Voix de femme N°4 - Agnes Kpakpo Hadjagoun : Ses mains domptent la jacinthe d'eau

5 mars 2024

Sereine dans la pirogue, Agnès n’est guère impressionnée par le végétal qui s’étale sur l’eau, dru, gorgé d’eau et insolent. Au moyen du couteau et de sa détermination, son nom s’est installé dans les bouches qui se plaignaient de la prolifération de cette plante aquatique. De la cité lacustre de Ganvié aux structures étatiques et internationales, il est su que des mains apprivoisent depuis 14 ans la jacinthe d’eau : celles d’Agnès Kpakpo Hadjagoun.

Calme de nature, elle n’est pas dupe des ruses de la jacinthe d’eau : les reptiles que le végétal loge presqu’à croire pour se défendre, échouent lamentablement à la dissuader de faire sa cueillette. De l’audace sans mélange et simplement engagée d’une femme qui ne sait même pas nager, son amour pour la nature transparaît. Elle ne conçoit pas vivre privée du confort thermique que lui offre le milieu lacustre. Depuis l’aurore jusqu’au crépuscule, de septembre à décembre, avec ses consœurs du groupement "Togblé-Tognon" qu’elle a fondé, elle s’expose à des chutes dans l’eau, aux coupures de couteaux, aux maladies liées à l’eau ... L’eau ! Destination finale de tous les déchets produits par les habitants de Ganvié et environs, elle avait fini par rebuter et détourner 02 des 05 premières femmes avec lesquelles l’histoire de la transformation de la jacinthe d’eau avait commencé à s’écrire. Aujourd’hui, Agnès peut danser "Agbadja", son rythme préféré et se réjouir de voir s’élargir l’effectif (40) de ces dames qui s’investissent pour la cause. Pour cela, elle reconnaît l’effet bénéfique de l’implication de l’Etat béninois, du projet "Réinventer Ganvié" et de structures comme la fondation Claudine Talon. Aussi, salue-t-elle la présence active et protectrice des hommes à leurs côtés avec une reconnaissance particulière pour l’un d’eux : le sien. Son époux, guérisseur traditionnel pour lequel elle a quitté son Hêvié d’origine pour la cité lacustre après leur mariage. Soutien constant et conseiller fiable pour elle, Agnès a toujours pu compter sur sa compréhension quand sonne pour elle, l’heure des sollicitations nombreuses à Porto-Novo, Cotonou, Bohicon... ou encore en dehors des frontières nationales comme ce fut le cas, il y a peu en Côte d’Ivoire. L’ancienne fumeuse de poissons attache du soin à entretenir cette confiance dans son foyer en s’ouvrant librement à son mari sur le déroulé de ses séjours et en étant transparente sur ses revenus. Ceux-ci bénéficient beaucoup à leurs 06 enfants qui assistent leur mère. D’ailleurs, l’aide n’est pas superflue quand il faut en temps de cueillette de la jacinthe d’eau, 02 heures environ pour étaler la récolte journalière à suivre, à peu près 1 mois durant, avant le séchage complet.

Au vu des désagréments occasionnés par les intempéries (vent, pluie...), la voix de celle qui dompte la jacinthe d’eau porte un plaidoyer à l’endroit de l’État pour l’aménagement d’une aire de séchage électrique et sécurisé. Reduisant le délai de séchage à quelques 02 jours, cette avancée devrait contribuer à mieux satisfaire les demandes en mobiliers, en accessoires et en œuvres d’art réalisés avec la jacinthe d’eau (chapeau, panier, pot de fleur, tapis et autres ). Aussi, déplore-t-elle la concurrence déloyale menée par les auberges et appelle à une intervention qui priorisera les productions locales pour les fins touristiques. Soulignant le tort infligé au dos et aux yeux des transformatrices, la jeune quinquagénaire s’entretient par une alimentation saine et la consommation de produits frais. Parfois complexée par son niveau d’instruction, elle se bat pour "pousser loin" ses enfants et les voir très instruits. C’est le rêve pour lequel bat son cœur de mère.

Frédhy-Armel BOCOVO (Coll)



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