VOIX DE FEMME : Sègbédé Aligbonon : « Inconsciemment, nous ouvrons nous-mêmes la porte à la discrimination »

3 avril 2023

Psychologue clinicienne de formation et de profession, Sègbédé Aligbonon est directrice du cabinet Ange Bonheur. Bénévole Croix-Rouge et une des rares femmes formatrices en premiers secours, celle qui est volontaire des Nations Unies auprès des maisons d’arrêt parle ici de la femme.

Quelle est selon vous, la place de la femme dans la société béninoise actuelle ?

La place de la femme dans la société béninoise n’est pas spécifique pour autant. Dans une certaine mesure, elle est le reflet de la place de la femme en général dans le monde. Il y a toujours eu de la place pour la femme dans nos sociétés mais aujourd’hui, cette place est plus visible. De plus en plus, elle accède aux cercles de décisions. Autrement dit, les lignes bougent. Tout de même, une préoccupation demeure : dans quel sens, ces lignes bougent-elles ? Beaucoup d’avancées en matière d’accessibilité à l’information sur plusieurs plans permettent davantage l’épanouissement de la femme. Elles se positionnent comme cheffes d’entreprise, leaders d’opinion, leaders politiques et ce n’est pas sans l’accompagnement de plusieurs réformes et lois votées. Paradoxalement, les lignes bougent et l’accessibilité croissante des femmes à l’information, au pouvoir économique et politique les expose à une forme de solitude et de précarité très voilée. Elles sont nombreuses à être mères célibataires, à migrer pour la cause des études ou du travail pour finir par se retrouver en état de fragilité dans lequel leur dignité peut être bafouée. Quel que soit son niveau d’accomplissement social, économique et politique, la femme est un être fragile et émotionnel qui est souvent dans les attentes d’affection et de soutien. C’est une dimension à ne pas occulter. Quand elle vient à être mise à rude épreuve, il a un motif à s’inquiéter. Prenons l’exemple d’une fonctionnaire qui après une journée de travail, doit passer prendre les enfants à l’école, faire le marché et la cuisine, s’assurer du bien-être de toute la maison en étant aux petits soins de tous et se disposer à répondre favorablement aux sollicitations sexuelles de son homme. C’est une charge mentale énorme pour la femme et qui pourtant passe inaperçue. Celle-ci sera responsable de beaucoup de maux chez la femme. C’est pour cela qu’il faut penser à des aménagements pour soutenir la femme qui travaille. Ce n’est pas du favoritisme, c’est de la responsabilité sociale et du développement humain. Un autre exemple, dans les entreprises, on peut penser à des cadres adéquats pour la garde des enfants (surtout des nourrissons) des employé(e)s afin de permettre aux femmes de travailler en toute quiétude, d’être plus productives sans faillir à leur rôle de mère.

La lutte pour la promotion des droits de la femme est souvent perçue comme un combat des femmes contre les hommes. Qu’en pensez-vous ?

C’est une illusion que les hommes ou les femmes l’appréhendent ainsi. La promotion des droits de la femme est une mission de tout le monde.
Avec le parcours qui est le vôtre, quelle est cette situation désagréable que vous avez vécue en raison de votre genre ?

Quelques fois, la discrimination, ce n’est pas l’autre qui la fait ; c’est soi-même qui se discrimine. Il y a plein de mécanismes mis en place par l’éducation qui nous amènent à nous mettre en marge et les autres en profitent pour nous mettre de côté. Inconsciemment, nous ouvrons nous-mêmes la porte à la discrimination. Avec le recul, cela me fait sourire quand j’analyse la situation. J’étais candidate à la présidence de la Croix-Rouge dans la commune d’Abomey-Calavi. Les tractations étaient fortes. Les réunions publiques comme privées, les compromis à faire étaient nombreux. Cahin-caha, je suis allée aux élections mais la présidence in extremis est revenue à mon challenger. Plusieurs paramètres ont concouru à ce résultat parmi lesquelles mon genre. Je l’ai compris. Aussi, me dis-je aujourd’hui que j’aurais pu atteindre mon objectif si je ne m’étais moi-même considérée moins comme une femme, être sensible que comme un leader conquérant qui veut déployer une vision. Quelque part, j’ai laissé faire, j’ai manqué de fermeté et de détermination. J’en ai tiré les leçons et sais que les femmes aussi ont des atouts à mettre en branle honorablement pour décrocher le pouvoir.

Que diriez-vous :
 à une femme candidate à des élections à une fonction ou poste de responsabilité ?

Je lui dirai de rester professionnelle, confiante, ferme, courageuse et ne pas se laisser distraire s’il s’agit d’un contexte technique ou professionnel. S’il s’agit d’un contexte stratégique ou diplomatique, d’autres compétences notamment en gestion des ressources humaines et en leadership lui seront nécessaires. Cela exige qu’elle aille au-delà de ses émotions de femme. En étant intelligente et empathique, elle devra prendre de la hauteur, définir ses objectifs de même que les sacrifices qu’elle peut faire sans s’abimer. Dans son rapport à Dieu, elle pourrait s’ancrer pour s’imprégner davantage des notions de devoir et de responsabilité afin de grandir en sagesse, en ouverture d’esprit en vue d’aller à la rencontre de l’autre mais aussi par la lecture.

- à une misandre et à une misogyne ?
C’est la peur qui nous met sur la défensive. Cela suppose qu’il y a eu des situations du passé qui ont été blessantes et douloureuses. Nous sommes le reflet de nos vécus individuels et ceux de notre communauté. On pourrait dire que ces femmes sont en souffrance car avant tout, nous sommes des êtres d’amour. En arriver à détester, à haïr une autre personne et le vivre comme tel est une autre dimension de la relation humaine. En dépit de tout, il y a dans ces personnes de l’amour enfoui qu’il faut chercher à faire jaillir.

- à une mère dont le fils bien-aimé vient de se mettre en couple ?

Cette mère devra prendre conscience que son fils bien-aimé, son petit homme est devenu un homme ; son garçon, son petit époux ne sera jamais son époux en réalité. Il lui faut accepter qu’elle devient, par le mariage de son fils, la mère de cette femme que son fils a épousée. Il lui faut l’accepter à son propre niveau, indépendamment du comportement de sa belle-fille. Cette mère a déjà vécu la position de bru et devrait en avoir capitalisé assez d’expériences pour accéder à une autre dimension. Par conséquent, on pourrait en attendre un peu plus d’elle que de sa belle-fille qui n’a pas encore cette expérience. Cette mère est désormais investie de la mission de bénédiction et d’éducation des adultes que sont les nouveaux époux.

- à un parent dont la fille est emprisonnée ?

Il faut collaborer pour que très tôt les responsabilités de cette fille soient situées par la justice. Que le temps d’enquête et de collecte des preuves ne dure pas indéfiniment afin de minimiser son séjour carcéral. C’est une étape importante. Si elle est jugée et condamnée à la prison, le soutien des parents (présence, empathie, conseils, respect de sa dignité, mobilisation d’un professionnel pour son accompagnement) lui sera d’une grande aide sur ce chemin de privation de liberté, de solitude, de réflexion et de repentance ; quel que soit le crime commis. Si elle est reconnue innocente, il faut aussi l’accompagner à retourner à sa vie sans séquelles.

Propos recueillis par Frédhy-Armel BOCOVO (Coll)



Dans la même rubrique