Irrémédiablement optimiste, Mireille Bokpè a fini depuis bientôt 4 ans une carrière en multinationale, dans la communication corporate et la gestion de la marque. Artiste dans l’âme, la sexagénaire s’est choisi l’écriture comme activité de prédilection dans sa nouvelle vie. Passionnée de cuisine togolaise et béninoise, cette mère de deux filles, jeunes adultes est auteur d’un recueil de chroniques paru sous le titre : LES FEMMES AIMENT QU’ON LEUR DISE JE T’AIME – Chroniques impertinentes.
Frédhy-Armel BOCOVO (Coll)
Une lettre ouverte à ma nièce
Ma chère Sika,
Je voudrais d’entrée te féliciter d’avoir pu mener à leur terme, des études supérieures brillantes qui te permettent aujourd’hui d’entrer dans la vie active par la grande porte.
Lorsque tu m’as dit que tu étais une carriériste, j’avais voulu te demander si tu avais conscience que dans l’entendement commun, ce mot « carriériste » véhiculait une connotation négative qui tend à t’assimiler à une « arriviste », terme réprobateur.
Et pourtant, c’est ainsi que l’on te « ressent » notamment lorsque l’on est de culture francophone. Une carriériste, c’est une jeune femme qui se positionne comme une personne recherchant avant tout la réussite professionnelle, sans s’intéresser à autre chose. C’est presque péjoratif de se faire traiter de carriériste dans l’acception francophone du terme.
Je précise qu’il en est ainsi en Francophonie car dans le monde anglo-saxon, la réussite vrombissante, la fortune au superlatif ainsi que les attributs pompeux de la richesse sont accueillies avec davantage de sérénité.
Cela signifie que la culture est puissante au point de déterminer la zone géographique dans laquelle tu devrais faire le choix de vivre, selon ta vision et ton choix des chemins de la réussite et la définition que tu donnes aux termes réussite et succès.
Ma chère carriériste, si j’étais toi, je ne me définirais donc pas avec ce vocable, mais je dirais que je suis une professionnelle pour laquelle la réussite d’une carrière fait partie des critères fondamentaux d’épanouissement. Si cette définition te convient, alors je voudrais partager avec toi, quelques pensées qui me viennent à l’esprit.
Cependant, si même tu assumais le choix de la jeune femme pour qui la réussite professionnelle est prioritaire et passe avant tous autres piliers de l’épanouissement humain, je vais pouvoir également te donner quelques indications qui me semblent importantes et qui pourraient te guider dans ton choix et les chemins sur lesquels débouche celui-ci.
Mes recommandations vont toucher à tout ce qui pourrait représenter une menace pour ta carrière. Le côté agréable de la carrière est évident. Le gros salaire, les bonus à 7 chiffres, les grosses indemnités, les avantages liés au poste de responsabilité, le développement de carrière favorable, la montée dans la hiérarchie de l’entreprise, je ne t’en parlerai pas car c’est le sujet de prédilection des experts en développement de carrière et du directeur des ressources humaines, à ton embauche.
Je te parlerai, moi, de ce que personne ne te dira et que la majorité des cadres éduqués par des parents gentils et de bonne moralité, découvrent avec stupeur.
Comme tu l’as si bien dit toi-même, tu rencontres dans ton milieu professionnel des personnes surprenantes. Elles sont surprenantes pour toi qui as grandi dans un univers familial empreint de bienveillance et de candeur. En réalité les personnes issues d’un environnement familial comme le tien auraient besoin d’une reconversion mentale liée à leurs schémas neuroscientifiques.
Les personnes ayant des parents bienveillants et moralement scrupuleux héritent généralement de prédispositions empathiques, bienveillantes et même quelque peu naïves. Ces personnes, pétries comme toi, d’une morale fortement basée sur la probité sont enclines à projeter dans leurs vis-à-vis leurs propres schémas moraux. Ce qui de toute évidence, tu en conviendras, est une erreur grave pouvant entraîner leur perte, dans un environnement par nature, hostile.
Je te propose quelques règles :
1- On ne connaît jamais suffisamment un pair ou un supérieur hiérarchique jusqu’au moment où vous travaillez sur un dossier qui nécessite une collaboration étroite. Les rapports de travail révèlent le caractère des gens à qui tu as affaire ainsi que leur moralité. Ces rapports révèlent le meilleur et le pire en l’être humain. Les enjeux de carrière sont liés à ta vie elle-même et à ton développement, à la rémunération, à la reconnaissance professionnelle ou l’indifférence de la hiérarchie ou même la désapprobation de celle-ci, à la visibilité ou la mise à l’écart, à la gloire, aux honneurs ou à l’opprobre organisée, aux approbations ou désapprobations, à l’ascension sociale liée au niveau de rémunération, à ta promotion ou à l’inverse, à ta régression, à la reconnaissance sociale et même politique ou à ta démolition programmée et exécutée.
Voilà donc pourquoi, tu devrais résolument te garder d’établir dans les cercles professionnels, des rapports d’amitié ou un engagement affectif quelconque, mais te limiter à la simple cordialité dont le degré pourrait varier selon les affinités susceptibles de naître.
Pour résumer la règle numéro 1 : intégrer que tu n’as pas d’amis sur le lieu de travail. L’amitié est un concept en contradiction flagrante avec l’environnement de travail. Des amitiés sont déjà nées au travail, mais ont-elles pu y survivre ? Cela m’étonnerait.
2- Il résulte de la règle numéro 1 qu’étant en présence de personnes issues de diverses cultures et moralités, dont certaines viennent contredire les schémas éducationnels qui sont les tiens ainsi que la morale qui en résulte, tu vas devoir t’imposer de te « déniaiser » si je puis me permettre le mot, et adopter des systèmes de protection et de vigilance extrêmement rigoureux. Celui qui te dira que le lieu de travail n’est pas a priori un environnement hostile t’aura menti de manière flagrante. D’autant plus lorsque les intérêts en termes de gain d’argent et d’avancement social sont importants. Pour résumer la règle numéro 2 : intégrer que le lieu de travail est un terrain de guerre.
3- Tu seras choquée de réaliser que tout le monde dans l’entreprise ne réfléchit pas dans le sens de la vision de l’entreprise mais que certains accordent la priorité à leurs intérêts personnels immédiats. Voilà pourquoi tu devras te prémunir contre de telles personnes et la meilleure manière de le faire, c’est déjà de savoir qu’elles existent. Car les personnes de bonne foi et celles qui ont à cœur le développement de leur entreprise et le progrès de leur communauté ou de leur pays, ne s’imaginent même pas que cela soit possible. Règle numéro 3 : être conscients que tous les collaborateurs ne travaillent pas pour préserver la vision stratégique de l’entreprise même lorsqu’ils sont dans des positions de haute responsabilité. De telles personnes œuvrent pour leurs intérêts personnels dont certains répondent à des instincts aussi bassement mesquins que le fait que ta tête ne leur revient pas. Ils n’hésiteront pas à conspirer pour se débarrasser de toi, même s’il est établi que ta compétence et tes résultats contribuent de manière importante à la prospérité de l’entreprise et à son développement et que tes résultats le prouvent. Ta carrière pourrait être mise à mal pour des raisons aussi ahurissantes. C’est ainsi. J’ai vu cela se produire tant de fois au cours de mes 25 années professionnelles en multinationale.
4- Le contenu de la règle numéro 3 m’amène à te faire observer à quel point, la carrière étant sujette à des variations subjectives, il est vital que tu comprennes l’importance de l’équilibre qui devra exister entre ta carrière et ta vie privée. Ce qui te permettra de tenir bon lorsque les bourrasques de l’hostilité en milieu professionnel souffleront immanquablement, ce sera la solidité de ta vie de famille. Ce sera l’affection de ton conjoint et de tes enfants et la présence de tes proches (sœurs, frères, père, mère, amis). Préserve précieusement ce havre de paix que constitue la vie de famille.
Si tant est que ta vie professionnelle te tient à cœur, il est nécessaire que ta vie de famille également soit au cœur de tes priorités. Ton institution te remplacera très vite s’il arrivait qu’elle se sépare de toi, mais une famille saine et équilibrée ne te remplacera pas. Elle ne te fera pas la guerre. J’en arrive à la règle numéro 4 qui voudrait que tu fasses du choix de ton compagnon une affaire aussi sérieuse je dirais même encore plus sérieuse, que la manière dont tu as conduit tes études, puis aujourd’hui, ta carrière.
Voilà pourquoi en faisant le choix de ton compagnon de vie, tu t’assureras que ce soit un homme qui comprenne les enjeux de ta vie professionnelle et les accepte. Les hommes (l’être humain du sexe masculin) a par nature une propension à diriger et à prendre en main le leadership de ses projets y compris son couple et sa vie de famille. Comme on dit communément, il ne supporte pas qu’il y ait un deuxième capitaine dans son bateau.
Tu as beau être le PDG de l’entreprise qui t’emploie, à la maison, tu joueras ton rôle d’épouse et de mère en accordant à ton conjoint sa place de chef de famille sans concurrence. Il y va de la survie de ton couple et de ton équilibre. Il existe des hommes qui aiment les femmes carriéristes et les assume, tu sais donc ce qu’il te reste à faire.
5- Et comme nous avons entamé les aspects liés au relationnel, je voudrais évoquer une question qui échappe à la majorité des jeunes professionnels francophones : la question du réseautage et la nécessiter de se faire parrainer par une personne influente. Ce genre d’idées semble presque répréhensible pour les personnes éduquées par des parents qui ont inculqué à leur progéniture que le travail seul suffira à les faire monter dans la hiérarchie de l’entreprise. Il n’y a rien de plus erroné que cette conception du succès en entreprise. Les experts nord-américains en la matière établissent que le travail seul comptera pour environ 10 à 15% de la progression de ta carrière. Les 85% restants sont répartis entre les fruits d’un bon réseautage, l’influence de tes parrains (les sponsors comme ils sont appelés dans le monde des grandes entreprises de l’Amérique du Nord) et ta capacité à te rendre visible dans les cercles qui comptent. C’est seulement ainsi que ton travail sera visible et fera écho auprès des personnes qui décident de qui sera placé à quel poste. A moins que tu souscrives à cette règle numéro 5, tu demeureras au sein de l’entreprise, un cadre travailleur, dont les autres s’attribueront les mérites de tes résultats. La règle numéro 5 s’établit comme suit : cette capacité au réseautage et à attirer les parrains efficaces requière une forte dose d’intelligence émotionnelle, de la hardiesse, de la diplomatie, de la flexibilité, de l’adaptabilité et de la confiance en soi. Un cocktail savamment mélangé avec les doses adéquates pour chacun de ces ingrédient.
6- Last but not least, il pourrait arriver que malgré toutes tes compétences et ton aplomb, tu sois victime du plafond de verre au motif du genre ou de tout autre type de discrimination. Il existe des recours, tu les connais certainement. Je ne peux que te souhaiter bonne chance !
Il me semble t’avoir donné les indications que je jugeais indispensables pour ton épanouissement dans la voie que tu as choisie : celle d’une carrière brillante. Je te souhaite plein succès et longue vie dans le monde des grandes entreprises et organismes publics ou privés, nationaux ou internationaux.
Bon courage et n’hésite pas à me demander conseil.
Tatie Mireille