Activiste pour les droits humains, Ella Dorcas Wama Mara est juriste et socio-anthropologue. Spécialiste de programme de développement avec un accent particulier sur le genre et principalement pour la cause des filles et des femmes, elle met, plus de 25 années d’expérience dans le domaine des projets pour l’autonomisation des femmes, actuellement au service de la Fondation Batonga Bénin en qualité de Directrice Pays.
Frédhy-Armel BOCOVO (Coll)
Selon votre conception des choses, qui est la femme ?
C’est cet être central de la vie de toute société mais qui porte sur elle des fardeaux du berceau au tombeau. C’est une personne humaine à part entière que nos sociétés phallocrates ont reléguée à la position de citoyenne de second rang en l’écartant du centre du pouvoir. Elle lutte pour avoir ce à quoi elle a droit. Elle est regardée non pas pour ce qu’elle vaut, mais pour ce qu’on croit et ce qu’on pense d’elle. C’est une héroïne dont la journée de travail excède les 24 heures. La femme est un être merveilleux au pouvoir de résilience incroyable.
Quel regard portez-vous sur le 08 mars ?
Pour moi, le 08 mars nous rappelle, femmes, que notre cause ne peut être défendue que par nous-mêmes. Il nous faut sortir de cette idée selon laquelle le pouvoir nous sera donné, nos droits nous seront simplement restitués. Il nous faut œuvrer pour l’amélioration des conditions des filles et des femmes. C’est ce qu’ont compris les pionnières du 08 mars. Si cette journée n’existait pas, il aurait fallu la créer. Ce n’est pas un jour de fête car les femmes sont déjà célébrées dans notre culture chaque jeudi (nyonnou zangbé en langue fon c’est-à-dire jour de la femme).… Le 08 mars est une pause de réflexion et de célébration des victoires, des avancées en matière de droits des femmes sans perdre de vue l’essentiel : l’avenir, l’égalité et le chemin pour y parvenir, c’est l’équité. Ce n’est pas le jour des fleurs et des mots ; c’est le jour des actions et des prises de conscience. C’est le moment pour les décideurs d’évaluer les façons dont ont été mis en œuvre les engagements pris auparavant. C’est aussi le moment de poser des mots sur les maux des femmes. C’est un jour de visibilité pour ces femmes qui ne sont pas vues mais aussi pour les hommes qui prônent la masculinité positive.
Le thème retenu pour l’édition 2024 du 08 mars est Investir en faveur des femmes : accélérer le rythme. Quelle est l’opportunité de ce thème ?
Ce thème ne tombe pas comme un cheveu sur la soupe. Il s’inscrit dans la continuité des engagements pris pour l’atteinte des objectifs pour le développement durable, par rapport au forum ‘’Génération Egalité’’ et à tous ces constats suivant lesquels le développement tant escompté tarde à venir parce qu’on laisse à la traine les forces que sont les femmes. Il est en adéquation avec les thèmes de plusieurs autres rencontres internationales notamment ‘’la commission sur le statut de la femme’’ dont le thème est ‘’Accélérer la réalisation de l’égalité des sexes et l’autonomisation de toutes les femmes et filles en luttant contre la pauvreté et renforçant les institutions et le financement dans une perspective du genre’’. Il rejoint ainsi celui du 08 mars et nous invite à une prise de position pertinente par rapport à l’émancipation économique des femmes, à la féminisation de la pauvreté.
Tant que le gap de l’inégalité ne sera pas comblé, tant que les femmes ne pourront pas valoriser tout leur potentiel dans tous les secteurs, l’humanité n’avancera pas. Il nous faut revoir les systèmes de protection sociale en mettant la femme au cœur des décisions prises et à penser aux femmes en milieu urbain et en milieu rural.
Pour cela, il faut vraiment investir pour atteindre une autonomisation des femmes pour atteindre l’équilibre, une société de justice et de paix afin que le développement durable soit.
Féminisme et Masculinité positive sont des termes que vous avez employés. Quels contenus leur donnez-vous ?
Féminisme et Masculinité positive ont tous un seul et même objectif : l’égalité pour tous. Le féminisme n’est pas la féminité, il n’est pas une rivalité entre homme et femme. Il s’agit d’œuvrer au quotidien pour une complémentarité entre homme et femme. Plus de droits pour les femmes, c’est aussi au bénéfice des hommes ; ce n’est pas synonyme de moins de droits pour les hommes. La masculinité positive est l’œuvre de ces hommes qui ont compris qu’il y a des habitudes et attitudes phallocrates à déconstruire pour le bien de tous. C’est un leadership et une vision déclinée en actions qui ambitionnent l’équité des genres, la justice, la paix et le développement durable.
Dans la manière de s’approprier le féminisme, certaines femmes lui nuisent-ils ?
Le féminisme est un courant qui, à certains moments, a été galvaudé, dans l’optique de freiner l’élan des femmes dans la lutte pour leurs droits. Que certaines femmes comprennent mal le féminisme, n’est donc pas surprenant. L’éducation et l’environnement sont quelques facteurs qui façonnent l’approche que les femmes ont du féminisme. En Afrique, nous parlons d’un féminisme décolonial, un féminisme qui ne veut pas reproduire les tares du colonialisme dans la manière d’exprimer les besoins des femmes. Ailleurs, il y a le féminisme radical. Il faut envisager le féminisme sur le plan de l’intersectionnalité. Toutes les femmes sont confrontées aux mêmes inégalités de genre mais à des dégrés et avec des manifestations diverses, qu’elles soient en Afrique ou ailleurs.
Quelles sont les actions menées par Batonga dans le sens du thème retenu pour le 08 mars cette année ?
Notre vision à Batonga est un monde plus sûr, plus sain, plus égalitaire dans lequel toutes les filles et toutes les femmes peuvent exprimer tout leur plein potentiel. Elles n’ont pas besoin de charité et de pitié. Elles ont besoin d’être connectées à des opportunités. Ici, nous œuvrons au quotidien en faveur du leadership des adolescentes et de l’autonomisation des femmes dans les zones les plus difficilement accessibles. De ce fait, nos actions à Batonga dans le sens du thème retenu cette année sont quotidiennes et nous pourrions dire que nous sommes des précurseures. Nous sommes dans une continuité avec plus d’engagement et des actions plus incisives.