait pas posée sur des bases solides. La discrimination avait été tellement ancrée dans nos sociétés, dans nos cultures, dans notre histoire, qu’il serait utopique de penser que cela peut changer en si peu de temps. Pendant des siècles, la femme et ses exploits ont très souvent été négligés et sous-estimés. Mais les choses sont en train de changer, petit à petit. Il y a une tendance occidentale qui va de plus en plus croissante, tendance selon laquelle la femme doit être égale à l’homme. C’est même cela qui anime bon nombre de débats sur la question du statut de la femme. En effet, notre culture africaine en général a toujours perçu l’homme comme supérieur à la femme et ce, dans tous les domaines (intellectuel, social, traditionnel, culturel...)

- Que pensez-vous de l’égalité des sexes ?

Pour moi, il ne s’agit pas d’égalité, de supériorité ou d’infériorité de l’un par rapport à l’autre. C’est une affaire de complémentarité. Dieu a crée la nature pour que chaque élément ait son rôle à jouer, l’un ne cherchant pas à ce moment-là à rabaisser l’autre d’une quelconque façon, et c’est cela qui fait en sorte que tout fonctionne. Un monde où l’homme s’établit comme "supérieur" à la femme ne fonctionne pas. La femme est celle-là qui de par ses qualités, sa nature, son intelligence, l’aspect même biologique, a un rôle et une importance incontournable.
Et la société camerounaise d’aujourd’hui essaie tant bien que mal de le reconnaître.
La discrimination positive instaurée ainsi que les modalités de protection de la femme au travail font que les femmes sont représentées dans la plupart des secteurs, et elles prouvent au quotidien qu’elles y ont leur place (politique, architecture, armée). Les femmes sont au Cameroun et partout dans le monde en train d’exploser les cases dans lesquelles on les a mises. On les a cantonnées à des activités de mères au foyer, cultivatrices, etc, et ce sont de très belles occupations ! Mais elles prouvent de plus en plus qu’elles sont capables de plus, qu’elles ne veulent plus être limitées. Leurs opinions sont de plus en plus prises en compte.
En outre, ce qui me marque aussi, dans l’actualité du Cameroun, c’est le cas des violences conjugales. Récemment, une femme enseignante s’est fait battre par son mari, au point d’en mourir. Et des cas comme celui-ci, sont nombreux.
Il y a plusieurs origines à tout cela, mais l’une d’entre elles me heurte. On encourage très souvent les femmes à rester dans leur mariage, quoiqu’elles y subissent. Souvent, certaines pensent qu’elles ne peuvent être heureuses en dehors du mariage, ou que le célibat ou le divorce sont signe d’échec social. On leur dit de "supporter". Parfois même, d’autres affirment que le mari a tous les droits de frapper sa femme.
Ce sont aussi des pensées telles que celles-là qui minent encore notre société, malgré le progrès. Ces cas sont très souvent tus, vécus en fond sonore, comme une sorte de normalité, de fatalité à laquelle on ne peut ou ne veut, pour certains, remédier. En dépit de toutes les avancées sur le statut actuel de la femme, il y a des cas comme celui-ci qui nous frappent encore.
Ce sont certains de ces problèmes et cette valeur de la femme que j’ai voulu dépeindre dans mes romans. Parce que chercher à valoriser la femme aujourd’hui, dans notre société africaine, c’est aussi dénoncer, tenir compte et vouloir apporter des solutions aux problèmes auxquelles les femmes doivent faire face tous les jours. Qu’il s’agisse de violences conjugales, de viols, de grossesses précoces, mariages précoces et forcés, de droit à l’éducation pour la jeune fille, d’accorder aux femmes les mêmes chances et droits dans les domaines académiques et professionnels. Voilà aussi comment améliorer le statut actuel de la femme.
Dans mes romans, avec ma touche habituelle d’humour et mon ton familier, je cherche à présenter des personnages féminins forts et indépendants. Des personnages qui font face à de nombreuses difficultés (la pression du mariage, les violences conjugales, une grossesse précoce, l’irrespect en milieu professionnel), mais qui y font face.

- Pourriez-vous partager avec nous 2 ou 3 faits/situations que vous avez vécus ( traitement en bien ou en mal ) simplement parce que vous êtes une femme ?

En bien... Pour ce cas, je ne dirais pas que c’est un avantage, mais plutôt un traitement normal qui fait du bien. Dans mon école, les enseignants mettent toujours les étudiantes de sexe féminin en avant. Dans un domaine comme le nôtre (architecture), rempli en majorité d’hommes, ils cherchent à nous rappeler au quotidien, surtout à celles qui se mettent automatiquement en retrait, que nous avons le même statut et les mêmes chances que les étudiants de sexe masculin. Ça, c’est pour le côté intellectuel, la conception des plans, etc. Mais au chantier, on ne nous en demande pas autant que les hommes. Nous travaillons autant que nos forces nous le permettent. C’est cela que j’apprécie. Le fait qu’on nous permette de déployer dans leur entièreté nos capacités intellectuelles et physiques.
Parfois aussi, il m’arrive (comme à nous toutes, je crois) d’être plus vite reçue dans un bureau ou service tout simplement parce que je suis une femme.
En mal... Une fois, j’ai été malade et je n’ai pas pu composer un examen. Je suis allée voir l’enseignant pour demander à recomposer l’examen, et il m’a répondu que ce n’est pas parce que je suis une femme, qui est belle et a un joli sourire que je dois croire que tout va m’être permis. Ce jour-là, je me suis sentie très mal. Je n’avais aucune intention cachée, mis à part de pouvoir recomposer, et cela m’a blessée.
Et ça m’est arrivé à d’autres reprises. Pour peu que j’aie souri ou démontré de la convivialité, on a pris cela pour des avances auxquelles je n’ai jamais répondu, ce qui m’a parfois valu d’être la source d’un certain mépris.

- Quelles sont les idées préconçues/ les préjugés associés aux femmes ?

Il y en a tellement !
Les femmes qui ont fait de longues études ne peuvent tenir dans un mariage.
La femme célibataire a échoué sur le plan social.
Le divorce est un échec pour la femme, comme je le disais plus haut.
Il y a aussi cette fameuse phrase qu’on utilise souvent sur un ton blagueur, mais qui depeint une de ces idées préconçues : "la place de la femme, c’est à la cuisine."

J’aimerais ajouter, à titre plus personnel que... J’ai grandi avec une grand-mère, une mère et une grande sœur présentes dans divers domaines professionnels, qui ont des parcours différents, et qui ont vécu diverses épreuves et situations. Ma grand-mère était commerçante, ma mère est institutrice et cultivatrice, ma grande sœur est enseignante d’université en droit. Ce sont elles qui m’ont appris que la femme ne doit pas avoir peur d’être forte, d’exprimer son avis et de se mettre en avant, et que très souvent, la vie nous l’impose, surtout en tant que femmes. Je les ai vues, tout au long de mon enfance jusqu’à aujourd’hui, être des femmes indépendantes et battantes. Cela ne les a jamais fait dénigrer ou ne pas respecter les hommes autour d’elles. C’est à travers l’éducation qu’elles m’ont chacune donnée et leur parcours que j’ai une idée et des objectifs bien définis de la femme que je veux et suis en train de devenir. Ce sont elles qui m’ont appris qu’une femme peut tout faire si elle s’en donne les moyens, qu’elle peut être belle et intelligente, forte et maternelle, indépendante et respectueuse.
Elles se sont épanouies dans différents domaines avec autant de réussite qu’un homme l’aurait fait. Cela a peut-être été plus difficile pour elles, d’autant plus qu’elles devaient s’occuper à la fois de nous et avancer dans leur travail, mais cela n’a pas été impossible. Elles y sont parvenues et chaque jour, ma mère et ma sœur se battent encore, sans jamais se laisser écraser par les préjugés de la société. C’est cela qui m’inspire et me forge.

- Quelle est votre appréciation de la façon dont se célèbre le 08 mars ?

Au Cameroun, je trouve qu’on s’est beaucoup éloignée de l’essence de ce jour important. C’est ce qui contribue aussi à le dévaloriser auprès de toute la société. C’est vrai qu’il y a des activités, conférences, initiatives qui s’organisent tout autour, mais nombreuses sont ces femmes qui s’intéressent seulement à la fête et à l’achat du traditionnel pagne. C’est devenu une occasion de débauche pour bon nombre de femmes.
Pourtant, ce serait bien de pouvoir profiter de cette journée solennelle pour ancrer davantage les débats et les initiatives sur les problématiques actuelles qui minent le statut de la femme en Afrique. On devrait inclure davantage les jeunes filles mais aussi les jeunes garçons, afin qu’il y ait un véritable changement de mentalités, d’un côté comme de l’autre. Je pense que cette célébration devrait beaucoup plus aller dans ce sens. Des femmes se sont battues pour que nous en soyons là aujourd’hui et nous ne devrons pas nous arrêter alors qu’il y a encore des choses à changer.

Propos recueillis par Frédhy-Armel BOCOVO (Coll)



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